"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Il faudra quelques pages pour s’accoutumer au décor si étrange. Une île qui sombre, divisée en deux entités, qui abritent les Rocheux ou les Rocailleux, sous la houlette d’avant-gardiens zélés. Tous rêvent d’un ailleurs, d’un aller simple pour la Capitale, octroyé parcimonieusement aux plus méritants, que l’on ne revoit jamais … Ont-ils trouvé là-bas les promesses entrevues ? Pourquoi la fouisseuse s’obstine t-elle à chercher les traces de son amour, parti vers cet éden douteux ?
Loo et son père tentent de comprendre les dessous de ce qui ressemble à une machination, et les explorations interdites d’un jeune musicien viendront conforter les soupçons.
Cette fable moderne, qui surfe sur l’écologie et la politique fiction est portée par une écriture magnifique (néologismes superbes, allitérations, rythmes du phrasé, c’est un régal pour les amoureux des mots et de la langue), est un remarquable premier roman.
384 pages Héloïse d’Ormesson 18 janvier 2024
L'art comme moyen d'évasion
Dans ce premier roman d'anticipation à paraître chez Héloïse d'Ormesson, Martin Lichtenberg imagine une île coupée du monde et sur laquelle les habitants travaillent à pomper l'eau, leur ressource vitale en rêvant de figurer parmi les privilégiés autorisés à prendre le train pour la Capitale. Une vie contre laquelle un artiste et un musicien vont tenter se rebeller.
C'est l'histoire d'un rebelle. C'est l'histoire d'un homme qui refuse les discours lénifiants. C'est l'histoire de Dael S’èn, artisan et artiste de la Roche. Il vit sur cette île coupée du monde, régie par un pouvoir dictatorial au service duquel La Garde patrouille pour éviter tout débordement, toute tentative de remise en cause des lois d'airain édictées pour conserver la mainmise sur la population. Afin de l'encourager, il leur fait miroiter la possibilité de prendre le train jusqu'à la Capitale, une sorte de paradis sur terre.
Mais cet espoir ne fait vivre qu'une partie des habitants, les Rocheux. Ce sont les trimeurs, "individus lardés d’espoir, qui frétillent d’arrache-pied pour se caler au chaud dans le train et quitter l’île. Droit vers la Capitale, sans escale, c’est comme ça qu’ils voient l’avenir. Ils incarnent le poumon de la Roche, ceux qui se projettent encore un peu, pas loin de la léthargie, certes, mais pas encore dedans." L'autre partie de la population, les Rocailleux, a baissé les bras et se terre, vivant de petits trafics afin de trouver l'eau qui leur permettra de survivre. L'eau qui, comme dans Water Knife de Paolo Bacigalupi, est devenu l'enjeu majeur de cette société.
Reste une poignée d'hommes de femmes qui entendent résister, à commencer par Dael S’èn et sa fille Loo, qu'il appelle affectueusement la Loupiotte. Au début du roman, on le voit braver le pouvoir en installant une guirlande lumineuse de sa fabrication pour mettre un peu de gaîté, d'art au cœur d'une ville qui se noie dans la grisaille. Échappant aux patrouilles, il peut trouver refuge chez la Fouisseuse qui vit dans un vieux sous-marin et passe son temps à ramasser un peu tout ce qui traîne. Un bric -à-brac dans lequel Dael peut se servir pour ses projets.
C'est lors d'une cérémonie organisée pour fêter le départ d'un nouveau contingent d'Élus vers la capitale qu'il va faire la connaissance de Sol. Le musicien a nargué les autorités en interprétant un morceau de musique sur le piano de la Gare, provoquant étonnement et stupeur. Les deux hommes vont se retrouver et s'allier.
Commence alors un jeu du chat et de la souris qui va voir, de rebondissement en rebondissement, s'affronter les artistes et le pouvoir. Un combat à armes inégales, mais qui va nous réserver de belles surprises et qui est ponctué par des extraits des Gravures de la Roche, sorte de journal tenu par Loo S’èn et qui éclaire le récit tout en lui apportant une note poétique.
Martin Lichtenberg a parfaitement su rendre l'atmosphère de cette île où tout semble figé, délabré, où l'ambiance est aussi noire que la nuit, où il est davantage question de survivre que de vivre et où l'aliénation est un mode de gouvernement.
Ici tout divertissement est une menace, toute question une menace. Si la science-fiction s'est déjà penchée sur cette thématique - on pense notamment à 1984 de George Orwell, à Fahrenheit 451 de Ray Bradbury ou plus récemment aux Furtifs d'Alain Damasio - il faut bien reconnaître que le primo-romancier a réussi ici une version très originale du combat du pot de terre contre le pot de fer en y ajoutant une touche artistique. Et en démontrant combien l'art, et en particulier la musique, était subversif. Alors le vieux slogan l'imagination au pouvoir, retrouve une seconde jeunesse.
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Quatre clans se partagent une île sinistre et sans avenir. Les Rocheux, ceux qui se tuent à la tâche, sous terre, en espérant décrocher leur billet de train pour rejoindre la Capitale, lieu de tous les fantasmes. Les Rocailleux, peuple sans espoir après avoir été des rebelles. Les Carriéreux, qui se raccrochent à un passé plus glorieux. Enfin, la Garde, celle qui régit l’ensemble de ces populations et qui les maintient sous sa coupe. Au milieu de cela, un combat pour l’eau qui a disparu et quatre personnages qui se battent. Dael pour qui la lutte n’a pas cessé et qui souhaite un monde meilleur pour sa fille, Loo. Sol, un jeune pianiste qui n’hésite pas à se mettre en danger. Et la Fouisseuse, qui a abandonné la lutte après la disparition de l’homme qu’elle aimait et dont elle attend toujours le retour.
Ses quatre personnages vont se retrouver liés au cœur de ce récit d’anticipation et vont devoir trouver un terrain d’entente pour combattre ensemble à la recherche de la liberté. Martin Lichtenberg nous entraîne dans un récit sombre où l’avenir semble bouché pour les différents protagonistes et où ne subsistent que peu de perspectives.
Dans ce monde obscur, l’eau est contrôlée par la Garde, l’art est totalement prohibé, les libertés déniées. Le seul espoir est de pouvoir se rendre à la Capitale, mais cela aussi est contrôlé par la Garde et seule une poignée d’individus est élue pour faire le voyage.
Difficile d’imaginer que ces deux hommes, cette femme et cette petite fille vont, à eux seuls, tenir tête à la Garde et faire basculer le destin de l’île. Le message est intéressant, mais déjà traité dans d’autres romans : l’art, quel qu’il soit (musique, peinture, littérature…) comme échappatoire et considéré comme un danger par les hommes et femmes au pouvoir. Quant au thème de l’eau et surtout sa disparition, là encore rien de très original.
Ce qu’on peut toutefois saluer, c’est la capacité de l’auteur à créer un langage pour chacun de ses personnages, un univers très personnel qu’on reconnait immédiatement dans les chapitres qui leur sont consacrés et qui permet de s’attacher à eux.
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