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Un jour d'août 1812, le jeune Jacques-François Martin, qui n'avait pas encore 18 ans, reçut l'avis signé du duc de Feltre, ministre de la guerre, qui le nommait pensionnaire de l'Ecole spéciale
impériale militaire de Saint-Cyr. C'était un mercredi soir, le vendredi matin il était en route. A cette époque le Grand Empire n'avait encore connu aucune défaite majeure et de vagues envies de
voyage et de gloire avaient motivé la demande du jeune homme. Le gouvernement impérial voyait favorablement ces candidatures de futurs officiers : il passa avec succès l'examen préalable de la
commission préfectorale du Léman. Car le jeune homme était suisse. Avec toute la vitalité de la jeunesse et dans l'ambiance survoltée de la geste napoléonienne, il se voyait devenir maréchal de
France. Trois ans plus tard l'Empire disparu, le jeune homme devenu lieutenant rentrait chez lui, dans une confédération helvétique à nouveau indépendante. Un demi-siècle plus tard, dans les années 1860, le « vieillard » Martin entreprit le récit de sa vie militaire. Il disposait pour cela de ses souvenirs et surtout de ses lettres de l'époque et des relations de ses campagnes de Saxe et de Belgique qu'il avait rédigées à son retour en 1815. Il s'agit donc bien d'un récit de vie personnelle, de vie quotidienne. S'il est commenté avec la distance de l'âge et la morale, digne d'un pasteur, d'un homme aux exigeantes convictions humanistes et religieuses, il n'en est pas moins riche en détails, en anecdotes et descriptions pittoresques. Dans ces Souvenirs, on pourra lire avec curiosité et intérêt la description minutieuse des quatre mois passés à l'Ecole de Saint-Cyr. Les observations sur son statut de jeune officier et l'apprentissage du commandement approfondissent notre connaissance des réalités de la vie en campagne et des manoeuvres sur le terrain. Entre les combats épisodiques, manger et dormir sont les soucis primordiaux du soldat dépourvu de tout soutien logistique. Après les combats, il faut encore souffrir sans garantie de soins si l'on est blessé, et pour certains, dépouiller les morts si l'on est indemne. Les pages sur la retraite vers le Rhin après Leipzig (1813) jettent une lumière nouvelle et cruelle sur le délabrement moral et physique de l'armée difficilement reconstruite après la catastrophe de Russie. Le typhus ajoutait encore aux malheurs et la vulnérabilité de la troupe. Le récit de la bataille de Waterloo où il est blessé livre une expérience du combat peut-être plus juste et représentative dans sa brutalité et sa confusion que les actes héroïques souvent ressassés. De la victoire à la défaite, la marge est étroite et une troupe passe vite de l'assaut enthousiaste à la débandade irrépressible. Et l'occasion s'en présenta souvent dans les dernières campagnes. Ces Souvenirs, élégamment écrits par un homme cultivé, jamais réédités depuis 1867, ont la qualité que souligne leur rigoureux auteur en citant Montaigne : « Cecy est un livre de bonne foy. »
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