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La narratrice se prénomme Lisa, et d'après ce que l'on peut en savoir, elle a même composition familiale que l'autrice, la dimension autobiographique est donc indéniable : Aleksandra la grand-mère, la lignée de ces trois Nikolaï, depuis l'arrière-grand-père jusqu'à Kolya, son cousin. C'est le roman de sa famille, les Krasnov, de ses origines ukrainiennes, mêlées à l'histoire du pays et au conflit finalement que son voisin a toujours entretenu plus ou moins ouvertement, mais d'abord celui d'Aleksandra, la grand-mère de Lisa, dont le roman porte le nom dans sa version originale. Lisa se rend chez sa famille, restée au pays, dans l'une des républiques indépendantes de Lougansk que la bâfreuse Russie s'est appropriée. C'est un récit chimérique, qui débute lorsque Lisa tombe à la frontière entre l'Ukraine et Lougansk, dans un élan de fuite, et renvoie Lisa dans ce palais imaginaire des Cosaques perdus, le palais des Soviets – projet de construction d'un centre administratif et de congrès à Moscou – qui prend la forme d'un purgatoire dans cette zone ou les mines entaillent les champs de blé de Lougansk. Les Cosaques, c'est ce peuple originaire de la steppe, entre Ukraine et Russie, vivant en autonomie, divisés en plusieurs communautés autour, entre autres, du Don, de la Volga et du Dniepr. Lisa visite donc ses ancêtres cosaques dans un palais imaginaire pour retracer l'histoire de sa famille décimée par les Soviétiques puis par les séparatistes, largement soutenus par la Russie impérialiste de Poutine.
C'est un récit qui s'appuie sur l'aïeule, Aleksandra Nikolaïevna Krasnova, celle qui a été déportée hors d'Ukraine, loin du reste de sa famille, d'abord en Allemagne, ensuite aux Pays-Bas. Les chapitres alternent entre le récit rétrospectif de la famille Krasnov dans le palais des Soviet et un récit plus récent à rebours depuis les années 2018 jusqu'à mars 2015, un an après le début de la guerre du Donbas. le récit fourmille d'une multitude de détails historiques sur le destin d'une famille qui représentent ces Cosaques du Don qui ressemble à tant d'autres, des paysans plutôt aisés qui vivaient confortablement grâce à leurs terres fertiles sans pour autant nager dans la richesse. Et de ces koulaks face aux camardes, on comprend vite que c'est là que le bât blesse : tandis que les uns mangent à leur faim, les autres sont constamment la faim au ventre. Elle porte sa généalogie et son histoire avec fierté, héraut d'une communauté qui s'est fait engloutir par la vorace Russie : elle lui a enlevé son identité, en l'assimilant aux Soviétiques, et Lisa Weeda redonne la langue à ces Khokohls, sa culture, ses symboles – dont ces cerfs blancs aux bois d'or – son caractère – fierté, indépendance et liberté – et surtout cette toile de lin blanc, brodée de lignes rouges et noirs, que l'on retrouve dans l'insigne du bataillon cosaque Ermak Timofeïévitch, qui tisse le fil de l'histoire de Lisa.
Ce qui peut être déstabilisant, c'est cette immersion dans ce monde des morts, où l'arrière-grand-père Nikolaï côtoie un Lénine disert, complètement déboussolé face à ce qui reste de son système, face à la Russie du présent de la narration. Au chauffeur de taxi, tout aussi spectral que lui, qui lui explique que beaucoup de ses statues ont été dézingués, l'homme de la révolution d'octobre répond, dépité « Je suis donc devenu le fantoche de mon propre système ? » Alors que l'autre lui répond « Ne te fais pas de souci, camarade, on n'en a pas encore eu d'autres comme toi ». On aime ce ton mi-figue mi-raisin sur la déliquescence de ce qui reste de l'URSS, le cynisme glacé de ces politiques qui défilent au pouvoir, aussi bien en Russie, qu'en Ukraine puisque Viktor Ianoukovytch ne s'est jamais caché de ses accointances avec le pouvoir russe.
C'est une histoire très riche que celle de Lisa Weeda, foisonnantes de détails historiques, elle permet de mieux cerner ce qui est en jeu aujourd'hui sur le territoire ukrainien, ce sentiment de possession qui fait penser à Poutine et aux nationalistes russes dans le même genre de leur bon droit à considérer le pays comme une partie de la Russie et à l'occuper. On finit par la raison de sa nationalité néerlandaise alors que le reste de sa famille réside dans une de ces républiques autoproclamées : l'alternance de chapitres entre passé et années actuelles, les mêmes batailles pour les mêmes conséquences, renvoie à l'inanité de l'action de ces mêmes occupants, qu'ils soient bolcheviks ou indépendantistes, mus par un sentiment impérialiste. Et, même si l'auteure s'épanche moins dessus, pour pointer du doigt l'inanité de l'occupation russe qui va ne mener à rien d'autre qu'à un immense gâchis de vie humaine.
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