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Lorsque la barbarie touche la famille. Livre-enquête sur des dérives humaines dont rien ne justifiera jamais la cruauté, l’atrocité.
En 2014, dans la province de Hainaut en Belgique, la barbarie dans toute son horreur touche un homme de quatre-vingt-quatre ans, Daniel Maroy. Chris De Stoop, écrivain-journaliste et auteur de ce livre, ne peut qu’être choqué à l’annonce du meurtre de son oncle Daniel. Non seulement filmé dans toute son horreur mais aussi mis en ligne sur les réseaux sociaux, la sauvagerie et la férocité de cet acte sont inacceptables.
L’auteur va rejoindre sa région natale et s’emparer de l’enquête puis se porter partie civile contre les meurtriers de son oncle. Le procès qui débute en avril 2019, cinq ans après les faits, nous est précisément rapporté par Chris De Stoop. Christian - comme le nomme, au procès, l’huissier de Mons - dépeint parfaitement l’humain. Les petits dérapages des uns comme les minables attitudes des autres vont servir d’excuses aux avocats des monstres. L’auteur dessine à la perfection cette manie qu’ont certaines personnes de pousser l’autre à bout. Les cinq accusés sont dressés par leurs avocats afin de leur donner ne serait-ce qu’un semblant d’humanité. Mais leurs vies, révélées par l’auteur, ne font que conforter le lecteur, les témoins, les jurés que toute leur sauvagerie est ancrée en eux depuis très, trop longtemps pour diluer l’horreur du drame. Cette soi-disant « connerie » comme l’appelle les accusés, est loin de n’être qu’une bêtise de plus. Elle est l’abomination de trop. Celle que la société et la justice ne doivent pas laisser passer.
La vie de Daniel à la ferme est si élégamment transcrite qu’elle fait émerger toute la force qu’elle apporte aux hommes qui y vivent. Les uns survivent, les autres meurent ou s’en vont, mais cela n’enlève rien à la toute puissance qu’elle revêt.
Daniel s’occupera de sa mère et d’un frère de santé fragile. A leur mort il en perdra tout aspect civilisé, deviendra pour les villageois un « vieux crasseux », ne voulant être une charge pour personne, souhaitant juste « qu’on le laisse en paix ». Les témoignages récoltés confortent l’idée d’un Daniel qui, a leurs yeux, n’est qu’« un ermite, un vieil animal, un être rustre, non civilisé ». La présentation de sa personne au procès justifierait-elle les actes des accusés ? Indéniablement NON.
Un excellent article dans la revue Télérama du 7 juin 2023 m’avait en son temps marqué. On y voyait une photo des ravages de la ferme incendiée après l’agonie endurée par Daniel.
En refermant ce livre, je me disait qu’il n’y avait plus rien d’étonnant au prix décerné à cet auteur. Pour l’ensemble de son oeuvre il a reçu le Prix de l’Association Néerlandaise des journalistes d’investigation. Admirable ténacité que celle de cet homme. L’humanité, l’empathie, la tendresse que l’auteur met dans le personnage de Daniel, appuie le titre même du livre, celui de sa haute teneur biblique.
Daniel, 84 ans, est assassiné à coups de fourche dans sa ferme, isolé de tous. Cet « ermite », ce « vieux crasseux » est tué par une bande de jeunes paumés qui lui volent son argent, ses bijoux, avant de mettre le feu au bâtiment. Pire encore, ils filment la scène avec leur Smartphone et s'en vantent auprès de leurs potes.
Chris est le neveu de l'auteur. Ce dernier part enquêter dans le village de son oncle, puis se constitue partie civile au procès. Il veut comprendre.
Cette non-fiction met en balance deux mondes : celui de Daniel, vivant par choix à l'ancienne, au milieu de ses animaux qu'il chérit, sans télé ou ordinateur, et celui de jeunes en rupture du système, qui zonent et cherchent l'argent facile. Le récit de cette tragédie résonne aujourd’hui. Les problématiques n'ont pas changé.
À travers le personnage de Daniel, l'auteur interroge la notion d'individualité. Considéré comme l'ermite du village, peu amène, à l'hygiène douteuse, Daniel fait parler. Comme tout ce qui est différent. Son statut à part questionne les habitants, ses habitudes sont qualifiées d'élucubrations et l'auteur pose cette juste et terrible question :
« Est-ce interdit de se soustraire à la vie sociale ? » p183
Daniel, en tous cas,le paye de sa vie.
Alors Chris poursuit sa recherche et va plus loin. Quelles sont les forces qui ont permis à ce groupe d'aller jusqu'au meurtre ? Et de s'en réjouir ? Quel processus collectif s'est joué cette nuit-là ? Faut-il rechercher dans leur passé ? La dynamique des individus ? Le regard de la société ?
En se portant partie civile, ce sont des réponses qu'exige Chris, qui ira jusqu'à s'entretenir avec les criminels. Il ne veut pas d'une justice punitive, mais restaurative.
L'auteur redonne à son oncle la place qui lui revient. Une vraie réhabilitation. Une place d'individu, ni meilleur ni moins bon que les autres. Il lui redonne son histoire aussi, ses drames et ses réussites. Un homme intègre, simple et, surtout, respectable.
