La Revue de Presse littéraire de mars 2016
«oui je le hais je mourrais pour lui je suis déjà morte pour lui je meurs pour lui encore et encore chaque fois que cela se produit... pauvre Quentin elle se renversa en arrière appuyée sur ses bras les mains nouées autour des genoux tu n'as jamais fait cela n'est-ce pas fait quoi ce que j'ai fait si si bien des fois avec bien des femmes puis je me suis mis à pleurer sa main me toucha de nouveau et je pleurais contre sa blouse humide elle était étendue sur le dos et par-delà ma tête elle regardait le ciel je pouvais voir un cercle blanc sous ses prunelles et j'ouvris mon couteau.»
La Revue de Presse littéraire de mars 2016
Le récit est ardu, refuse de se rendre agréable dans un premier temps. Suivre voire survivre... C'est avant que l'auteur, par quelques géniales magies, envoûte le lecteur et l' accroche. Du moment où il a cédé et jusqu'au bout, la nourriture de l'esprit devient une compagnie magnifique.
J'avais oublié que lire Faulkner est une expérience tellement intense et déstabilisante, qu'on en ressort toujours un peu sonné, et c'est tant mieux !
1928, Mississippi. D'abord c'est Benjy qui raconte, l'aîné des enfants Compson. Muet et attardé, il est l'idiot de la famille. Alors, quand la narration suit sa pensée, c'est dans une frénésie incohérente, qui saute d'une époque à l'autre, d'un plaisir intense à une fureur hurlée. On n'y comprend pas grand-chose, mais on ressent dans ses tripes son impossibilité de dire, cet abîme qui le sépare du monde. La solitude de Benjy est accrue par l'absence de celle qu'il vénère, sa soeur Caddy, dont on saisit tour à tour l'absence au présent, et la tendre présence au passé, celle qu'il reconnaît à son odeur, celle des arbres, du chèvrefeuille. Des quatre parties du roman, c'est la plus difficile à suivre mais la poésie du flux de conscience de ce simple d'esprit frise le sublime.
Ensuite, 1910. C'est Quentin, l'autre frère de la famille Compson, étudiant à Harvard qui prend la parole. Lui aussi, de manière troublante, semble épris de sa soeur Caddy, dont il a du mal à digérer le mariage prochain. Là encore l'écriture de Faulkner suit ses pérégrinations mémorielles, et la nostalgie pour un passé perdu pour toujours affleure dans des fulgurances d'une grande beauté.
1928 à nouveau dans la troisième partie, celle de la violence du troisième fils, Jason, le plus détestable des Compson. Salaud absolu qui règne avidement sur la maisonnée, sur les serviteurs noirs, sur la mère pitoyable et sur l'autre Quentin (même prénom encore), la fille abandonnée de Caddy. Ivre de colère, il incarne le ressentiment de certains Blancs dépossédés dans un Sud des Etats-Unis qui n'a pas digéré la guerre de Sécession.
Et il y a Dilsey, enfin, la domestique noire et vieillissante, seule consolation dans cette famille maudite, qui s'obstine à prendre soin de tous.
On referme le roman alors qu'on comprend que c'est Caddy, la solaire, la fugitive, le coeur de ce récit, même si Faulkner ne lui a jamais donné directement la parole. Et c'est brillant!
Il est question d'hérédité dans ces pages, de misère morale, de déchéance mais surtout: « c'est une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien. » ("Macbeth", Shakespeare) Justement, on n'y comprend rien à cette histoire, on essaie de toutes ses forces de mettre du sens là où peut-être il n'y a qu'une littérature puissante et des personnages inoubliables.
Lire Faulkner c‘est avant tout lire une écriture d’atmosphère déroutante et au talent démesuré.
De la confusion de points de vue multiples emmêlés à la cohérence…
Dire pour résumer, qu’il s’agit sur 3 générations, de l’histoire dramatique d’une famille américaine hautaine tombée dans la déchéance, constituée pour finir de 4 enfants et d’une mère veuve, soignés par des domestiques noirs qui les accompagnent de descendance en descendance au fin fond de l’État de Mississippi, serait affreusement réducteur.
