Si vous les avez manqués, retrouvez ici tous nos articles du mois
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Cette semaine, nos deux explorateurs ont lu « Appelez-moi Lorca Horowitz » d’Anne Plantagenet (Stock)
Poignant, nécessaire, sans distance, « Disparition inquiétante d’une femme de 56 ans » est un cri dans la nuit noire.
Un témoignage au plus profond de la vérité. Journalistique, pétri de sentiments, de tendresse pour Letizia Storti qu’on aime d’emblée de toutes nos forces.
Anne Plantagenet rassemble l’épars. Elle, qui connaissait Letizia.
Plus qu’un hommage, ici, c’est un hymne à elles et ceux qui travaillent dans l’ombre. Ployés sous les diktats oppressants d’une hiérarchie étouffante et indifférente aux sorts des ouvriers (ères).
Letizia Storti était employée d’UPSA à Agen. Une entreprise pharmaceutique et ce depuis trente-six ans et élue Force Ouvrière.
Anne Plantagenet rencontre Letizia en 2017 sur un tournage « En Guerre » de Stéphane Brizé.
Elle veut apprendre de Letizia. Comprendre cette force qui se dégage de cette femme battante. Elle, qui joue quasiment son propre rôle dans le film. On ressent une émotion vive. Une mise en abîme des diktats des entreprises qui ne sont que des fourmilières d’êtres en péril. On est en plongée dans les séquences filmiques, comme si le maillage sociologique nous happait.
Anne et Letizia sont fusionnelles, complices et amies devenues. Anne est à l’œuvre de la mémoire. Elle veut retranscrire l’idiosyncrasie du monde du travail, Letizia plus qu’un point d’appui est, dans ce livre, l’écrin mémoriel.
Elle conte le parcours de vie de Letizia qui a un grand fils. Depuis ses dix-huit ans, trente-quatre ans dans un même poste, 5/13 heures une semaine, 13/21 heures la suivante, les mêmes gestes. Letizia est de mimétisme. Elle est la masse salariale. Elle est mécanique usée, mais garde la tête haute.
« Pour moi ça vient de là, le syndicalisme. Je dirais que c’est une réparation. Ça été une évidence, même si je me suis quand même protégée et j’ai attendu d’être titulaire. »
Letizia revit dans cet astre où la lumière sera écran, film et revendication.
Elle exprime les colères, les solidarités, l’union entre les ouvriers, le film devient vital et c’est une réussite.
Mais Letizia sombre. L’immense dépression. La chute d’Icare. L’oiseau blessé, elle est fragile et démunie. Dans l’usine, elle est un pion, et change de poste, accepte tout. Elle a besoin d’eau et de pain, de souffle et de vie. Mais elle se meurt.
Elle est noyée sous les affres des incompréhensions et des indifférences de la direction.
« Nous presser, nous presser, toujours nous presser, jusqu’à ce que l’entreprise se casse la gueule. Et quand elle se sera cassée la gueule, on fera quoi ? »
L’effet domino, les dépressions s’enchaînent, et les tentatives de suicide s’accélèrent.
Letizia est harcelée, encerclée par le mutisme des responsables.
N’oublions pas : « (Rappelons que, dans le cadre de la réforme du Code du travail, le CHSCT, Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, qui recueillait les dénonciations de harcèlement au travail, et dont était membre Letizia Storti à UPSA, l’un des rares contre-pouvoirs au sein des entreprises a veiller sur la santé des ouvriers, a été supprimé par les ordonnances Macron en septembre 2017). »
Letizia est en danger. Elle se jette, malgré ses nombreux signaux avant coureur, du troisième étage, sur le site d’UPSA, tôt le matin.
Sauvée, mais gravement blessée, la rééducation est un combat.
Jusqu’au jour où Letizia disparaît.
Où est-elle ?
Letizia est un emblème. Celui des faillites gouvernementales et sociétales. Une femme de 56 ans, piégée dans les griffes des entreprises dévoreuses d’humanité.
Une anonyme devenue, dans les méandres des souffrances abyssales.
D’utilité publique. Publié par les majeures Éditions du Seuil.
J’aurais préféré que ce livre soit un roman.
Mais non. C’est un récit, un témoignage de l’autrice qui raconte qui était Letizia Storti, la disparue du titre.
