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Un coup de foudre que ce recueil de nouvelles suivi d'un coup de tonnerre!
Je m'explique. Le livre m'est littéralement tombé dessus de l'un des rayonnages de la bibliothèque de ma petite ville, comme s'il me suppliait de l'adopter. L'auteure? inconnue. Un coup d'oeil sur la couverture a fini de me convaincre (ayant déjà lu et apprécié plusieurs petits livres de cette collection "qui vive" de l'éditeur Bucher-Chastel) de l'emprunter.
Dès la première nouvelle, j'ai trouvé une soeur en la personne de l'auteure. La noirceur alliée à la fantaisie dans une écriture aussi précise que concise. Il a fallu ralentir mon rythme de lecture pour savourer plus longtemps cette découverte, car, j'étais persuadée avoir fait ma découverte de l'année. Je devine que l'auteure vit dans le sud, peut-être tout près de chez moi. Me promettant d'autres bonheurs de lecture, je cherche des renseignements sur Gaëlle Héaulme... A-t-elle écrit autre chose? Et très vite sur internet, j'apprends qu'elle est morte quelques semaines après la publication de cet unique livre. Coup de tonnerre car si plusieurs nouvelles parlent de la maladie et de la mort, c'est toujours avec la distance de l'humour - la politesse du désespoir - et du coup, me sens orpheline de ma petite soeur au moment-même de la connaître...
"Et si on donnait libre cour à nos pulsions et à nos pensées les plus noires ? Les petits contretemps, ce sont ces moments de basculement, où tout change soudain de couleur et de rythme. Des instantanées, des "vignettes", qui, dans une écriture très visuelle, fixent avec cruauté ces instants où tout dérape." (4ème de couverture)
Un recueil de nouvelles souvent très courtes qui commence très fort :
- Déjeuner en paix : une femme aimerait bien prendre son petit-déjeuner au calme, mais son mari est aux petits soins. Je ne lis pas les 4èmes de couverture avant, ce fut donc une surprise et je me régalais à l'avance des histoires suivantes.
Las, cette première est sans conteste la plus efficace du recueil, les autres nouvelles sont moins percutantes, ce sont des tranches de vies ordinaires, mais de vies tellement plates, sombres et pessimistes. C’est un peu comme si vous passiez une soirée en charmante compagnie. Le dîner est excellent et lorsque la donzelle ou le damoiseau selon que vous êtes un garçon ou une fille ou vice-versa est ou sont je ne sais plus combien on est avec tout ça, je ne maîtrise plus rien, je ne voulais pas faire une partie fine, juste une soirée à deux. Pouf pouf, je me reprends, l’autre partie est partante (belle assonance !) pour plus si affinités et manifestement affinités il y a. Voilà deux personnes consentantes qui se retrouvent seules avec des idées derrière les têtes et ailleurs aussi, si je puis me permettre. Doucement, les préliminaires débutent, prometteurs, chacun étant au summum de son désir, et là, patatras, la belle (ou le beau) se met à parler de sa mère (ou de son père ou de ses ex ou de son chien ou de l’ombre d’icelui voire d'iceux, faites vôtre la formule qui vous plaira)… quelles débandade certaine et frustration énorme ! J'ai préservé les sensibilités de tous, j'ai essayé d'être soft dans ma métaphore, j'aurais pu tout aussi bien dire que la belle ou le beau enlevant ses atours n'était plus que l'ombre de lui-même ou d'elle-même : le décolleté tentateur s'est dégonflé et le slip kangourou tâché du bellâtre a dégoûté madame de l'accouplement. Chacun prend pour lui l'image qu'il veut...
Moi, qui suis d'une nature optimiste je suis sorti de ce livre démoralisé. Il n'y est question que de séparations, d'abandons, de départs, de maladies, de morts. Une femme quitte son mari, un homme quitte son épouse (pour une plus jeune bien sûr). Chacun partant sur une impulsion, abandonnant époux(se) et enfants. Un constat amer et totalement désespéré sur la vie qui va vite, sur la perte de la jeunesse et des illusions. Totalement désabusé et sans espoir.
Cependant, dans le lot des 35 nouvelles, certaines m'ont plu (des tentatives pour remettre le couvert dirais-je élégamment dans le cas d'une métaphore filée) :
- The king fridge : "On est dans le lit tous les deux. On se repose un peu. Les triplés dorment, à côté de nous, c'est l'heure de la sieste." (p.39) Ou comment un réfrigératuer de type américain peut faire basculer des vies.
- J'ai quelque chose à te dire : "Je suis en train de beurrer le pain de mie pour les croque monsieur quand il entre dans la cuisine et reste planté là à me regarder." (p.79) Comment réagir face au départ de son mari qui laisse la maison en chantier ?
- L'aire du repos : "Soudain, Jimmy n'est plus là. On se retourne, son père et moi, on ne le trouve pas." (p.99) Un enfant disparaît sur une aire d'autoroute ; chacun se rejette la faute.
- L'amertume du chocolat : "Il s'est levé très tôt pour fabriquer un gâteau avec une recette de sa mère." (p.115) Très belle nouvelle sur les rapports belle-mère-beau-fils autour d'un gâteau au chocolat.
- Comme une odeur : "Je suis à l'hôtel avec mes filles. Je regarde par la fenêtre en buvant mon café. Je vois ma maison qui brûle. Tiens, la maison brûle." (p.137) Quand le partage après une séparation est difficile.
Elles sont un peu différentes des autres par l'angle de narration, le trait d'humour ou d'ironie, le très léger espoir qu'on peut y lire. L'écriture générale de ce recueil est comme il est précisé en 4ème de couverture très visuelle : des phrases courtes décrivant la vie quotidienne, les questionnements de tout un chacun, des dialogues qui virent souvent à l'explication, des non-dits, des soucis de compréhension.
Si vous êtes motivés, en joie, tentez votre chance, si vous êtes un rien déprimés, je ne suis pas sûr que ce livre soit bon pour le moral, écoutez plutôt la Compagnie Créole...
C'est grinçant, un peu cruel, quelque fois absurde, souvent douloureux, comme ce quotidien que l'on affronte sans cesse. Ce livre est le miroir d'une réalité qui fait mal ou souffrir, la poussière que l'on cache sous le tapis, le bouton que l'on camoufle, le sourire qui essaye d'éluder la tristesse.
"Les petits contretemps" de Gaëlle Héaulme est à la fois tout ça mais aussi un voyage dans une multitudes d'univers ou vies, un regard original et pertinent et surtout un formidable moment de lecture.
En refermant son livre, on retournera chacun à nos vies faites de petites concessions, avec la confirmation que quelques petites nouvelles bien senties sont un formidable remède pour légitimer nos pensées inavouables.
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