A l'occasion du trentième anniversaire de la disparition de Simone de Beauvoir, Agathe Bozon nous présente le livre de Marie-Jo Bonnet "Simone de Beauvoir et les femmes" paru chez Albin Michel.
Du mythe Beauvoir à la réalité
À l'aube du trentième anniversaire de la mort de Simone de Beauvoir (1908-1986), Marie-Jo Bonnet, grande spécialiste de l'histoire des femmes, de l'histoire de l'art et de l'homosexualité féminine livre un essai passionnant sur un pan de la personnalité longtemps tu de celle que Sartre appelait le Castor.
On ne naît pas homosexuelle, on le devient
Grande militante de la cause des femmes, Marie-Jo Bonnet brise le mythe de l'auteure du Deuxième sexe, ce monument de la philosophie contemporaine sur le féminisme.
En effet, Simone de Beauvoir, figure incontestée du féminisme et de la libération de la femme a passé sous silence, dans ses écrits mais aussi dans sa vie, les relations homosexuelles, qu'elle entretenait, souvent avec ses jeunes étudiantes. Le mensonge trahit-il un manque de liberté, ou la liberté peut-elle se vivre sans mensonge ?
Marie-Jo Bonnet avertit dès l'introduction : "Il est clair que ce qui est le plus intéressant chez les êtres est précisément ce qu'ils cachent", or, ce pan de la vie de Simone de Beauvoir n'apparaîtra pas dans Les mémoires, ou de manière plus que discrète.
Alors en quoi le fait de cacher ses amours féminines a-t-il inspiré la pensée de Simone de Beauvoir, en quoi cela a-t-il influencé son refus du mariage et des enfants ?
Analysant les relations féminines entretenues par Simone de Beauvoir depuis l'enfance, Marie-Jo Bonnet, qui a recontré la philosophe, en 1971, aide à comprendre pourquoi malgré le décalage entre le discours émancipateur porté par la philosophe engagée et sa vie cachée, Simone de Beauvoir reste la référence et la figure de proue du féminisme contemporain.
Entre conscience cruelle et inconscience des autres
Si Simone de Beauvoir tait son homosexualité dans son œuvre, il en est tout autrement dans sa correspondance privée, à l'instar de sa lettre du 2 janvier 1948 adressée à Nelson Algren, un des meilleurs écrivains américains de son temps avec qui elle entretint une liaison et auquel elle écrivait : "Quand j'étais professeur, elles tombaient fréquemment amoureuses de moi, ce qui ne m'a pas toujours déplu, trois ou quatre fois même je me suis laissé prendre au point d'en arriver à me conduire très mal (…) si pour moi c'était plaisant mais sans véritable importance, pour ces filles, au moins pendant un temps, ça en avait une considérable. (…)"
Le premier amour que connut Simone de Beauvoir fut féminin, incarné par Zaza, qu'elle rencontra quand elle avait 10 ans et qui avait le même âge qu'elle. Un amour contrarié, car Zaza avait une hétérosexualité affirmée.
Suivent les années Sorbonne et les années de guerre. Sarte et Beauvoir aiment la même femme entre 1938 et 1940, Bianca, élève de Simone qui racontera dans ses Mémoires d'une jeune fille dérangée, la naissance de sa liaison avec sa professeure.
Marie-Jo Bonnet éclaire aussi le lecteur sur l'indifférence manifeste de Simone de Beauvoir à l'égard de ses contemporains, qui écrivait le 10 juin 1940 dans son Journal : "(…) les Suisses rôdaient par là, et je me suis refait une figure pour aller boire avec eux un mauvais champagne abandonné par une Autrichienne envoyée en camp de concentration. Ça m'a fait un peu de bien."
Née à Deauville, en 1949, et militante historique de la cause féministe, Marie-Jo Bonnet, docteure en histoire a participé dans les années 1970 au MLF (Mouvement de libération des femmes). Elle a beaucoup écrit sur l'histoire de la résistance et de l'occupation et fut la première à soutenir une thèse sur l’amour entre femmes, en 1979, sous la direction de Michelle Perrot.
Agathe Bozon