"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
A partir des éléments de son quotidien et de sa biographie, Eula Biss s’interroge et nous interroge ce qui fait notre façon d’être au monde, et ce qui nous inscrit dans une vision globale du fonctionnement de notre société.
Rétrospective individuelle, mais aussi historique et l’on apprend beaucoup de la genèse du capitalisme, de l’évolution des classes sociales, mais aussi de tout ce que nous construisons mentalement pour justifier les privilèges dont nous bénéficions.
Pas de discours militant qui pointe du doigt les désignés responsables, mais une réflexion honnête et sincère autour du problème.
On n’y trouvera pas non plus d’une perspective centrée sur l’effondrement inévitable. Il s’agit plus d’un arrêt sur image, d’un état des lieux.
Le texte soutient également des valeurs féministes, en mettant en évidence un état de fait, héritage d’un monde patriarcal.
L’autrice aborde également le sujet de l’art et de la valeur attribué aux œuvres, qui n’a rien à voir avec le talent mais repose sur la loi du marché !
Ecrit dans une langue simple et accessible, cet essai est très intéressant et se lit comme un bon roman, tout en offrant une belle occasion de faire le point sur une question centrale de notre condition d’humain grégaire .
280 pages Payot et Rivages 13 mars 2024
Traduction : Justine Augier
A travers 4 sections (Consommation ; Travail ; Investissement, Comptes), Eula Biss questionne la nature du travail, la possession matérielle et sa probable aliénation, la puissance marketing et financière pour façonner nos comportements et nos actions de penser (on ne pense parfois plus en amont mais après l'action pour la justifier) et la construction de notre société sur une économie capitaliste qui s'auto-qualifie de libre. L'est-elle vraiment ?
Le ton est enjoué, ironique, certaines références sont très américaines mais l'ensemble est universel. Le texte sur "Le bon blanc" qui désigne son questionnement sur la recherche de la bonne teinte de peinture blanche pour peindre son salon est un petit morceau jouissif et accablant à la fois (c'est la couleur blanche utilisée pour le papier toilette des WC qui gagne).
"A présent nous habitons notre argent. Oui, c'est vrai, et sans art" (p.91) : maison, voiture, vêtements, objets, meubles...
Ce sont de très courts articles qui m'ont rappelé le format de découpe rédactionnelle des livres de lecture pour les toilettes : une pensée par jour. C'est intéressant et réflexif mais j'ai finis par finir "trop pleine", comme après un repas trop chargé en plats qui n'en finit pas. Sa division du travail par le prisme col bleu/blanc ou physique/intellectuel avec elle se rattachant aux cols blancs intellectuels qui souffrent quand même et qui font du vrai travail même s'il n'est pas physique ainsi que ses tergiversations pour nous prouver par A+B qu'elle n'est pas riche mais bien dans la catégorie de la classe moyenne car elle n'a que 125 000 dollars par an où les riches ont 150 000 dollars m'ont lassée.
Ceci n'est ni un essai ni un roman, pas tout à fait un récit plutôt une sorte de journal de bord. Mais un journal structuré, agencé à partir des multiples réflexions de l'autrice déclenchées par l'achat de sa maison. Eula Biss est écrivaine (surtout), enseignante à l'université (pour pouvoir écrire) et elle a plus longtemps connu la précarité que le confort matériel. Passer à l'état de propriétaire déclenche chez elle des interrogations en cascade qui vont lui faire revisiter les notions de capitalisme, de possession, de travail, de rapport au temps, et examiner en quoi nos comportements sont toujours régis par l'économie sans qu'on en soit vraiment conscient.
Ce n'est pas un roman mais ça se lit comme tel. Absolument passionnant, le propos d'Eula Biss est d'autant plus captivant que ses exemples s'inscrivent souvent dans le quotidien en décalant simplement le regard, ou en interrogeant des gestes ou des comportements totalement anodins. Les références aux historiens, économistes ou philosophes sont habilement glissées pour illustrer, éclairer ou retourner un point de vue. La lecture est fluide, hyper accessible tout en donnant à réfléchir. Parfois il arrive que l'on s'écrie au détour d'une page "mais oui, c'est exactement ça", ce qui s'appelle mettre des mots sur une vague idée que l'on ne savait pas exprimer jusque-là. Ou déstructurer les concepts, pour mieux les débarrasser du poids des siècles. Et ouvrir la voie à une réappropriation, c'est à dire à des possibilités de changement.
Lire cet ouvrage donne l'impression d'être convié à une conversation avec un tas de gens hyper calés dans un tas de domaines, férus de littérature, de philosophie, d'histoire ou de sciences économiques mais surtout entraînés à penser. Pourquoi notre but est-il de posséder ? Qui définit la valeur d'un bien ou son degré d'utilité (et c'est valable pour un travail) ? N'y a-t-il qu'une seule définition du mot travail ? Je pourrais donner encore pas mal d'exemples de questions qui viennent se glisser entre les lignes mais qu'on ne s'y trompe pas : nous sommes loin d'un cours magistral, beaucoup plus près du jeu qui consiste à tout remettre en question. Et ça fait un bien fou aux neurones, surtout si comme moi on s'interroge depuis longtemps sur cette société bâtie autour de la possession. Est-il plus important d'avoir ou d'être ? That is the question.
(chronique publiée sur mon blog : motspourmots.fr)
Il n'y a pas encore de discussion sur cet auteur
Soyez le premier à en lancer une !
"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
L'auteur se glisse en reporter discret au sein de sa propre famille pour en dresser un portrait d'une humanité forte et fragile
Au Rwanda, l'itinéraire d'une femme entre rêve d'idéal et souvenirs destructeurs
Participez et tentez votre chance pour gagner des livres !