Il y a peu d’auteurs qui savent m’empoigner comme Faulkner. Il y a des écrivains qui me bousculent, m’ébahissent, me tiennent scotchée à leurs textes mais Faulkner lui, il me colle le nez sur le début de son livre et continue sa route sans se préoccuper que je le suive ou non.
Il va commencer par me plonger dans une ambiance, celle du sud profond des États-Unis où il est né, à une époque où les Noirs sont toujours sous le joug de l’arrogance des Blancs, et me dévoiler les vieilles fermes, les bords d’étang, les marais, la broussaille, les hautes herbes, les champs de coton et de maïs, le soleil, les pluies, la boue, les odeurs d’auges de cochons, du foin, des chevaux, du chèvrefeuille, de la glycine, la poussière, les cris des oiseaux, l’ambiance de cette petites ville provinciale et puritaine où tout se sait, se voit, se chuchote et, de cette plume magique il va instaurer un climat tendu et inquiétant au sein d’une famille où tout est bruyant, violent et furieux.
Il va commencer par dépeindre ce tableau vu de l’esprit de Benjy, un handicapé mental muet. Il y a une histoire de sœur délurée qu’il aime, de frères, de punition par le fouet, de noirs qui s’occupent de lui, d’un champ, d’une balle de golf, d’une barrière, d’un enterrement, de petites filles après qui il court… Je lis. Je suis.
Deuxième partie narrée par un des frères, Quentin, le seul des quatre enfants qui va à l’université et est très bousculé lui aussi. Un dépressif.
Soudainement, ‘le’ Quentin se met au féminin. Peut-être une erreur du traducteur, j’ai pensé mais non. On parle bien d’une Quentin fille. D’où sort-t-elle? Je n’y comprends plus rien et ce Jason, c’était le père et maintenant un frère. Je commence à boire la tasse. A me perdre… Et Faulkner continue à tracer sa route… J’ai trop de mal à le suivre. La seule chose que je récupère ce sont ses mots, son écriture fabuleuse mais j’ai perdu l’histoire…
Alors, il y a 2 façons de lire ce livre.
La première on continue, assidu à la demande de l’écrivain, la truffe scotchée sur les lignes à suivre le Maître parce qu’en fait, après nous avoir jetés dans un tourbillon bourbeux, Faulkner va nous faire retrouver pied, nous ramener vers la rive et tout sera clairement expliqué comme une éclaircie progressive fait jour.
Ou bien, on va chercher une bouée avant de totalement se noyer. Je reviens à la préface. Je tape Google. On me donne les clés. Je sais maintenant qui est Quentin et Quentin. Jason et Jason. Pourquoi Benjy a changé de nom et ce qui lui est arrivé. Et ce qui s’est passé pour la sœur aimée et détestée de ses frères. Comment malade la mère reste seule. Qui sont ces Noirs qui s’occupent du foyer. Les dizaines de commentaires sur cette œuvre incontournable de la littérature mondiale, m’ont mâché le travail de lecture. Tout est alors devenu plus confortable et j’ai pu poursuivre, retrouver le courant d’encre, me faire broyer sous le talent de l’auteur. Me régaler d’un chef d’œuvre absolu.
Faulkner ne va pas suivre une chronologie datée. Le temps va courir en s’inversant puis reprendre son trajet du passé au présent. Il va commencer en Avril 1928, le 7 avril 1928, et continuer sur le 2 juin 1910 pour revenir sur les 6 et 8 avril 1928. L’histoire s’enroule et se déroule sur ces 4 dates. Du bruit à la fureur.
Pour débuter le récit, Faulkner va plutôt aller chercher l’incohérence des propos d’un handicapé mental mais qui toutefois saura nous planter un tableau et une atmosphère via les sensations ressentis par un autiste. De ce premier chapitre, les trois autres suivront en résonance.
