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Il laisse dernière lui des actionnaires ruinés, un groupe au bord de la faillite et qui va disparaître dans un démantèlement rapide, des salariés perdus, un rêve pulvérisé. Et aussi l'image de ces derniers moments où il tentait de négocier une « indemnité » de 18 millions d'euros pour prix de son départ, le jour même où les actionnaires de Vivendi Universal en perdaient 6 milliards... Après la déroute de Jean-Marie Messier, l'homme qui avait voulu conquérir l'Amérique et qui damait le pion aux plus grands groupes de médias, le moment est venu de tenter de répondre à la question simple : comment en est-on arrivé là ?
Sans Messier, Vivendi Universal, bizarre créature transatlantique, n'aurait jamais existé. C'est lui qui fit valser le vieux mammouth de la France des affaires qu'était la Compagnie Générale des Eaux pour la mettre au service d'une stratégie patiente et délibérée de prise de contrôle de Canal+, et la transformer ensuite avec la reprise de Seagram-Universal en un géant mondial des médias, du cinéma à la musique en passant par la télévision, la presse et l'édition. L'ancien banquier d'affaires était ce que la France « pouvait produire de mieux » en matière de chef d'entreprise, assuraient les parrains, nombreux, qui s'étaient penchés très tôt sur le berceau du jeune prodige. Il avait suivi le cursus classique, mais brillant, de ceux que la méritocratie française promet aux plus belles destinées. Séduisant, sans complexe, le petit génie de la finance, dont il aimait les montages sophistiqués, semblait s'être transformé en « grand patron », surprenant les marchés par ses « coups » et ses « deals » de plus en plus audacieux. Rien ne l'intimidait, rien se semblait devoir l'arrêter. Multipliant les interviews, les séances photos, les apparitions télévisées, Messier donnait des leçons de tout à la France médusée : leçons d'Internet, de modernité, de politique sociale, de capitalisme mondial, et de « diversité culturelle ».
Sous les apparences - réputation soigneusement construite - d'un iconoclaste au pays du capitalisme de papa, Jean-Marie Messier fut en fait l'héritier d'un système français où les même vingt-cinq gardiens de la tradition siègent dans tous les conseils d'administration et se tiennent mutuellement par la barbichette. Et quand, pendant sa dernière année, des démons venus de loin se réveillèrent, il ne se trouva personne, parmi ceux qui étaient censés le surveiller, pour exiger des comptes et freiner ses folies. Vivant à New York dans un appartement dont il avait pensé pouvoir cacher le luxe, coupé des réalités de son groupe, dirigeant par fax et par e-mails, il s'embarque alors dans l'élimination de ceux en qui il voit les architectes principaux des conjurations qui viseraient à l'abattre : la direction de Canal+, restée à Paris. Il y parviendra, mais quand sa fin s'annoncera malgré tout inévitable, il continuera de penser qu'il a été victime de sombres complots - de l'establishment culturel français, de l'Elysée, de la famille Bronfman qui lui avait vendu Universal. Alors qu'il est tombé parce que le vieux capitalisme français dont il fut l'héritier avait finalement décidé, alarmé par la situation financière du groupe, de débrancher la prise.
L'heure est venue de comprendre comment on a pu prendre si longtemps l'aventure Messier pour une incarnation du capitalisme « moderne ». En grattant derrière la façade des apparences. Derrière la « transparence » financière, les montages complexes et la dissimulation. Derrière la « communication », la manipulation et les manoeuvres. Derrière le patron branché, l'échec internet. Sous les grands principes, l'esprit de lucre. Avec en permanence, au fil des ans, un ego qui se libère et n'en finit pas d'enfler au point de l'entraîner dans les délires de la fin.
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