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Claire Castillon à propos de "Ma grande" : Le livre est né de l’envie de raconter une histoire de violence invisible

"Il paraît qu’on peut rester une vie entière avec une fille à cause du souvenir des premiers jours..."

Claire Castillon à propos de "Ma grande" : Le livre est né de l’envie de raconter une histoire de violence invisible

"Ma grande", ce sont les seuls mots qui la calment un peu. Mais comment vivre avec cette femme ombrageuse, hystérique, maltraitante ? Le narrateur du roman de Claire Castillon n’y parviendra pas puisqu’il a fini par la tuer, par s’en débarrasser, la liquider sans traces. Malgré la mort de cette femme qui lui a pourri la vie pendant des années, il continue de l’entendre et de lui parler, marqué qu’il a été par le pli de ses habitudes et rodomontades à elle. Et il l ‘écrit dans ce livre même que le lecteur a entre les mains, se substituant à la voix discrète de l’auteur, Claire Castillon.

 

Des années de vie s’égrènent, la petite fille qui naît, le vrai-faux amant qu’elle invente pour le faire réagir, le faux cancer, l’aubaine d’un divorce vite abandonné de peur de voir cette femme s’occuper seule de l’enfant. Alors il reste, mais il perd les mots, symbolique d’une liberté aliénée. « Plusieurs fois, j’ai respiré en le disant qu’elle était comme ça pour tout le monde, la vie, et pas si moche ». Les petits accommodements du quotidien. Peu ou prou, cela ressemble à beaucoup de vies ordinaires. Mais le narrateur a soif d’un absolu peut être inquiétant. Au fond, qui peut garantir que les choses se sont réellement passées comme lui le raconte ?

 

« Il paraît qu’on peut rester une vie entière avec une fille à cause du souvenir des premiers jours » : derrière le récit d’une histoire d’emprise et de colère, c’est le lien amoureux que Claire Castillon questionne avec beaucoup de subtilité. Peut être aussi a-t-elle cerné les enjeux de l’amour pour les hommes. Ce qu’on endure, le piège du couple, le quotidien qui défile tout seul et invite au lâcher-prise et à l’oubli de soi. C’est commode, aussi.

 

A l’heure où les violences entre les femmes et les hommes ne cessent de faire la Une des journaux, Claire Castillon, qui écrit en ce moment l’adaptation cinématographique des Messieurs pour le cinéma, a pris le temps d’un entretien pour lecteurs.com pour évoquer les origines et les coulisses de son roman.

 

- Claire Castillon, dans Ma grande, le lecteur est plongé dans les pensées d’un homme qui a tué sa femme parce qu’elle le maltraitait. Quel est l’état d’esprit de votre protagoniste dans le livre ?

Un matin, ses mots le reprennent. Il a tué sa femme il y a quelques temps et le raconte, avec le besoin imminent de s’adresser à elle, comme pour lui montrer que ses mots sont revenus. Ses mots qu’il avait perdus quand il était avec elle tant il était besoin de tout calculer, à chaque instant, pour ne pas provoquer sa colère ou sa jalousie. Oui, en gros, c’est ça, il reprend ses mots avec le souci de raconter ce qui s’est vraiment passé, pour lui, et l’espoir, en le racontant, que ça sorte de sa tête.

 

- D’où vient le livre ? Pourquoi avoir pris le point de vue d’un homme maltraité ?

Je crois qu’il est né de l’envie de raconter une histoire de violence invisible. Jusqu’à maintenant j’avais surtout fait parler des femmes. J’avais envie de donner la parole à un homme. Un homme qui n’est pas glorieux mais faible, humilié par sa femme. Ca pourrait être un drame domestique mais j’ai voulu que ce drame domestique ait une dimension tragique. Au sens antique du terme.

 

- Comment la forme du roman s’est-elle imposée ?

Ca, c’est quand même le mystère à chaque livre. Au-delà de l’histoire que je semble vouloir raconter, il y a la voix qui s’impose, au début de l’écriture. A chaque début de livre, je me pose la question de la personne qui parle, homme, femme mais pas seulement. Enfant ? Mort ou vivant. Je décrypte la voix qui vient. C’est vraiment bizarre ce passage-là, où je sens une voix de personnage absolument claire, délimitée, avec une personnalité quasi installée, et où je me dis Heu… Qui es-tu? Récemment, j’écrivais un début de livre et quelque chose clochait : c’était un enfant mais je me disais tout le temps qu’il était bizarre, jusqu’à ce que je me rende compte qu’il était mort. Donc c’était un fantôme.

 

- Vous vous placez dans la tête d’un meurtrier. Ce n’est la première fois que vous investissez la psyché d’un criminel...

Dans Pourquoi tu m'aimes pas ?, je racontais l’histoire d’un mauvais enfant devenu mauvais homme, quelqu’un qui ne voyait pas bien la différence entre le bien et le mal. Tout devait concourir à sa satisfaction immédiate. Dans Les merveilles, c’était autre chose : une femme mentait à son mari, lui faisant croire qu’elle faisait des ménages alors qu’elle se prostituait pour gagner davantage, jusqu’à ce qu’elle tue un gars qu’elle avait bien appréciée mais qui la collait trop. Et surtout, qui parlait trop! On voyait bien que le meurtre était là, sur sa route, et qu’au lieu de descendre de la voiture à la fin du livre, elle laissait le meurtre s’abattre sur elle. Elle prenait cette voix là. Ce sont souvent des personnages qui le pratiquent parce qu’à un moment c’est la méthode la plus « simple ». Dans Ma grande, le mari tue sa femme pour une parole en trop. Et une fois qu’il est lancé, il ne peut plus faire taire son geste. Il avance, il continue. Il fait malgré lui. 

 

- La violence, les liens violents dans le couple, la famille semblent vous habiter. Que poursuivez-vous avec ce thème ?

J’aime bien écrire sur le dessous des choses. Ressentir les troubles qui, d’ordinaire, nous font baisser les yeux. Vous voyez, comme dans Le Mépris. On a le choix de ne pas voir, d’absorber, d’inventer. En fait, il faut beaucoup plus d’imagination pour ne pas voir que pour voir. Alors voilà, je parle de ça, de mon manque d’imagination pour sublimer quand le sublime est parti. 

 

- Qu’est ce qui vous met à l’œuvre d’un livre ?

Quelque chose entre la faim et le sommeil, un truc irrépressible fait de « J’ai envie ». Un appel. Le vide sinon. Je suis toujours tellement soulagée quand je termine un livre. Mais il ne me faut pas une heure pour dire « Il faut absolument que je trouve un livre là », et moins de deux pour commencer à écrire. Et à peine plus de trois pour pester sur le fait que j’aimerais tant qu’il soit terminé. Quand il est terminé, j’imagine toujours que je vais faire une pause. Et rien. Pas de pause. En fait, je sais qu’il n’ y aura jamais de pause. 

 

 

Propos recueillis par

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