Découvrez le nouveau roman de Colette Fellous Un amour de frère publié aux éditions Gallimard.
La parole des auteurs vous présente le roman de Chrisitan Oster "Rouler" (éditions de l'Olivier). On retrouve ici Colette Fellous telle que le lecteur l'a aimée dans ses récits précédents, plus une nouvelle dimension, proche du tragique.Vous avez...
Le court livre de Colette Fellous a cette ambition de retrouver un instant suspendu, celui où Marguerite Duras s’est arrêtée de parler. L’autrice veut saisir quelques secondes de silence et les déployer comme le foulard offert à la grande romancière, serré autour de son cou et dont nous, lecteurs, ne percevrons pas une vue d’ensemble. Ce roman ne se veut ni un bréviaire de l’œuvre durassienne ni un portrait. Colette Fellous raconte le lien concret et indicible de sa relation avec Duras. Les détails comptent, les silences tout autant et tout cela se lient dans une profonde affection qui a survécu à la mort de Duras. L’anecdotique de ce livre vibre de nombreuses émotions. Il y a de la tendresse, de l’admiration, de l’écoute et une certaine observation face à la vie de Duras. Qu’il s’agisse de son quotidien avec Yann Andrea ou de son rapport à l’écriture, instants esquissés à chaque fois, Colette Fellous regarde en rappelant la place qu’elle avait. Elle n’envahit pas une intimité mais dresse le paysage de ces moments offerts à sa vue. La rencontre entre Godard et Duras est un passage marquant du roman, rappelant l’importance de l’incompréhension dans les relations, la distinction entre aimer quelqu’un et la difficulté de le lui dire. Ainsi, il pourrait s’agir d’un rendez-vous manqué. Mais non. Les deux génies se voient, se respectent, échangent tout en connaissant pertinemment les particularités de leur propre mécanisme. Leurs rythmes de parole sont différents mais dans les interstices de leur dialogue, se niche un lien infime et bouleversant. Colette Fellous parvient, avec légèreté et joie, à capter son lien avec Duras, un lien riche de mots et de silences. Elle raconte la possibilité de la rencontre et tous les vestiges qui demeurent dans le monde d’après.
Kyoto song est un livre qui éloigne de l'Europe, de ce « quelque chose qui s'était assombri », mais qui ne prétend pas présenter une utopie. « [Au Japon] La délicatesse et la violence, encore une fois inséparables. Un tremblement imperceptible des choses qui alerte.
Colette échappe de peu à un terrible accident. Une de ses sandale se prend dans un rail, à Tunis. Un instant, elle se voit morte : «Un morceau de ma vie est passé sous le train ce mardi-là, bien après les jours et les pays, ce mardi d'un mois d'août naissant (il était presque midi) mais comment le cerner, le dessiner, le reconstruire ? (...) Je cherchais à retrouver un petit mouton de bois perdu et c'est un morceau de ma vie que j'ai laissé ce jour-là, au bord de la voie ferrée.»
Cet événement réveille les ombres, laisse fleurir les impressions, les souvenirs de ces années 1967-1969, avec la découverte de Paris - «un immense écran de cinéma» - où naissent les premiers battements de l'amour, les moments de rare bonheur sur fond de lumière, d'extravagances et de liberté qu'épanouissent les liens de l'amitié et la passion des livres : «Je cherchais chez les écrivains de tous les siècles leurs moments de crise, leurs illuminations, leurs premières fois, leurs vertiges, je m'approchais au plus près de leur fièvre, j'attendais qu'ils me parlent encore, qu'ils me racontent. (...) Je devenais leurs nuits, leurs hallucinations. Je savais me glisser à n'importe quel point du temps, les mots me grisaient, j'apprenais à être plusieurs.»
Mais la figure centrale de ce récit qui éclaire et assombrit à la fois les multiples greniers secrets de sa mémoire, c'est Georgy, ce frère «cousu au centre de son coeur», diabétique dès son enfance et qui meurt à vingt-sept ans : «un dandy qui ne se remarque pas, un esthète, un inconsolable, (...) un grand contemplatif de la misère du monde et du luxe, celui des hôpitaux et des grands hôtels. L'amoureux des livres, des films, des tableaux et des stars. Des parfums et des beaux vêtements. Des voyous et des anges.»
Colette Fellous dépeint avec beaucoup de lucidité, de tact, de sensibilité, la relation tourmentée entretenue avec ce frère bien-aimé et inséparable : «Il n'était pas diabolique. Il était au-delà, toujours au-delà. Depuis ses six ans. Au-delà des conventions, des interdits. Il le savait qu'il mourrait très jeune. Il n'avait donc rien à perdre. (...) Suivre ses rêves, jusqu'au bout, c'était le rôle qu'il m'avait donné. Suivre ses folies, ses désespoirs, jusqu'au bout. Je devais partager sa souffrance en jouant moi aussi avec mon corps, en le détruisant à mon tour, comme le sien avait été détruit par la maladie. Mais je n'ai pas accepté ce pacte. Je l'ai sans cesse détourné, repoussé. (...) Sa mort a été la mienne, mais elle m'a aussi permis de vivre, de me libérer de lui.»
Outre cette poignante réverbération des élans du coeur, Un amour de frère fleurit de pages de toute beauté consacrées à la musique, à ses liens intimistes avec la Tunisie - son pays d'origine - et à la poésie omniprésente dans tous les écrits de Colette Fellous : «Le sens d'un poème est à la fois ouvert, mobile, transparent, et complètement secret, à jamais secret. C'est là que résident sa beauté et sa force. On ne doit pas chercher d'explication, ce serait tuer le poème. Il y a autant de mots cachés que de mots écrits. Plus la langue est simple, plus elle est vaste.»
En écho à la mort de Georgy, Colette Fellous se remémore un extrait de sa correspondance qui incarne pour elle le vertige annoncé de la fin : «Même les oiseaux s'en iront un jour...» A la fin de son livre, y répond la citation sublime de Virginia Woolf, scellant toute vie peut-être, la sienne, la vôtre, la mienne : «Je passerai comme un nuage sur les vagues...» Une image forte qui parachève l'une des oeuvres littéraires les plus abouties de l'année, servie par une langue magnifique !
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