C’est en 2017 qu’Anne Plantagenet rencontre Letizia. Alors âgée de 51 ans, cette fille d’immigrés italiens est ouvrière dans l’entreprise pharmaceutique UPSA à Agen. Plus de trente ans de bons et loyaux services et surtout d’engagement syndical acharné pour faire valoir les droits des salariés dans l’entreprise. Une vie dans l’ordinaire et l’anonymat de la classe laborieuse.
Jusqu’au jour où elle apprend que le réalisateur Stéphane Brizé cherche des figurants pour son prochain film, « En guerre », avec Vincent Lindon. Un film en immersion dans le monde du travail ouvrier, en tension permanente et souvent violente avec la direction et l’actionnariat. Letizia est engagée pour quelques répliques dans un rôle qu’elle connaît à fond, le sien: déléguée syndicale.
C’est à l’occasion de ce tournage que l’auteure a rencontré Letizia, dans le cadre d’un reportage sur la manière dont les figurants avaient vécu cette expérience de cinéma. Les deux femmes ont sympathisé, ont maintenu le contact jusqu’au festival de Cannes où le film est présenté, puis le lien s’est peu à peu distendu.
Grâce à ce film, Letizia connaîtra son quart d’heure de gloire. Une fois les feux de la rampe cannoise éteints, elle retourne à son quotidien grisâtre, avant qu’une chute domestique amorce sa descente aux enfers : sa fracture au poignet la laisse partiellement handicapée, et le retour au travail se passe mal, puisqu’on la balade d’un poste à un autre, sous prétexte de trouver celui qui lui conviendrait le mieux. Sauf qu’on ne lui laisse jamais le temps de s’adapter et qu’on lui reproche en conséquence son inefficacité. En clair : humiliations, perte de dignité, harcèlement moral, et toute la souffrance psychique qui en découle.
Quand Anne apprend la disparition de Letizia en juin 2022, elle ignore tout de ce que celle-ci a traversé à UPSA après le festival, son accident, sa tentative de suicide, son séjour en hôpital psychiatrique. Ce qu’elle découvre alors la bouleverse et la pousse à écrire ce texte, pour lutter contre l’effacement dans lequel Letizia a glissé peu à peu jusqu’à l’anéantissement. Elle a voulu rendre chair et consistance à cette femme joyeuse et battante, dont l’engagement syndical ressemblait furieusement à une revanche à prendre sur les humiliations et le racisme subis par sa propre mère – une autre femme effacée: « Je veux savoir. Comprendre ce que j’ai raté, à côté de quoi je suis passée. […] Je ressens un malaise grandissant à la lecture de tous ces communiqués, ces articles, ces déclarations dans la presse. J’ai l’impression qu’ils ne parlent pas de Letizia, de Letizia Storti, de sa trajectoire spécifique, de son histoire unique, de ce qui fait sa singularité et la distingue de toute autre personne. Ai-je lu quelque part que Letizia a souffert dans son enfance de voir sa mère qu’elle adorait moquée parce qu’elle ne parlait pas français et était handicapée, et qu’à cause de cela elle revendique haut et fort ses origines italiennes? Ai-je lu ou entendu qu’elle a été révoltée de voir ses parents exploités toute leur vie et que pour cette raison sans doute elle s’est engagée dans le syndicalisme dès qu’elle a obtenu un CDI? Qu’elle s’y est investie corps et âme? Qu’elle a eu un courage de dingue pour se présenter à un casting et s’est battue pour être choisie? Qu’elle aime les vide-greniers, et l’histoire, et faire du vélo, et voyager? Ai-je lu quelque part que Letizia aime la vie? Qu’elle est un peu plus qu' »une salariée », puis « la salariée » qui a tenté de se suicider sur son lieu de travail? Ces communiqués, ces articles, ces déclarations effacent son identité pour la réduire à un statut social, un geste, ce saut dans le vide, acte ultime et désespéré, objet depuis d’une tentative de récupération et d’un enjeu sordide, comme si toute sa vie devait inévitablement conduire et se résumer à cela. Comme si Letizia Storti ne devait laisser aucune autre trace de son passage sur terre qu’une silhouette qui chute indéfiniment« .
J’ai lu d’une traite ce récit poignant, déchirant, plein d’humanité et d’empathie, porté par une très belle plume. Il témoigne avec beaucoup de sensibilité du destin tragique d’une femme détruite, et de la déshumanisation à l’oeuvre dans le monde du travail.
