Enquête sur le chef-d'œuvre "Dix petits nègres", avec Pierre Bayard, que nous avons rencontré
Enquête sur le chef-d'œuvre "Dix petits nègres", avec Pierre Bayard, que nous avons rencontré
Un auteur original, dont j'ai déjà lu plusieurs livres, et que j'aime beaucoup.
On se demande où il a cherché ses idées, il a déjà remis en cause l'histoire de Roger Ackroyd et celle du chien des Baskerville, voilà qu'il s'attaque à Sophocle, rien que ça !
Une belle écriture, de l'humour, on ne peut pas résumer l'histoire vu que c'est, comme l'auteur le signale en début de livre, un roman policier.
Il mêle habilement passé et présent, puisqu'il était sur place quand il a écrit ce livre, sur fond de mythologie grecque. J'ai révisé et appris pas mal de choses en lisant ce petit livre, à ne pas rater.
Partons d’un constat évident : les œuvres connues nous font nécessairement oublier les autres, celles qui sont restées dans l’ombre. Mais ces dernières sont-elles pour autant nécessairement de « moins bonne qualité » ? Dans le fond, ne cesse-t-on pas «d’encenser les chefs-d’œuvre, sans prendre la mesure des dégâts qu’ils provoquent ?»
Et si, dans un monde parallèle, Raymond Jones n’était pas passé devant la boutique de disques North End Music Store, aurait-on connu les Beatles ? Pas sûr… À la place, n’écouterions-nous pas en boucle par exemple « Sunny afternoon », l’excellent tube des Kinks ou « Waterloo Sunset » ? Et si, dans le fond, les Kinks, c’était mieux que les Beatles ? Car finalement, à peu de chose près, Pierre Bayard nous démontre que tout aurait pu se passer autrement…
Et si Camille Claudel avait été un homme et Rodin une femme, ne serait-elle pas plus connue que son maître ? N’a t-elle pas été tout bonnement éclipsée à cause de son sexe ? Enfermée même parce que cela arrangeait tout le monde, l’amant et le frère.
Autre cas intéressant : celui de Margaret Mead, une jeune anthropologue qui, après avoir séjourné quelques mois sur l’île de Samoa écrit « Moeurs et sexualité en Océanie » : la sexualité semble libre, les jeunes heureux et sans tabous… Le livre devient un immense best-seller car son propos va dans le même sens que la libération sexuelle de 68. Sauf qu’un autre chercheur, quelques années plus tard, va découvrir que l’étude de Mead est fausse. Pour plusieurs raisons, la jeune chercheuse s’est trompée. Mead écrira ensuite un autre texte : « Trois sociétés primitives de Nouvelle-Guinée » : là, elle explique que « le sexe n’est pas le genre » et c’est plutôt extrêmement nouveau comme concept en 1935 ! Eh bien, le premier texte qui est une fiction va complètement faire de l’ombre à un second texte incroyablement novateur dans le domaine scientifique !
Pierre Bayard aborde aussi l’idée géniale des « influences rétrospectives » : c’est parce que Kafka existe que l’on se rend compte que Léon Bloy est un précurseur de Kafka, qu’il porte en lui Kafka. Donc Kafka influence à rebours la lecture que l’on a de l’oeuvre de Bloy. Ainsi peut-on dire que les grandes œuvres « reconfigurent » les oeuvres qui leur sont antérieures.
Et Proust et ses phrases à rallonge que l’on jugeait illisibles et que personne ne voulait publier… Pourquoi notre époque actuelle ne jure-t-elle que par lui alors qu’autrefois, on ne lisait qu’Anatole France ? Que s’est-il passé pour que l’oeuvre proustienne anéantisse complètement tous ses contemporains au point qu’ils sont maintenant presque totalement oubliés ? Pourquoi Flaubert écrase-t-il Maupassant ? Pourquoi aime-t-on tant Shakespeare alors que Voltaire le détestait ?
Je suis une inconditionnelle des essais de Pierre Bayard : son travail est intelligent, stimulant, fin, original, plein d’humour aussi. C’est un pur bonheur de lecture que je recommande à tous. Il nous permet de réfléchir à ce qu’est une œuvre d’art, à son rapport avec une époque et aux influences que les œuvres ont entre elles. Il déconstruit nos mythes culturels et remet en question toutes nos belles certitudes en matière d’art. Ah, ça fait du bien !
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J’avais apprécié la lecture de « la vérité sur ils étaient dix » d’Agatha Christie qui revisite l’enquête du roman et propose une alternative à la solution retenue par l’autrice. Selon les mêmes principes d’analyse de l’intrigue, Pierre Bayard s’intéresse ici au film « fenêtre sur cour » d’Hitchcock en passant au crible le scénario et les images assemblées pour faire croire que. Cette façon de décortiquer les scènes, les attitudes, les personnages est amusante et s’appuie sur des notions parfois un peu ardues à suivre, de sociologie, de psychologie, de psychanalyse, de biais cognitifs divers et variés...L’auteur nous concocte un polar dans le polar qui démolit la crédibilité du meurtre de la femme de Thorwald et on se demande si Hitchcock n’aurait pas du s’assurer ses services pour rendre son scénario plus véridique ! Sauf que l’œuvre du cinéaste ne repose pas sur une vérité absolue, mais sur une illusion crédible bien balancée qui suffit à donner du plaisir au spectateur.
Grande fan d’Agatha Christie, j’avais noté depuis quelque temps cet ouvrage dans un coin de ma tête. Il est assez facile et rapide d’en exposer le propos : le personnage que tout le monde croit coupable à la fin du roman n’est… pas le bon ! Le vrai coupable – évidemment connu d’Agatha Christie qui laisse des indices au fil de son récit – prend la plume pour rétablir la vérité ! Mais avant de connaître l’identité de celui qui a berné un nombre incalculable de lecteurs depuis 1939, le lecteur a droit à un résumé des Dix petits nègres (rebaptisé depuis Ils étaient dix). Bien sûr quiconque a lu ce roman policier ne peut en oublier la fin, mais le rappel de la trame narrative est inévitable pour le bon déroulement de cette contre-enquête proposée par Pierre Bayard. Cependant, il ne saurait être question de s’en tenir aux Dix petits nègres. L’auteur – toujours par l’intermédiaire du vrai coupable – se livre à un véritable exposé sur la littérature policière et ses motifs : le passage sur les énigmes liées à un espace clos est passionnant, de même que l’évocation des techniques d’aveuglement du lecteur. Enfin, la vérité nous est dévoilée : le lecteur est invité à adopter un nouvel angle de vue, en utilisant les indices disséminés et en contrant les invraisemblances. C’est indéniablement une belle démonstration. Mais. Parce qu’il y a un mais. Où est-ce que cela doit-il nous conduire ? Doit-on reconsidérer ce que l’on croyait être la vérité depuis des années ? Faut-il simplement le prendre comme un bel hommage à la reine du crime et envisager la solution de Pierre Bayard comme une solution possible mais peut-être également imparfaite ? Pour ma part, j’ai un avis bien tranché sur la question, qui fait qu’en définitive mon sentiment sur l’ouvrage de Pierre Bayard est partagé : j’aime la fin proposée par Agatha Christie, je l’ai toujours aimée, je lui trouve beaucoup de panache et je ne veux considérer que cette fin-là.
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