"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Après des siècles de recherches et de fantasmes, la solution pour devenir immortel est enfi n trouvée. Il est alors décidé d'interrompre la croissance des humains à l'âge le plus productif : vingt-trois ans. Très vite, la Terre est surpeuplée et l'interdiction de donner naissance devient une nécessité. Toute femme trouvée enceinte est forcée d'avorter, tout enfant découvert vivant est abattu sans sommation.
Un couple va braver la loi à plusieurs reprises, jusqu'à ce que le petit June survive à la traque des puissants. Enfermé dans une cave pour sa protection, le garçon va s'échapper et se retrouver au coeur d'un groupe de rebelles : les Ephémères. Entre les capacités extrasensorielles de ces mortels et la déshumanisation lassante des immortels, June va se trouver face à un dilemme existentiel. La peur de la mort serait-elle le moteur d'une vie passionnante
Quel crève-cœur que de devoir sélectionner un unique petit extrait pour illustrer cette chronique au détriment de la myriade d’autres passages percutants et magnifiques dont regorge ce récit ! C’est un problème que j’avais déjà rencontré avec Absurditerre de la même autrice : chaque page abonde de petites phrases aussi belles que frappantes qu’on aimerait partager au monde entier ! Je suis définitivement sous le charme de la plume d’Azelma Sigaux, et dans la famille, je ne suis pas la seule : Absurditerre est devenu le livre préféré de Petit frère, pourtant grand réfractaire à la lecture, qui l’a déjà lu plus d’une dizaine de fois (à l’endroit, à l’envers, par chapitre …) et qui semblait intéressé par le résumé de ce nouveau roman, et maman est impatiente de découvrir Les éphémères sont éternels, ayant elle-aussi beaucoup aimé Absurditerre … Bref, autant dire que j’avais intérêt à le lire vite si je voulais pouvoir le terminer avant que quelqu’un ne me le pique !
2042. La mort est abolie : grâce à une découverte aussi prodigieuse qu’inespérée, l’immortalité est désormais une réalité. Au lendemain de leur vingt-troisième anniversaire, âge considéré comme le moment optimal de la vitalité, chaque individu doit recevoir sa première injection de Bogolux, injection qui sera renouvelée tous les trois ans. Parallèlement à cette obligation, l’interdiction d’enfanter est également décrétée afin d’éviter de surpeupler la planète … Mais certains couples bravent l’interdit et donnent illégalement naissance à des enfants. Pour protéger June, ses parents le gardent précieusement enfermé dans la cave. Mais, après dix ans de captivité forcée, le petit garçon s’échappe … Traqué par les forces de l’ordre, qui ont pour mission d’abattre sans sommation tout enfant, June ne doit la vie qu’à l’intervention de Bernie, mortel lui aussi. Le jeune garçon rejoint alors les rangs des Ephémères, poignée d’enfants recueillis par Bernie qui, comme June, ont développé d’étranges capacités extrasensorielles dont ils se servent pour tenter d’éveiller les consciences de ces immortels dépendants et déprimés de leur vie éternelle …
Depuis la nuit des temps, la grande quête de l’homme, c’est l’immortalité. L’abolition de la mort. La vie infinie. Pour ne pas perdre ceux qui nous sont chers. Pour ne pas sombrer dans l’oubli une fois revenus à la terre. Pour gagner quelques années de vie supplémentaire, les hommes sont prêts à tout … Même à disséquer semaine après semaine un malheureux poisson, unique en son genre, immortel et doté d’incroyables capacités autorégénérantes. Parce qu’après tout, ce n’est qu’un misérable animal, et nous sommes des Hommes, donc nous avons le droit de faire souffrir un simple poisson pour servir nos propres intérêts, n’est-ce pas ? Surtout si cela peut rapporter des sous aux puissants de ce monde … Mais ça, bien sûr, on ne le dit pas. Il ne faudrait surtout pas que ces milliards d’immortels en viennent à se rebeller contre l’ordre établi et qu’ils cessent de consommer du Bogolux ! Alors, on leur rappelle continuellement quelle est leur chance : « Le monde leur appartenait. Ils avaient l’opportunité de voir défiler les siècles, ils avaient la chance de ne plus manquer de temps. Ils pouvaient expérimenter tout ce qui leur traversait l’esprit. Ils étaient capables de survivre à toutes les folies. Jamais ils ne connaitraient les bombardements ni les cancers, et encore moins les problèmes de la vieillesse » …
Imaginez un monde peuplé d’immortels, un monde où les maladies n’existent plus, un monde où la vieillesse n’existe plus : tout le monde est continuellement en excellente santé, en bonne forme. On a tout le temps du monde devant soi : même les projets les plus titanesques deviennent réalisables. Alors que les « humains pré-Bogolux » mourraient sans avoir accomplis leurs rêves, faute de temps ! Imaginez un monde où la guerre est impossible : s’il n’est pas possible de tuer ses ennemis, comment voulez-vous mettre fin aux conflits ? Imaginez un monde à l’économie florissante, où il y a du travail et un logement pour tout le monde et où les problèmes financiers n’existent plus. Ça fait rêver, n’est-ce pas ? Je pense que si l’on nous proposait de choisir entre mortalité dans notre monde en perdition et immortalité dans cette société apaisée, on n’hésiterait pas bien longtemps … Même si cela signifie démembrer quotidiennement un poisson pour fournir suffisamment d’élixir de vie éternelle (« après tout, ce n’est qu’un animal ! » diront beaucoup).
