Inspirée d’une histoire vraie, cette BD apporte des conseils et des solutions pour sortir de l'isolement
Chère Irma,
Je me souviens très bien du jour où nous nous sommes croisées entre deux places aux Correspondances de Manosque. Vous veniez de commencer à ouvrir puis lire devant les festivaliers rassemblés à l'auditorium les lettres encore cachetées que vous aviez envoyées à Clipperton. Lettres revenues après quelques détours improbables et magiques autour d'une bonne partie de notre planète.
Nous avions évoqué l'odeur de chlore, votre précédent roman et vous m'aviez parlé de cette folle entreprise. Envoyer des courriers à qui serait éventuellement là pour les recevoir, sur une île qui possédait un code postal, mais dont on savait pertinemment qu'elle n'abritait aucun habitant.
Si j'ai bien compris, c'est peut-être l'achat du paquet suranné et improbable de ces enveloppes "par avion" au papier si léger qui aura déclenché cette correspondance. Et un joli paquet de timbres beaux et aussi dépareillés que possible, permettant moyennant un coût minime d'envoyer ces plus de cent lettres au prix modique d'un courrier à la ville voisine, à condition de ne pas dépasser les 20 grammes de papier, qui aura également impulsé toute l'affaire.
C'est donc le 16 mai 2017 que vous avez décidé d'envoyer votre première missive, et cette correspondance s'est prolongée jusqu'au 26 septembre de cette même année.
Lettres dont une copie est envoyée en parallèle au gardien du trésor, histoire de ne pas en perdre la trace si celles-ci s'avéraient perdues à jamais, quelle excellente idée.
Je ne savais pas trop à quoi m'attendre et j'avoue avoir été conquise par ces digressions épistolaires. C'est drôle, surprenant, humble et humain, étonnant et gai, déprimant et sincère. Il y a un peu de tout dans cet échange à sens unique. L'attente d'une réponse malgré l'assurance qu'il n'y en aura pas, la connaissance toujours plus complète et complexe de l'histoire de Clipperton.
Cette île tantôt mexicaine, américaine ou française, convoitée puis oubliée, séduite puis abandonnée, exploitée puis dégradée par les différents pays qui s'y sont intéressés au fil du temps, mais qui confère à la France une place majeure sur le podium des décideurs internationaux possesseurs d'eaux territoriales.
Mais aussi une façon chaque fois différente de vous dévoiler à travers les écrits, de parler de ce qui vous entoure, pas seulement de cette île d'1,7 km², de ses crabes ou de ses rats, de son atoll envahi de plastique. De vous dévoiler et de parler de votre vie, comme à un ami à qui on enverrai une carte postale.
J'ai aimé lire et découvrir la progression dans l'échange, l'envie de partager une connaissance, de faire entendre une voix, de tenter de comprendre l'échec de la sédentarisation de population sur ce récif beaucoup trop petit pour faire vivre une communauté.
En fait, je me suis régalée à vous lire, j'avais l'impression de vous entendre découvrir ces lettres dans l'auditorium de Manosque, ce que hélas je n'avais pas pu faire. L'impression tout simplement d'avoir été moi aussi destinataire de ces lettres à Clipperton.
https://domiclire.wordpress.com/2023/10/15/lettres-a-clipperton-irma-pelatan/
Je peux comprendre que certain.es aient trouvé poésie, originalité, fantaisie voire folie douce dans ces Lettres, au demeurant fort bien écrites, mais qui m’ont laissée de marbre avec la désagréable impression de perdre mon temps.
N’étant pas fan de littérature oulipienne, les exigences d’écriture (ici l’envoi d’un courrier quotidien, le jeu de colin-maillard avec les destinataires, la contrainte du crayon et de la pile d’enveloppes...) ne m’ont pas intéressée outre mesure ; je n’ai pas appris grand’ chose, certainement moins qu’en lisant la postface ou la page Wikipedia dédiée à cet atoll français, perdu dans le Pacifique nord, parfois qualifié d’« atoll le plus isolé du monde ».
