« Se cacher est un plaisir, mai ne pas être trouvé est une catastrophe ». D W. Winnicott
« Alors le roi commanda qu’on amenât Daniel et qu’on le jetât dans la fosse aux lions ». Daniel 6, 17
On ne peut effacer l’indélébile.
« Il était plus de minuit ».
Un témoignage, un livre nécessaire qui...
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« Se cacher est un plaisir, mai ne pas être trouvé est une catastrophe ». D W. Winnicott
« Alors le roi commanda qu’on amenât Daniel et qu’on le jetât dans la fosse aux lions ». Daniel 6, 17
On ne peut effacer l’indélébile.
« Il était plus de minuit ».
Un témoignage, un livre nécessaire qui remet d’équerre un fait divers bien plus grave que le mot-même.
Ici, pas de pathos, de vengeance. C’est un texte en équilibre sur la vérité. Un article de journal froissé, jauni entre deux pages blanches. Ce pourrait être ça ce livre.
Mais Chris De Stoop est concerné par l’affaire . Puisqu’il s’agit de son oncle Daniel, 84 ans, assassiné sauvagement par une bande de gosses déshumanisés.
Il délivre le déroulé des jours qui ont suivi le meurtre. La vie de Daniel et le portrait de cet homme atypique. Sociologique, psychologique, journalistique, finement politique, « Le Livre de Daniel », grâce au perfectionnisme et au professionnalisme de Chris De Stoop (qui a reçu le Prix du journalisme d’investigation de l’association des journalistes d’investigation néerlandaise) s’avère être un outil crucial pour faire bousculer l’implacable et surtout comprendre pourquoi.
Pourquoi Daniel a été atrocement tué à coup de fourche, mais pas que.
S’élève toute l’ampleur et les diktats d’un monde rural en Belgique, en Wallonie. Terre meurtrie, la pauvreté aux abois, un village où la jeunesse s’ennuie et tourne en rond et cogite des plans machiavéliques.
Daniel vit ici, et ce depuis toujours. La ferme Maroy, 18 hectares. C’est lui qui dans les années 70 a acheté un tracteur. Solitaire, célibataire, un peu rustre et bohème, il est tendre comme le bon pain. Glisse entre les ombres. Il ne ferait de mal à personne. Répond aux questions. Ne cherche d’histoires à personne. Lui, qui a veillé sur son frère Michel, fragile et démuni, et qui est décédé à 62 ans. Ils vivaient tous les deux dans l’antre familial. Daniel était respecté, de plus en plus éloigné de la société de consommation. Il désirait se marier un jour certain, trouver l’élue. Mais son apparence quelque peu négligée, une barbe de plus en plus fournie et non entretenue. Il était tel Diogène. La ferme de plus en plus délabrée, lui qui se savait sans survivant. Des courses une fois par semaine, le soir pour ne croiser personne et beaucoup d’argent en liquide sur lui. La banque était pour lui, la peur et le refus. « Ha, je m’en vais quérir mon morceau de Blanc bleu au magasin ».
Une bande de jeunes celle d’Évregnies observent le vieil homme. Marche lente, le dos affaissé, l’âge vulnérable, il est une proie. Il va se faire agresser un soir avec une planche en bois. L’argent volé, il est laissé pour mort. Il savait qu’il était en danger. La bande rôdait. Trop d’incivilités dans le village et le bourgmestre trop conciliant avec cette jeunesse qui dérape.
On ressent un décalage entre ces jeunes qui ne pensent qu’au dernier iPhone 5S. Des habits de marque. Se sentir enfin reconnus. Mais est-ce ainsi ? Comment ces jeunes qui sont comme des lions en cage peuvent-ils évoluer sereinement ? Daniel sera l’emblème d’une faillite sociétale et d’une carence politicienne. Six délinquants sans âme ni recul. Des gamins égarés dans les affres de l’ennui, de la perte de l’estime de soi, l’argent comme le graal, le sésame. Rafael, Arno, Pascal et Ahmed, Rachid et Dylan vont mener une cabale contre Daniel. Un scénario d’enfer, horrible jusqu’au paroxysme de la mort. Plus qu’un meurtre, c’est Daniel, victime, qui subit le fléau sociétal. Ce qu’un monde a comme désespérance et danger. Des jeunes qui vont tuer pour se payer en argent liquide des lunettes Dolce & Gabbana, des nouveaux vêtements, une nouvelle dent pour l’un. Un téléphone, une moto. Le décalage entre Daniel, un homme tranquille, droit et sans histoire. Dont les rituels ne sont que de paix, de silence. Mimétisme. Marginal, et seul, bien trop seul. La victime idéale pour la lâcheté.
Le machiavélique complot, jusqu’à l’inonder d’essence et mettre le feu à la ferme, au monde de Daniel.
Ce qui est grave dans ce récit qui rassemble l’épars, c’est la froideur de cette bande qui caracole après le meurtre, qui de la moto, qui du téléphone. La scène du meurtre a été filmée par Rachid. Puis visionnée entre eux tous. Comme un exploit, une fierté, une mise à mort dans la corrida de l’horreur.
Rachid, qui lui est français, sera arrêté à Lille lorsqu’il s’apprêtait à partir à Nancy pour passer des tests pour rentrer dans l’armée. Paradoxe. Évrignies est un tsunami. D’aucuns recherchent le souffle.Le village est montré du doigt. L’horreur implacable est un panneau de signalisation. Les coupables : ils se promènent ici en liberté depuis quatre ans. Je connais leurs familles. Seront-ils présents au procès ? ».
Cinq ans ont passé. Chris De Stoop est partie civile. C’était son oncle et il est garant de la mémoire de Daniel. Comprendre pourquoi. Le psychologue dira durant le procès que « c’est la déshumanisation du « vieux crasseux » par le groupe.