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Tout commence devant la vitrine d'une pâtisserie viennoise, où une mystérieuse dame en noir nous n'apprendrons son nom, à savoir la comtesse Hohenembs, que plus tard invite une jeune femme (la narratrice) à partager avec elle une part de kouglof. Quoi de plus anodin qu'un kouglof ? Sans trop savoir pourquoi, cette dernière accepte et la suit dans un appartement à l'atmosphère confinée où l'accueillent deux perroquets, un chien envahissant et une employée de maison grassouillette du nom d'Ida, et où s'amoncellent portraits et médaillons de l'impératrice Sissi. C'est le début pour la narratrice d'une inexorable rechute dans une boulimie dont elle se croyait à jamais préservée. « L'étrange masque de l'anormalité qui avait sommeillé en moi resurgissait. C'était la première fois depuis quinze ans. J'ai toujours su qu'il n'y avait pas de filet de sécurité. Mais je n'aurais jamais imaginé que cela se produirait d'une manière aussi peu spectaculaire [...]. Il avait suffi d'une visite chez une vieille dame.» Cette invitation est bientôt suivie d'une autre, puis de promenades et d'expéditions tout aussi délictueuses qu'extravagantes : lors de la visite du Musée Sissi à la Hofburg, « la » Hohenembs, fidèle réplique, dans sa coiffure et son habillement, de l'impératrice, subtilisera de sang froid une presse à canard ayant appartenu à cette dernière, et dont elle s'affirme la légitime propriétaire. Un autre jour, ce sera un monument dédié à Elisabeth, mais fort peu à son goût, qu'elle n'hésitera pas à plastiquer, resserrant par là même son emprise sur la narratrice, dont elle a fait, à son corps défendant, sa complice. Plus la première, telle une Veuve Noire, tisse sa toile autour de la seconde, et plus celle-ci devient sujette à des rechutes dans l'addiction alimentaire. Rechutes elles-mêmes ponctuées d'un cortège de pesées, de régimes et de jeûnes, mais aussi de séances de vomissement, décrites dans un style très réaliste, pour lesquelles la narratrice, que l'on pourrait qualifier, en paraphrasant Kafka, d « artiste de la faim », met au point un certain nombre de techniques de plus en plus perfectionnées. Si la boulimie est, en principe, un comportement assez spécifiquement féminin, et si les hommes, rares, n'apparaissent dans le roman que sous les traits de vieillards chenus ou grabataires, ... plus gros que le ventre est tout sauf un « ouvrage de dame ». En témoigne la maîtrise éblouissante de la narration où de nombreux passages en italiques, souvenirs de la dame de compagnie hongroise de Sissi, viennent ponctuer le récit de la narratrice. Tandis que ce dernier est parfois traversé de retours en arrière, ces inserts historiques anticipent au contraire et ceci sans que le lecteur n'y prenne garde les événements et rebondissements de la fiction, comme si leur enchaînement, et a fortiori l'enfermement de la narratrice, étaient inéluctables. À peine y est-il question, par exemple, de l'assassinat de l'impératrice par Luigi Lucheni à Genève, que, quelques pages plus loin, la Hohenembs s'empresse de déposer subrepticement, dans une salle du Musée des pathologies anatomiques, un bocal contenant la tête de Lucheni lui-même, conservée dans du formol, et dont la narratrice tout autant que le lecteur ignoraient qu'il se trouvait en sa possession. Il y a là un jeu avec les codes du psychothriller, en permanence déjoués à l'horreur sera préféré le grotesque, le glissement dans le macabre sera évité par l'humour distancé et un bonheur d'écriture à la vampirisation définitive de la narratrice fera écho la circularité du récit qui font de ce roman, à la fois sensible et captivant, un véritable tour de force.
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