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Par «un grand jour flasque», l'inspecteur Ritter voit débouler son ancien coéquipier dans son bureau qui, sans un mot, lui dépose une carte de visite sur laquelle ne figure qu'une adresse : le 4 Eyrie street. Quand il se décide à y aller voir, Ritter tombe sur une baraque - mi train fantôme mi lupanar - que ne renierait probablement pas David Lynch. Avançant dans le noir, c'est là que Ritter, aimanté mais à demi mort de peur, va suivre le rite initiatique qu'à prévu pour lui la maîtresse des lieux, l'énigmatique et protéiforme Geneviève, être au-delà du clivage masculin/féminin, incarnation du «pur désir».
Dès la première page vous êtes séduit - parfois jusqu'à l'hilarité - par la gouaille cynique de l'inspecteur Ritter - gigantesque flic latino-américain régulièrement terrassé par de violentes crises d'angoisse. Dès la première page vous êtes bluffé par la prose ultraviolette de Saknussemm que traduit avec verve & gourmandise - ça se sent - Anne-Sylvie Homassel, grande metteuse en français de littérature dite «de genre».
Protéiforme comme sa diabolique héroïne, Minuit privé emprunte aux codes du roman noir, du polar, de la SF pour les hisser haut et vous laisser haletants, époustouflés, au moment où les fils de l'intrigue - une intrigue «toute en épine dorsale et nerfs - un verbe plutôt qu'un nom» - se dénouent. Car Minuit privé est un grand livre sur la peur et sur «l'autre». Minuit privé est l'histoire d'un apprentissage de la peur à travers la déconstruction d'une identité. Car le «je» monolithique est une fiction. Et si le «je» est multiple, l'autre se tient au coeur même du «je», étranger et inquiétant. «Approcher l'étranger, c'est inviter l'inattendu, et libérer une force nouvelle» dit T.S. Eliot en exergue de cet excellentissime roman à suspense ; à moins que ce ne soit l'inspecteur Ritter qui se le dise en se regardant dans son miroir ?
Tout commence par une carte de visite posée sur un bureau par un ancien collègue «à la capacité surnaturelle pour foutre la merde partout où il passait et vous faire des noeuds au cerveau avant même que vous vous en rendiez compte». Sur cette carte de visite, rien sauf une adresse : 4 EYRIE STREET. Birch Ritter - vous pouvez l ?appeler SUNNY, même si il ne le sait pas encore - est un flic de la criminelle, la cinquantaine, un bon quintal, des mains de boucher, une vie en lambeaux. Ritter est envoyé sur une affaire simple, - un magnat de l'immobilier retrouvé carbonisé dans sa Mercedes à La Playa, sur un belvédère, le lendemain du jour où il avait modifié son testament - ce dont il ne s'était pas caché. L'épouse, de seize ans sa cadette, glorieusement roulée, était encore sous garantie. Le mort avait trois enfants adultes. Et comme ils s'attendaient à hériter chacun des deux millions, sans compter le palais paternel, près des Gardens, ils avaient flairé l'arnaque. Pour lui et «Le Louveteau», son jeune collègue qu'on lui a fourré dans les pattes, les choses ne sont pas aussi claires qu'elles ont l'air. Et pour tenter de démêler ça, Ritter va aller faire un tour au 4 EYRIE STREET. Pour y faire quoi, il ne le sait pas, la carte lui a été donnée sans un mot, mais il va y aller. Franchir la porte du 4 EYRIE STREET, c'est entrer dans un nouveau monde. Ce que Ritter ne voit pas, la première fois, obnubilé par la beauté de la maitresse des lieux, mais il va en faire l'expérience...
Et le lecteur aussi va faire une sacrée expérience car ce texte, qui ne ressemble à pas grand chose de connu (pour faire bref on peut dire que Kris Saknussem pose superbement son ambiance comme Brian Evenson dans «La Confrérie des mutilés»), est d'une force rare. Le genre de polar qui vire dans le fantastique sans vous heurter (même si vous vous posez de grosses questions un peu avant la page 200) et une lecture hypnotisante, qui vous force à tourner les pages tout comme Ritter est attiré par le 4 EYRIE STREET. C'est fracassant, déroutant, envoutant, choquant... ça vous rince, vous essore et vous sortez pantelant de ce monde en vous demandant ce que vous allez bien pouvoir lire après une telle claque !
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