Entrée dans cet ouvrage sur la pointe des pieds, j’en suis sortie dans le même était d’esprit. Bref, je suis passée totalement à côté de ces Lettres à Clipperton (au large, faudrait-il plutôt dire, s’agissant d’un livre sur une île, ah ah ah).
Ce livre voyage dans le cadre des 68 premières fois, merci à l’équipe pour ces découvertes enthousiasmantes (ou pas...)
Lettres à Clipperton n’est pas un roman épistolaire comme les autres. À laisser courir son imagination entre un titre aux sonorités anglo-saxonnes et une couverture azuréenne ornée de désuètes enveloppes « Par avion » (que, soit dit en passant, les moins de vingt ans…gnagnagna), on pourrait fort benoitement tomber dans le piège d’une histoire vaguement délavée à l’eau de rose, écrite d’une plume piquante et narrant les amours aux longs cours d’une prude jeune fille avec un aventurier d’outre- quelque chose. Eh bien non, pas du tout, car si, comme le souffle le sous-titre de cet intrigant ouvrage, il y a bien « aventure littéraire », elle est d’un tout autre ordre, bien plus original voire déstabilisant, où le hasard et la poésie du geste ont toute leur part.
Que faire, lorsque l’on se retrouve en possession d’une pile d’enveloppes « par avion » sans usage déterminé, que l’on est écrivain (écri…vaine ?) et que l’on a suffisamment d’imagination et d’audace pour se lancer un défi plein de sel, de folie et d’une forme de désintéressement propre aux rêveurs ? On achète un crayon « écrit sur tout », on le taille à l’ancienne, au canif, et on se choisit un lointain et mystérieux destinataire, histoire d’aiguiser dans le même temps sa curiosité et son imagination. Le destinataire sera « Tout résident » de « La Passion- Clipperton », petit point français suspendu en plein Pacifique Nord, à peine un confetti troué en son milieu, où grouillent des milliers de crabes copieusement arrosés du guano nourricier des goélands locaux. Bref, « une île entre le ciel et l’eau, une île sans âme ni bateau », un caillou inhospitalier dont on se demande bien ce qu’il a pu passer entre les deux oreilles des colonisateurs de tous poils pour qu’ils veuillent à toute force y planter leur drapeau !
C’est ce qu’Irma Pelatan, du bout de son crayon de bois et au rythme d’une lettre par jour va nous amener peu à peu à découvrir, tricotant à son quotidien de navigatrice de plaisance la vie et l’histoire de ce lointain atoll témoin et victime de tergiversations aussi ahurissantes qu’internationales. Songer que des hommes et des femmes ont pu tenter d’y vivre en échappant à la mort et à la folie, que des enfants ont pu y voir le jour et des intérêts purement économiques y être défendus confine à la sidération.
Irma Pelatan a su trouver le ton juste pour se plier à cet exercice de monologue épistolaire qu’elle s’était imposé à elle-même, adoptant le style légèrement emprunté et teinté d’une élégance surannée que le lecteur amateur du genre aura plaisir à retrouver entre ses lignes. C’est lui qui m’aura permis de tenir le cap tout au long de ma lecture et de ne pas me laisser arrêter par le passage sans grand relief qui m’a semblé couper en deux ce curieux roman qui n’en est pas vraiment un mais offre un plaisant voyage entre Histoire, imagination et réalité.
Les courriers du bout du monde
Entre le 16 mai et le 26 septembre 2017, Irma Pelatan a rédigé une lettre quotidienne a «Tout résident de l'île La Passion-Clipperton». Au-delà de l'exercice de style, ce roman nous permet de découvrir l'histoire de ce confetti de France dans le Pacifique nord. Ludique et très documenté.
Ce roman singulier, sans pagination, mérite que l'on s'arrête sur sa genèse. C'est en attendant la réponse des éditeurs auxquels elle avait envoyé son premier manuscrit et qu'elle guettait sa boîte aux lettres désespérément vide que l'idée a jailli d'en remplir une autre, très loin. À Clipperton. «Une île française, un anneau blanc posé comme un nombril au milieu du Pacifique Nord. Une île déserte, inaccessible, et pourtant inexplicablement pourvue d’un code postal».
