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Le cinéma, on le sait, n'a en rien échappé à cette mutation. Aux bouleversements initiés par l'avènement du numérique il y a plus de vingt ans - transformant pratiques de tournage, techniques de fabrication, facture des images et des sons, modes de production et de diffusion -, se sont ajoutés l'informatisation amplifiée des techniques de tournage et de postproduction, entraînant l'usage de supports toujours plus volatiles, l'hyperfluidité de leur circulation et la démultiplication de modes de diffusion nomades, reléguant la séance de projection en salle à côtoyer la série des divers moyens qui nous sont donnés aujourd'hui de voir un film.
Le cinéma n'a pas seulement perdu l'exclusivité des images en mouvement, il est cerné de toutes parts, mêlé à la myriade des flux visuels qui irriguent le monde, concurrencé par une prolifération indéfinie d'images constamment disponibles (de celles innombrables postées sur les plateformes telles You Tube à celles des jeux vidéo, des chaînes d'info en continu aux séries télé, des podcasts aux webdocumentaires, etc.) et désormais présentes dans la plupart des espaces que nous traversons (des bandes vidéo et animations 3D émaillant les espaces publics, aux vidéos d'artistes et films d'archives ou autres qui peuplent expositions, musées et galeries d'art).
Constat qui ne vas pas sans celui-ci : nous ne cessons pas nous-mêmes de nous surprendre sous les traits et postures de spectateurs mutants : allant et venant d'un régime de visibilité et d'un écran à l'autre ; passant sans transition ni heurt d'un fragment de vidéo attrapé sur You Tube à l'immersion durant deux heures dans l'obscurité d'une salle de cinéma, du téléchargement de films au visionnage d'un clip, etc. Devenus de plus en plus agiles dans l'art de multiplier les pôles d'attention, d'échantillonner selon divers degrés nos facultés de perception, elles-mêmes fragmentées entre lecture, navigation, écriture et regard-écoute.
Toutes choses qui ont récemment (et légitimement) fait naître une inquiétude quant à l'avenir du cinéma, la crainte de le voir absorbé dans le grand magma audiovisuel de la diffusion diffuse, ou dispersé dans des formes filmiques (vidéos et installations d'artistes) qui n'en permettent que rarement l'expérience. D'où le souci de redéfinir ce qui aujourd'hui serait digne d'en porter le nom ; de demander ce qu'il en reste (Jacques Aumont, Que reste-t-il du cinéma ?), le besoin de réexaminer ce qui en constituerait le noyau essentiel, les conditions de possibilité et d'existence (Raymond Bellour, La Querelle des dispositifs).
Les questions qui nous intéressent ici, si elles ne sont pas sans croiser de telles réflexions (qu'en est-il des propres du cinéma ?), regardent cependant en direction inverse : Que devient le cinéma à l'ère de l'hypervisibilité ?
Comment les nouvelles configurations dans lesquelles il se trouve saisi l'incitent à se modifier intérieurement, à procéder à des combinaisons inédites, voire à se déborder lui-même, ou à migrer vers des objets, des territoires qui ne sont pas les siens ? Et de quelles façons ces transformations et déplacements font écho aux mutations qui informent nos existences ?
On tentera d'aller trouver des éléments de réponse en explorant, d'une part, cet ensemble de films (dits « Found footage ») qui, depuis quelques années déjà, se sont emparé des images sans qualité, fabriquées et diffusées hors du cinéma : de ceux construits sur le principe du home movie (Cloverfield, Home Movie, Diary of the Dead, Chronicle.) à ceux dont le récit s'échafaude à partir d'une masse d'images de provenances multiples (télé, internet, caméra de surveillance, webcam-Skype, etc.), tels Redacted, REC, The Bay, jusqu'au récent et problématique Eau argentée. Ensemble auquel on peut adjoindre les oeuvres qui jouent de la collusion entre la « saleté » ou la platitude des images quelconques et la densité de celles du cinéma (Film Socialisme) ; celles qui cherchent à exposer, en l'incorporant à leur propre facture, l'informe que fabrique divertissement et connection de masse - de Facebook au vidéo-clip, en passant par le selfie et les jeux vidéo - (Spring Breakers), ou encore celles interrogeant la place qu'occupe la simulation vidéo dans les représentations et modes d'appréhension du réel (Serious Game de Harun Farocki).
On se penchera également sur cet autre ensemble, sans doute moins évidemment repérable et plus dispersé, réunissant des films qui se risquent à de nouvelles formes d'hybridités - entre autres celles propres à bouleverser les rapports de correspondance ayant jusqu'ici prévalu entre registres esthétiques et procédés techniques. Ainsi des expérimentations que réalise Avi Mograbi dans Z 32, via les trucages numériques qu'il greffe sur son matériau documentaire, apposant sur le visage de son personnage (un soldat israélien désireux à la fois de confier sa culpabilité et de garder l'anonymat) des visages de synthèse propres à figurer les clivages dans lesquels il est pris.
Ainsi de l'entreprise de Philippe Parreno et Douglas Gordon déployant un arsenal de caméras HD et 35 mm autour du spectacle d'un match de foot pour y faire apparaître, entre retransmission télé et regard amoureux, mauvaise définition d'images dupliquées et texture photographique ultra fine, un portrait intime de Zinedine Zidane (Zidane, portrait du 21ème siècle). Ainsi encore de l'usage que fait Godard de la 3D dans Adieu au langage, en soumettant le petit théâtre du quotidien à la voluminosité à la fois impressionnante et dérisoire du relief, mais aussi en déréglant la logique optique de la 3D pour produire des plans qu'on n'avait encore jamais vus.
Convocation de toutes les sortes d'images qui prolifèrent aujourd'hui, montages et télescopages de régimes de visibilité et/ou de figuration hétérogènes, invention de combinaisons inédites, propres à produire des déroutes sensorielles et perceptives : les films qui composent ce corpus éclectique ne cessent, sur des modes divers, de mettre en jeu notre statut de spectateur mutant. Il semble qu'une part du cinéma contemporain ne se conçoive désormais qu'à travers le prisme des phénomènes, gestes, perceptions et représentations autres - et encore en partie indéfinissables - qu'enfante le monde de l'hypervisibilité. Monde où les images ne sont plus seulement objets de regard, mais cette matière « immatérielle » qui nous environne et que nous pouvons continûment faire apparaître au bout de nos doigts. Mais aussi : monde où le cinéma en vient à occuper une position instable, à la fois soumis à un processus de dispersion et destitué de sa place de référent premier en matière de production d'images, tout en constituant encore le fonds des fictions, des imaginaires, des motifs et figures dont provient ou sur lequel se détache aujourd'hui n'importe quel film (qu'il relève du cinéma ou des formes secondes venues après lui).
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