Le possible est un spectre d'abord parce qu'il a une présence fantomatique qui flotte quelque part entre ce qui est et ce qui n'est pas. Pour que le possible soit réellement possible, ne faut-il pas qu'il ne soit pas déjà réellement réel ? Ensuite parce que le possible hante l'histoire de la philosophie : on le retrouve partout sans que son statut hybride (être ou non-être ?) soit tiré au clair. Le possible est omniprésent (chez Platon, Aristote, Leibniz, Hegel et Bergson), sans qu'on sache au juste ce qu'il est. Loin de chercher à dissiper ce spectre du possible, les philosophes qui l'ont le plus mobilisé se sont accommodés de son statut spectral. Ce livre se propose de dissiper le spectre du possible en redéfinissant le possible : non plus ce qui « peut être » mais ce que l'on « peut faire ». Le possible n'est pas une dimension des choses, mais un attribut pratique de l'homme (le faisable). Lorsque les philosophes parlent du pouvoir-être des choses, c'est au pouvoir-faire de l'homme qu'ils pensent.
Le livre part de la figure de Jean Valjean et aboutit à celle de Javert parce que le possible pratique connaît deux états opposés (ouvert et fermé) : le vertige devant l'océan des possibles parmi lesquels il nous faut choisir, et l'enfermement des individus dans un seul et unique possible, en l'occurrence la récidive (qui a volé volera). A l'heure où l'on « fiche » les individus, à l'aide des sciences notamment (fichier ADN), la figure de l'inspecteur Javert comme confiscation policière du possible ne retrouve-t-elle pas son inquiétante actualité ?
S'il est urgent d'interroger le possible, c'est pour ne plus oublier que l'homme seul en est la mesure.
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