"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Lumineux, « Mamou » est un edelweiss à flanc de rocher, magnifique et unique. L’incipit donne plus que le ton, la gravité d’un texte incontournable.
« Pendant longtemps je croyais que certains naissaient de leur grand-mère, d’autres de leur mère, d’ici ou de là. »
Une fillette vit avec sa grand-mère, mamou.
« Alors ma mère s’est mise, avec moi, dans une petite valise triste et elle est rentrée chez mamou pour mourir. En elle la nuit tombait. »
La fillette prend place dans ce récit piédestal. Les jours égrènent les perles du collier dont elle est la seule destinataire. On aime la fraîcheur, la ténacité de cette petite fille. Narratrice perspicace et délicieuse qui inonde « Mamou » d’une double lecture : l’intrinsèque d’un imaginaire à fleur de peau.
« Des fois je voulais dire quelque chose, mais je ne savais pas si c’était pour de vrai. Je ne savais pas non plus comment c’était vrai : comment étaient les cheveux de mamou. Je ne les avais jamais vu flotter dans le vent. »
« Je bousculais le monde avec ma petite tête pour entrer en lui, pour qu’il me laisse faire partie de lui. Parce qu’en fait j’étais seule. »
Vieillissante, dans ce versant où rayonne l’enfant, mamou semble fardeau, lassitude, rideau tiré et ne sait la gestuelle de l’amour.
« Je ne sais pas la main de mamou, elle ne la laisse jamais près de moi, mais la gigote toujours quelque part en hauteur. »
Mamou est rude, maladroite, portant sur ses épaules le poids d’une vie éteinte. Elle aime sa petite-fille, mais mal. On ressent une grand-mère mélancolique qui éduque l’enfant sans contours ni angles. Les douleurs assignées au creux de son cœur. Fleurir la tombe de sa propre fille est la chapelle de ses tourments. Vivre de gris et de noir, la petite fille poète, éveillée, bouscule les apparences et cherche le nid où dormir sous les ailes de manou. La trame d’Angi Máté est majestueuse, émouvante et socle.
« Il n’y a rien d’humidement lisse sur mamou, au lieu de clapoter son corps se déchire. »
« Le paradis était plat et fleuri, comme une cour la tête en bas. »
L’enfant devine la chute. Trop de distance entre elle et mamou. Comment résister sous le joug des sillons infinis ? L’enfant et sa litanie, « Je suis seule ». Elle pressent l’abîme qui ne peut se combler. Les années, les difficultés, les efforts de mamou pour survivre et à l’époque communiste et à la disparition de sa propre fille et aux hommes manqués. La petite fille se berce de chimères.
Il y a au-delà de ces deux oisillons, le choc de l’impossible retour à soi. Et pourtant,
« On se blottissait sous la couette cachée dans le tissu à drapeau, parmi les bleus, bleues de froid, on habitait la couette, parce que c’était dur d’habiter la chambre. »
Cette petite fille battante, Fifi Brindacier, Poulbot tombé du ciel des turbulences est bouleversante. Son enfance dessinée à la craie est un cerf-volant lâché en plein vol.
« Peut-on être aussi grande que l’oubli en soi ? »
Il est de ces livres résistants qui encerclent l’époque et le lieu, les hôtes et les sous-bois, les sentiments et l’endurance aux douleurs. L’implacable soumission aux difficultés et aux errances. Les rêves inachevés. Ce livre est de ceux-là. Le plein de vie et le cruel de la solitude. L’orpheline chanson pure d’une enfant que l’on aime de toutes nos forces. « Mamou » est un classique de haute littérature. Sa douceur est une révérence, la petite fille est un modèle de persévérance pour tous les enfants du monde. Culte. A noter, La première de couverture expressive (que cette tasse est symbolique !) & jardin sur les genoux, illustrés par Danka Hojcusova et les illustrations intérieures, expressives et époustouflantes d’Elza Lacotte. Le texte intégral traduit du hongrois par Zsuzsa Kosza. Publié par les majeures Éditions Le Ver à Soie.
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