C’est au cours du XXe siècle que le regard de l’art et le regard sur l’art ont significativement changé.
Benjamin Olivennes revient, pour Lecteurs.com, aux origines de cette bascule de l’art en soi vers le marché de l’art, à la suite d’une grande conversation menée autour de son livre, L’Autre art contemporain (Grasset), dont nous avons déjà publié la première partie ici.
- On a l’impression que désormais l’art en soi ne suffit plus s’il ne « dit » pas quelque chose. D’où vient ce besoin d’un discours d’abord sur, puis incorporé dans l’art ?
Je crois que la plupart d’entre nous ne peuvent se passer de discours. Pendant longtemps, ce discours a été fondé sur la religion, et les artistes se sont dépassés eux-mêmes pour représenter le mieux possible une fuite en Égypte, une Nativité, une Annonciation. Il se trouve que le discours de notre époque est infiniment plus pauvre. Combien de fois avons-nous entendu d’une « œuvre » contemporaine que c’était « une réflexion sur la société de consommation » !
- L’art semble davantage se définir par sa valeur marchande ou spéculative. Mais au fond, cela n’a-t-il pas toujours été le cas ?
L’art a toujours été un bien de luxe. Une jolie montre coûte cher, un tableau peint par un orfèvre de son art coûte encore plus cher (en vous disant cela, je pense à Dürer, qui venait d’une famille d’orfèvres et qui se destinait à ce métier). Je n’ai pas d’opposition à cela. Mais ce qui s’est passé dans les années récentes est le passage de l’œuvre d’art qu’on paie cher parce qu’on la trouve belle, à l’oeuvre d’art qu’on paie cher parce qu’on veut la revendre encore plus cher ; de la valeur d’usage à la valeur d’échange ; du luxe à la spéculation.
- Nous pouvons être également touchés par Bosch, Rembrandt, Delacroix, Monet, quelles que soient leurs époques. Ne devrions-nous pas attendre que la postérité fasse son travail avant de condamner des Damien Hirst ou Maurizio Cattelan, par exemple ?
On se fait une idée magique de la postérité. La postérité, ce sont tout simplement les jugements du public tels qu’ils évoluent dans le temps. Mais il faut bien que quelqu’un trouve une œuvre belle au début pour ensuite convaincre les autres. Autrement dit il faut commencer à juger dès maintenant ! Confrontons les avis sur les œuvres, et il est possible qu’avec le temps l’un des avis l’emporte sur l’autre. Ce n’est que cela, la postérité.
- Dans ce regard que vous portez sur l’art de notre temps, le public est finalement bien peu agissant. La réception puis la postérité d’une œuvre tiennent-elles davantage à ce qu’en décidera le marché de l’art ou ce que le public, représentant d’une époque, en fera ?
Le public a sauvé bon nombre d’artistes que les critiques condamnaient. Bonnard, Hopper, Lucian Freud, Klimt, Schiele, tant d’autres. Vallotton. Il faut que des commissaires d’exposition courageux continuent de lui proposer d’autres artistes, et il saura récompenser ces propositions alternatives.
- Que s’est-il passé dans notre histoire occidentale pour que l’œuvre s’amuït au profit des artistes ?
La divinisation des artistes, à mesure que nous sortions de la religion et que ceux-ci conquéraient des pans entièrement nouveaux de la réalité, avec la perspective, le clair-obscur, ou l’impressionnisme. Cette divinisation est très compréhensible - je la pratique moi-même à longueur de journée - mais elle est dangereuse, car elle libère l’artiste de toute chaîne, de toute obligation, de toute responsabilité, responsabilité à l’égard du monde et du public.
- Vous évoquez l’art très « français » d’un Jacques Truphémus. Mais qu’est-ce que cette expression signifie en soi, et a fortiori dans un époque totalement mondialisée ?
La peinture, la vraie, ne triche pas. Elle nous dit tout de son auteur, elle nous parle de ses forces et de ses faiblesses, de ses peurs et de ses désirs. Elle nous parle aussi de son pays d’origine, de son lieu, de son époque. Quand on connaît la tradition picturale française, celle de Chardin, de Corot, de Bonnard, on la voit palpiter dans l’œuvre de Truphémus.
- Des arts émergents comme la photographie, le cinéma, des techniques comme l’industrie ou l’informatique, l’esthétique du jeu vidéo n’ont-ils pas poussé la peinture dans ses retranchements, l’évinçant du figuratif, de peur de répéter les peintres antérieurs ou imiter péniblement le réel ?
La photographie existait déjà à l’époque de l’impressionnisme, même si elle était moins développée qu’aujourd’hui. Je crois que les outils archaïques du peintre, l’oeil, la main, les pigments, les pinceaux, ont encore des choses à dire à notre époque, malgré l’existence des autres techniques de l’image. Je vous concède que c’est devenu extrêmement difficile. J’en conçois d’autant plus d’admiration pour les grands peintres d’aujourd’hui.
- L’analyse que vous faites de l’art contemporain concerne essentiellement les productions de l’Occident. Que pourriez-vous dire de la place qu’occupe l’art dans d’autres cultures et de nos jours ?
Je la connais mal et c’est à d’autres que moi d’en parler. Si j’en juge par ce qui se passe en Chine, il me semble que tout le monde essaie désormais de faire de l’art contemporain à l’occidentale, c’est-à-dire à l’américaine, au lieu de se plonger dans l’immense ressource que pourrait être, par exemple, la peinture de la dynastie Song.
- Que faudrait-il pour que l’art contemporain sorte des effets de mode et devienne un vivier de créateurs dont l’œuvre prévaudrait sur le poids économique de leur auteur en s’affranchissant de tout discours conceptuel ?
Je n’ai pas la réponse. Peut-être forcer les gens qui achètent une oeuvre d’art à vivre avec elle dans leur salon. On lutterait ainsi, et contre la spéculation, et contre la bureaucratie. Et peut-être aussi contre les dîners en ville, car on voudrait s’épargner le mauvais goût des autres.
- Au fond, avec L’Autre art contemporain (Grasset), avez-vous vraiment écrit un essai sur l’art ? Ce prisme n’est-il pas « seulement » un vecteur pour examiner les travers du monde dans lequel nous vivons ?
Je crois que la situation de l’art dit beaucoup de choses de notre époque en général, en effet. Nous avons mis l’art au sommet de notre hiérarchie des valeurs. Nous demandons à l’école de stimuler la créativité des enfants. Examiner l’art que notre époque célèbre, c’est aussi examiner la façon dont notre époque se considère elle-même.
Propos recueillis par Karine Papillaud
Bonjour, c'est intéressant.
L'art et ses artistes, l'art et son époque, l'art et le public, l'art et l'argent..
Sincèrement, pour moi c'est l'émotion qui prime que ça soit pour un tableau ou pour un livre.
C'est vrai que je me pose parfois des questions par rapport à tout ça... est-ce que vraiment un tableau doit vouloir dire quelque chose ? Est-ce qu'il faut toujours interpréter ce que l'on voit ? Est-ce que on est obligé de faire "semblant" d'aimer? Est-ce que les gens qui achètent des œuvres très très très cher cest juste parce qu'ils qui les aiment ou juste parce que c'est de la spéculation ?
Créer c'est beau. Créé ça devrait se passer de commentaire à la limite. Créer c'est une energie.
Créer c'est la liberté.
J ai oublier de signaler que le 1er livre je ne l ai pas lu ok
Tres intéressant sue ses peintres ,, ils on leurs histoires ,leurs styles de peintures, pourquoi a decouvrir toujours interessant