Bilan :
Une très belle découverte que ce récit juste et sans pathos. J'ai trouvé cet hommage poignant et le récit très bien mené. Encore une pépite des éditions Globe
Moi qui aime les livres qui traitent de faits divers et de procès, j’ai été bien servie.
Le fait divers, c’est l’assassinat d’un fermier de quatre vingt quatre ans, qui vivait reclu, par une bande d’amis qui pensait lui voler une fortune.
Quand on rencontre le narrateur, cousin du fermier, c’est le début du procès, 5 ans après. Avant cela, on a le déroulé des faits. Il y a un tel décalage entre la violence dont ont été capables les coupables, l'atrocité du crime et le butin obtenu ainsi que la légèreté avec laquelle ils abordent leur crime que cela devient irréaliste et ajoute à la violence.
J’ai beaucoup aimé la partie consacrée au procès, le compte rendu du psychologue et toutes les interrogations autour de la personnalité des coupables.
La construction est très intéressante et dynamique. On alterne entre le narrateur avec lequel on en apprend plus sur Daniel, le déroulé des faits puis le procès durant lequel on se demande comment des êtres humains peuvent en arriver à une telle violence et une telle indifférence.
Une lecture très prenante et dérangeante que j’ai beaucoup aimée.
Après une retentissante carrière de grand reporter – en 1993, son livre Elles sont gentilles, monsieur, écrit après son infiltration d’un réseau international de traite de femmes, fit tant de bruit qu’il déclencha des enquêtes parlementaires et des ajustements législatifs dans plusieurs pays –, Chris de Stoop a repris la ferme de ses parents, en plein coeur des Flandres, afin de faire perdurer un mode de vie rural en perdition. Deux ans avant cette décision, en 2014 donc, il apprenait qu’il héritait d’une autre ferme, incendiée celle-là, son oncle Daniel Maroy y ayant été sauvagement assassiné, alors qu’à quatre-vingt-quatre ans, il y vivait seul depuis bien longtemps.
Depuis qu’il avait coupé les ponts avec sa famille dans les années 1990, Daniel vivait retiré dans sa ferme, ne quittant ses quatre vaches que pour se rendre au supermarché en vélo – les gendarmes lui avaient confisqué son tracteur pour défaut d’assurance –, réglant ses seuls extras – des steaks blanc bleu et des bières Rodenbach – en piochant sans se cacher dans les liasses de billets que, se méfiant des banques, il conservait sur lui et dans un tiroir de son buffet. Rien de tel pour aiguiser la convoitise de la bande de jeunes désoeuvrés, Belges et Français tout juste majeurs partageant, en cette zone frontalière voisine de l’agglomération roubaisienne – dite la plus pauvre de l’Hexagone –, leur « peu de perspectives, un milieu défavorisé, une scolarité problématique, une éducation déficiente, de mauvaises fréquentations. »
Quoi de plus facile que de s’en prendre en groupe à un vieillard marginalisé, un « vieux crasseux » exclu d’un monde qu’il ne comprenait plus et qui ne le comprenait pas davantage ? Harcelé et attaqué à plusieurs reprises, Daniel fut laissé pour mort, assommé chez lui à coups de manche de fourche, jusqu’à ce qu’une semaine plus tard, pour effacer toute trace, les assassins revinssent incendier la ferme. Entre temps, ses économies devenaient motos pétaradantes, iPhones et baskets de marques, tandis que fiers de leur exploit, les assassins partageaient ouvertement la vidéo de leur méfait. Pourtant, jusqu’à l’incendie, personne au village ne s’inquiéta jamais du sort de Daniel. Mort ou pas sur le coup, il fut abandonné à son triste sort…
Avec autant de sobriété que d’intelligence et d’empathie, l’auteur qui, constitué partie civile lors du procès qui eut lieu en 2019 à Mons, a pu, n’étant représenté par aucun avocat, interroger les accusés et avoir accès à toutes les pièces, raconte « La société qui exclut. Les jeunes qui ne trouvent pas leur place dans la communauté. Et la victime qui se place elle-même en dehors de la société. Chacune d’elle a contribué au drame. » La mort de Daniel est ainsi « le fruit d’une responsabilité collective », le mépris général pour un vieux marginal replié sur un mode de vie d’un autre temps ayant ouvert la voie à la violence chez les uns, à l’indifférence chez les autres. Pour s’être soustrait à la société, Daniel n’était plus, aux yeux de ses semblables, tout à fait un être humain…
Alors, en même temps qu’il répond au devoir moral de redonner une voix et un visage à la victime, Chris de Stoop pointe, à travers ce tragique fait divers largement resté inaperçu du grand public, la confrontation entre deux mondes : l’un, ancestral mais moribond, de la terre et des paysans dont on ne compte plus les cas d’exclusion désespérée ; l’autre, tout autant en perte de repères dans sa fascination pour l’argent et la société de consommation.
Tué pour quelques milliers d’euros et parce que sa vieille solitude marginale n’intéressait plus personne, Daniel se résume aujourd’hui à cette inscription sur sa pierre tombale : « Une vie rustique, une mort tragique », mais aussi, grâce à Chris de Stoop, à ce livre bouleversant qui dénonce le terrible manque d’empathie de la société envers ses marginaux. Coup de coeur.
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