Mais si je vous dis que cette vie éternelle se double d’une interdiction formelle d’avoir des enfants, d’une baisse progressive des facultés intellectuelles, d’une obligation de travailler ad vitam aeternam (« pour la vie éternelle », et ce n’est plus une expression), sans oublier une déprime grandissante au fur et à mesure que l’euphorie du début retombe … Cela vous donnerait-il toujours envie ? La vie peut-elle avoir un sens sans la mort ? C’est la première question que nous pose ce livre : « entre un magnifique mandala qui s’envole au moindre coup de vent et un tableau indélébile aux couleurs ternies par le temps, lequel des deux est le plus mémorable ? » … Entre une vie courte mais intense et une vie longue mais monotone, que préférons-nous ? Azelma Sigaux nous présente ici un monde figé, comme si le temps, au lieu de s’étendre comme on aurait pu le penser, c’était finalement arrêté. Chaque jour ressemble au précédent. Et ceux qui auparavant craignaient la mort sont désormais prisonniers à tout jamais de la vie. « Ne jamais tenter de mettre fin à ses jours » par le feu, voici l’une des grandes règles. Condamnés à vivre une vie sans joie, sans espoir, sans rêve. Et désormais, la mort ne viendra jamais les libérer de leurs tourments.
Face à ces immortels, il y a les Ephémères. Ces enfants miraculés, fruits de l’insubordination d’immortels bien décidés à donner la vie. Mortels, doués de capacités extrasensorielles, ces jeunes croquent la vie à pleines dents. Ils ont la tête et le cœur pleins de rêves. Leur vie est loin d’être aussi confortable que celle des immortels : traqués, ils sont obligés de se cacher dans un bunker souterrain, séparés de leurs parents, considérés comme des criminels qu’il faut abattre à tout prix … Et pourtant ils sont heureux. « La vie est courte, mais elle est belle », nous dit Bernie, doyen des Ephémères, qui voit sa fin approcher. Sans crainte, sans regrets. Car il a pris soin de ces enfants, de ses enfants – non pas de sang mais de cœur – et il sait que « la mort fait partie de la vie ». A ses yeux, c’est la peur de la mort elle-même qui « procure l’envie d’embellir notre existence et celle des autres » … Car Bernie ne se bat pas pour lui-même, il se bat pour les autres. Pour ces petits Ephémères qu’il a aidé à grandir, mais aussi pour ces immortels prisonniers de cette immortalité imposée par les autorités, prisonniers de leur esprit en pleine décadence …
En bref, comme je m’y attendais, Azelma Sigaux nous offre une fois encore un magnifique récit qui fut un nouveau coup de cœur. J’aime sa façon de raconter les histoires, et j’aime les histoires qu’elle nous raconte. J’aime l’équilibre qu’elle sait trouver entre récit captivant et éveil des consciences. J’aime la poésie de sa plume, j’aime le rythme de ses intrigues. J’aime ses personnages, attachants et fragiles. Et j’aime les messages qu’elle transmet sans en avoir l’air, j’aime sa manière de nous inviter à réfléchir sur la vie, sur le monde, sur notre société, sur nous-même. Je pourrais parler des heures durant de ses romans, tant ils me secouent, tant ils me passionnent, tant ils m’interpellent. Vraiment, Les Ephémères sont éternels est un roman qui plaira autant aux amateurs de récits de science-fiction qu’aux adeptes d’essais philosophiques, car ici, l’histoire se mêle habilement à la réflexion, et chacun peut y trouver son compte. Alors, n’hésitez plus et procurez-vous ce livre ! Et ensuite, posez-vous la question : préférez-vous le fragile coquelicot qui fane à peine cueilli, ou le solide mais morne bouquet en plastique ?
https://lesmotsetaientlivres.blogspot.com/2019/04/les-ephemeres-sont-eternels-azelma.html
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