En partenariat avec les Editions du Seuil via Netgalley.
#Disparitioninquiétantedunefemmede56ans #NetGalleyFrance
Cette femme c'était Letizia Storti. L'auteure avait fait sa connaissance sur le tournage du film "En guerre" de Stéphane Brizé et était restée un peu en contact avec elle après cela. Quand elle a appris sa disparition, elle a décidé de raconter son histoire afin qu'elle ne soit pas juste "une femme de 56ans".
C'est donc l'histoire d'une ouvrière qui a commencé à travaillé très jeune dans une grande entreprise et qui y est resté toute sa vie, une militante très engagée -ce qui lui a fallu de participer au tournage du film de Stéphane Brizé-, une mère, une femme.
A travers Letizia, c'est l'histoire de milliers de français qui est racontée. Des français qui se battent pour conserver leur travail quand les investissements de grands groupes doivent être rentabilisés, de leur stress, de la pression qu'ils subissent, de leur combat et parfois aussi, de leur chute...
J'ai trouvé révoltante la manière dont a été traitée Letizia et cela m'a secouée je dois bien le dire.
J'ai aimé le style de l'auteure que j'ai trouvé très fluide mais j'ai trouvé un déséquilibre entre la première partie que j'ai trouvée longue et la seconde. Même si j'ai bien conscience que les faits énoncés au début sont importants pour comprendre ce qui liait les 2 femmes, j'étais impatiente de savoir ce qui était arrivé à Mme Storti et ce qui l'avait menée à cet acte désespéré.
J'en ressors donc assez mitigée et je m'en sens presque coupable car je trouve très noble de la part d'Anne Plantagenet d'avoir voulu redonner un visage et un nom à cette femme qui a passé sa vie sans être réellement vue mais il me reste cependant un goût de trop peu dont je n'arrive pas à me défaire...
Letizia Storti aurait pu rester une anonyme. Mais sa route a croisé un jour celle de Stéphane Brizé, réalisateur du film « En guerre », dans lequel elle a pu obtenir un rôle de figurante correspondant en tout point à celle qu’elle était dans la « vraie vie », une ouvrière engagée, syndiquée FO chez UPSA où elle a travaillé pendant 37 ans. C’est sur le tournage du film qu’Anne Plantagenet a rencontré pour la première fois Letizia Storti et elle l’a revue chez elle quelques mois plus tard pour l’interviewer. À cette occasion, la romancière a pu découvrir la femme derrière la travailleuse, sa simplicité, son humilité. Les deux femmes sont ensuite restées en contact, s’envoyant régulièrement puis plus ponctuellement des messages pour prendre des nouvelles, liées entre autres par leur origine italienne, et ce, jusqu’au 4 juin 2022 où Anne apprend par Stéphane Brizé la disparition de Letizia. Elle cherche alors à comprendre ce qu’il a pu se passer au cours des derniers mois et elle découvre le terrible engrenage dans lequel cette dernière s’est retrouvée : une chute malheureuse, la pression psychologique grandissante, une tentative de suicide sur son lieu de travail… Pour ne pas laisser Letizia tomber dans l’oubli, Anne décide d’écrire son histoire.
Le titre, Disparition inquiétante d’une femme de 56 ans, qui reprend les mots utilisés par la presse régionale lors de la disparition de Letizia, est l’élément qui a le plus suscité ma curiosité. Je me rends compte à quel point il est intelligent car il dit le fait divers et l’anonymat, ce que veut justement éviter Anne Plantagenet en dressant le portrait de cette femme forte et militante que fut Letizia Storti. Le récit est court et se dévore. On est très vite happé par l’histoire de Letizia, son parcours, ses combats, sa solitude aussi. Il y a quelque chose de très journalistique dans la manière de raconter mais aussi de très empathique, comme s’il y avait une urgence à ne rien omettre de la vie de Letizia, à être factuel, à dater, tout en racontant avec sensibilité et émotion les moments de joie puis la descente aux enfers. La force de ce récit est qu’il dit, sans concession et par l’exemple, la réalité du monde du travail dans ce qu’il a de plus odieux et de plus inhumain : dégradation des conditions de travail, communication difficile voire impossible avec les supérieurs et les responsables des ressources humaines, poste inadapté malgré une reconnaissance de « travailleur handicapé »… Ce livre est un très bel hommage.
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