Après avoir déniché sur leboncoin.fr un stock de 425 enveloppes au liseré tricolore et s'être munie d'un crayon, elle se lance le défi de rédiger tous les jours un courrier qui sera adressé à: Tout résident
98799 La Passion-Clipperton
C'est avec ce type de contraintes que les membres de l'Oulipo adorent jouer. Voire compléter, comme le propose Jacques Jouet, le bien-nommé. «Tout le projet serait résolument une sorte de bouteille à la mer à l'envers, vers l'île déserte. Il reprendrait les quatre contraintes jouetiennes: écrire chaque Jour ; renoncer à corriger le texte une fois le jour écoulé; adresser ledit texte, daté et localisé, à une personne choisie; enfin le confier à l'efficience des services postaux, pour le faire directement parvenir à son destinataire.»
Voici donc cette œuvre singulière, écrite entre le 16 mai et le 26 septembre 2017 et accompagnée d'illustrations qui documentent le projet, comme la pile de lettres revenues à leur destinataire après un voyage assez extraordinaire autour de la planète.
Mais venons-en à cette correspondance. Quand Irma prend la plume, elle s'est déjà beaucoup documentée, a recherché la bibliographie disponible, s'est fait une idée de ce coin perdu du Pacifique nord. Idée qu'elle va pouvoir discuter avec son mystérieux correspondant. Comme tenter de comprendre ce qui se cache derrière la formulation choisie par les autorités, «L’atoll ne comporte aucune population humaine permanente», et qui peut vouloir dire que les habitants sont de passage ou qu'ils ne sont pas humains, ce qui laisse peu de place à un échange épistolaire, vous en conviendrez.
Mais Irma ne renonce pas pour autant à son projet. Elle nous raconte ce qu'elle sait de ce confetti, de sa découverte et de son histoire jusqu'à son statut actuel discuté en commission à l'Assemblée nationale - la retranscription de ces échanges vaut le détour - et qui fixe que «l'île est un domaine de l’État, comme un logement de fonction ou un Camion militaire. Clipperton est placée sous l'autorité directe du Chef du gouvernement.» Qui a bien d'autres préoccupations et confie ce dossier à un fonctionnaire du nom de Gutzwiller, ce dernier n'imaginant pas ses pouvoirs. Car, avec beaucoup de malice, Irma nous propose de réfléchir à quelques questions assez vertigineuses sur la finitude, la propriété, la solitude ou encore la justice. Elle nous parle des Mexicains qui ont posé le pied sur ce territoire, des Américains de l'USS Cleveland qui venaient ravitailler la maigre colonie avant de s'en désintéresser et de l'exploitation du guano qui sera elle aussi vite abandonnée, tout comme les tombes portant les inscriptions Pollo et Perkins, deux noms voués à l'oubli. «Clipperton, au fond, c'est ça: l'expérience si puissante de la finitude, de la solitude sans nom.»
Si on en apprend beaucoup sur Clipperton au hasard de ces lettres, on en apprend aussi beaucoup sur la vie de la romancière durant son expérience. Ses rencontres à Corny-sur-Moselle où se sont regroupés quelques passionnés de Clipperton: Georges, Christian, Ludmilla et les autres, ses voyages qui vont la conduire d'Aix-en-Provence, où elle assiste à un mariage, à la Méditerranée sur laquelle elle vogue quelques jours et même sur ses petits ennuis de santé. Des informations que l'on échange effectivement avec un ami.
Irma Pelatan, que l'on avait découverte avec L'odeur de chlore, nous revient avec ce petit bijou joliment ciselé qui donne toutes ses lettres de noblesse à cette littérature qui de Georges Perec à Raymond Queneau, en passant par Hervé Le Tellier ajoute un aspect ludique à l'originalité du propos. On se régale!
S’il y a bien un Prix littéraire «Envoyé par la Poste», suggérons à ce service public de lancer un Prix spécial pour tous les auteurs qui mettent la correspondance épistolaire au premier plan. Irma Pelatan en serait une digne lauréate, elle qui donne toute la noblesse aux lettres !
https://urlz.fr/m8eC
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