"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
1972. Originaire d'un réserve amérindienne de la province canadienne de la Saskatchewan, la troupe des Poules des prairies, oest censée se rendre en Europe ( Suède, Allemagne, Italie ) pour une tournée de festivals mais à la veille du départ, les danseurs autochtones sont tous malades à cause d'une intoxication alimentaire. En catastrophe, des danseurs de remplacement sont recrutés. Ce sont leurs quinze jours d'aventures européennes que l'on suit.
En réunissant un groupe improbable de personnages qui ne se connaissent pas, aux objectifs, perspectives et modes de vie très différents, Dawn Dumont a composé un irrésistible casting au potentiel comique forcément réjouissant. Soit John, un cow-boy solitaire, célibataire endurci trentenaire très convoité par les femmes de sa réserve, dix ans qu'il n'a pas dansé ( il a cessé après l'enterrement de sa kukum Yellow Belly qui l'a initié à la danse et aux pow-wow ). Soit Desiree, beauté de 19 ans qui flirte avec tout ce qui est de sexe masculin et attire toutes les attentions. Soit Edna, sa tante chaperon, vieille fille bigote qui fait le voyage dans l'espoir de rencontrer le pape pour un miracle sur sa hanche arthritique. Soit Nadine, la romantique fondatrice de la troupe de danse, elle cherche désespérément l'amour. Soit Lucas Pretends Eagle, jeune homme incontrôlable mais excellent danseur.
« - C'est quoi une poule des prairies ?
Un oiseau. Une espèce de petite dinde obèse.
C'est gracieux ?
Ça vole pas, mais ça se déhanche en masse. »
L'autrice leur a contacté une intrigue pétaradante remplie de rebondissements inattendues et rocambolesques, portés par des dialogues enlevés et mis en valeur par une écriture d'une grande spontanéité. Grâce à la choralité des chapitres, le lecteur a une vision panoramique de leur évolution dans un monde qu'ils ne connaissent pas, avec un accès direct à leur psyché dont les secrets et mystères sont progressivement révélés. On se rend compte ainsi que leur identité est bien plus complexe que celle initialement perçue.
C'est sans doute le roman le plus joyeux que j'ai lu ces derniers temps, et ça fait un bien fou ! D'autant qu'il y a du fond. En arrière-plan, des sujets sérieux sont soulevés, restituant le contexte des années 1970, toujours d'actualité aujourd'hui, notamment l'acculturation à l'oeuvre dans les réserves et le rôle des pensionnats amérindiens dans ce drame. Ou encore, le rôle invisibilisé des soldats autochtones durant la Deuxième guerre mondiale.
« On est encore en train de faire l'inventaire de ce qu'on a perdu » dit un des personnages. « Le simple fait de naître autochtone est un acte politique » insiste un autre. Lorsque ces Amérindiens dansent en Europe, ils revendiquent leur culture, s'approprient une identité qui a été niée par les gouvernements nord-américains, et leur danse est un acte de résistance, même inconscient. Chacun est conscient des stéréotypes de l'Indien qu'ils représentent et entend en jouer ou les briser.
Oui, on rit beaucoup dans cette critique sociale nuancée, de nombreuses scènes sont cocasses comme celle où la troupe découvre des Allemand grimés en Indiens, persuadés, jusqu'à l'arrogance, d'être plus Indiens que les « vrais » grâce à leurs tenues ridicules et leur maquillage outrancier qui craquèle au fil des heures.
Un vrai roman plaisir qui émeut, fait rire et réfléchir !
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