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Un premier roman qui fait l'unanimité : "Ces rêves qu’on piétine", de Sébastien Spitzer

Un premier roman qui fait l'unanimité : "Ces rêves qu’on piétine", de Sébastien Spitzer

« En tant que romancier, je pense qu’il faut regarder l’histoire en face, droit dans les yeux, la fixer, essayer de la comprendre, plonger dans ses méandres, dans ses coulisses intimes, sans jugement »

Un premier roman pour une toute nouvelle maison d’éditionCes rêves qu'on piétine de Sébastien Spitzer (ed de l’Observatoire) a reçu le Prix Stanislas du festival littéraire « Le Livre sur la place » dès le commencement de la rentrée littéraire. Il fait l’unanimité sur lecteurs.com, parmi les premiers lecteurs que sont les explorateurs de la rentrée. Ils ont souhaité lui poser quelques questions sur le difficile exercice de traiter des monstres dans l’Histoire.

 

Hormis l'infanticide, qu'est-ce qui rapproche Magda Goebbels du personnage de Médée ? N'en est-elle pas plutôt le reflet inversé puisqu'elle n'agit pas par amour ?

Vous avez raison. L’infanticide de Magda est un acte volontaire, pesé, réfléchi. Ce n’est pas une réaction tragique dans un moment de folie. C’est une déclaration. Par opposition, Médée est la figure de la femme bafouée. Elle tue ses enfants et se déchire le ventre dans un moment de désespoir et de folie amoureuse. Magda ne prive pas Joseph Goebbels de ses enfants. Ils se sont mis d’accord. Toutefois, c’est le reste du monde qu’elle prive de ses enfants, de sa descendance, de la trace génétique d’elle et de Goebbels et d’un jugement probable. À mes yeux, cette privation est le point de convergence symbolique de ces deux femmes, priver l’autre d’un prolongement de soi. Le lui retirer des mains au moment où la crise atteint son paroxysme.

 

Quel est le déclencheur qui a conduit à écrire sur un tel personnage ?

L’idée est venue d’une discussion avec un ami journaliste qui s’apprêtait à réaliser un documentaire sur Hitler et ses proches pour M6. Je lui ai demandé s’il abordait l’histoire de Magda Goebbels, cette femme donnée à des millions d’Allemands en exemple de femme idéale, de mère de famille parfaite et qui dans l’ombre, aux derniers jours du Reich, décide de tous les tuer ? Le documentaire ne l’abordait pas. De mon côté, j’ai commencé mes recherches, pour comprendre un tel acte, chercher à comprendre le moteur intime de cette femme, mère, infanticide. Remonter son histoire personnelle. Plonger en elle.

 

Pour vous, Magda Goebbels est-elle un monstre ? L'insérer dans une fiction a-t-il posé problème ? Oui, cette louve nazie est monstrueuse. Elle tue ses enfants. Elle laisse mourir l’homme qui l’a élevée pendant des années, je veux parler de son beau-père : Richard Friedlander, mort en camp de concentration. L’insérer dans une fiction ne m’a pas posé de problème. En tant que romancier, je pense qu’il faut regarder l’histoire en face, droit dans les yeux, la fixer, essayer de la comprendre, plonger dans ses méandres, dans ses coulisses intimes, sans jugement, et finalement d’exhumer la mémoire de cet homme, son beau-père, père adoptif, Richard Friedlander, berlinois, commerçant, juif. Ce livre m’a permis de mettre en lumière la part d’ombre de cette femme, la vie de ce père qu’elle a voulu cacher aux yeux du monde. Je crois que la mort de cet homme est ce qui qualifie le mieux cette femme. Ce père sacrifié est au creux de mon livre et hante le roman de cette femme.

 

Comment avez-vous résolu ces problèmes et ce rapport à l’histoire qui peut freiner la fiction ? L’Histoire est une source infinie d’histoires. Le terreau absolu, la plus fabuleuse des sources. Un trésor. Mais elle est exigeante. Elle laisse des traces. Pas question de la trahir. Il a fallu jongler avec plusieurs impératifs : celui de la rendre vivante, et celui de son poids, colossal, immense. Cette période de l’histoire a causé la mort de millions d’individus. Pas question de trahir leur mémoire et les rares traces qu’ils ont laissées, comme celle de cette petite fille, Ava, née comme des milliers d’autres à Birkenau. Survivante. Il y eut quelques-uns. Très peu.  Ava est une figure d’espoir. L’enfant née au cœur du pire des camps de la mort. Surtout, c’est elle, Ava, l’enfant, qui porte la mémoire de cet homme, de Richard Friedlander. Elle porte ses lettres, ses appels au secours qu’il a écrits à l’intention de Magda Goebbels.

 

Quelles contraintes, quelles limites vous êtes-vous données ? Le respect de la mémoire des déportés, de ceux qui ont subi cette histoire, cette folie, dans leurs chairs. Je voulais travailler dans un cadre, faire mes recherches au mémorial de la Shoah, traverser chaque matin les murs des noms des déportés, comme un sas, une morale intime, un garde-fou, comme si tous ces noms gravés me rappelaient à chaque passage qu’il ne fallait pas les trahir, pas travestir leur mémoire.  Et puis, éviter de sombrer dans cette fascination morbide de la puissance de mort nazie. Je n’éprouve aucune fascination pour eux, aucune admiration. Je ne voulais pas m’inscrire dans cette veine-là.

 

Avec les questions de Sophie Gauthier

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