Le deuxième chapitre récupère les propos douloureux et confus du monologue tenu par Quentin devenu étudiant à Harvard mais suicidaire. On y entendra l’écho de l’inceste platonique mais inavouable et inavoué, le viol qui par ailleurs conduisit Benjy à la castration, ainsi qu’une longue digression sur une petite fille qu’il essaiera d’aider et le conduira lui-même comme son frère Benjy surement, à l’accusation injuste d’avoir eu des desseins inavouables. Par ailleurs face à des professeurs condescendants et des étudiants frimeurs, sa propre faiblesse le blessera, le dégoûtera de lui-même. Il se sentira vulnérable et incapable. A son tour, faible et déficient… Il ne survivra pas à lui-même.
En troisième partie, ce sera le tour du monologue de l’autre frère, Jason, (aussi le nom du père décédé), devenu le chef de famille. Jason fils est hargneux, démoniaque et frustré. Il tiendra des propos clairs et dévoilera en résonnance l’histoire de la famille. On retrouvera le pré de Benjy vendu pour payer les études à Quentin, la balle de golf et la barrière puisque ce terrain a été transformé en terrain de golf, le corbillard vu par les enfants qui transportait le cadavre de la grand-mère sans qu’ils eurent le droit d’être présents à l’enterrement, la sœur Caddy délurée et interdite de séjour dans la région pour s’être fait engrossée honteusement par un premier venu inconnu et qu’il fallut marier à un mari acheté qui lui-même l’a mise à la porte.
Elle donnera à sa fille le nom de Quentin, en mémoire du frère suicidé, et la déposera dans sa famille aux bons soins de la mère pour l’élever contre des chèques mensuels que le frère Jason empochera à son compte.
La petite Quentin, comme sa mère Caddy dans le passé, va être aguicheuse et courir les garçons pour badigeonner une fois de plus cette famille de honte alors que le malheur rôde déjà furieusement. Pourtant, elle saura jouer un tour à Jason qui la dépouille de son argent et elle finira par le ruiner avant, elle aussi, de disparaitre de la région.
Enfin, Faulkner nous conduit à la Pâque noire au quatrième et dernier chapitre avec des propos très cohérents et sensés à travers le récit de la nourrice et cuisinière noire de la maisonnée.
Ce sera la conclusion. On connaitra la fin. Celle d’une famille éclatée. De la confusion à la cohérence d’un néant.
Tous aimaient Caddy qu’on ne va que peu entendre dans le récit, elle qui aura été le détonateur du destin de ses frères. Elle apparaitra au cours du récit comme un éclair habité de bruit et de fureur.
Je suis sortie essorée de ce livre.
Je lève les yeux au ciel et me dis que Faulkner ne doit pas être fier de moi. Enfin, plus exactement, je ne suis pas fière de moi. Je ne lui ai pas fait confiance. Je suis allée regarder les solutions du jeu au lieu de faire marcher ma tête, au lieu de le suivre sans peur de me noyer. Lire Faulkner peut demander un effort. Mais lire est aussi un plaisir. Si je ne comprends plus ce que je lis ce n’est plus un plaisir… Je me fais mon propre avocat. Certes, avec les clés données dans la préface, j’ai pu poursuivre et ai adoré la lecture de ce livre galvanisant que j’aurais peut-être abandonné en cours de route ce qui aurait été une lacune majeure.
Bousculée.
Voilà qui est Faulkner pour moi. Un romancier qui au-delà de son talent d’écrivain, arrive à me perturber comme s’il était une proche manifestation pour qui la mort est un acte vain. J’entends sa machine à écrire et résonner ses mots. Le cœur battant, chacun de ses livres sont des vibrations indélébiles de ma mémoire, une percée dans le néant.
L'Oeuvre de William Faulkner reste, pour bon nombre de lecteurs, totalement hermétique. Pour pouvoir se délecter de ses romans, il faut fournir quelques efforts...mais une fois le cap de la difficulté passé. On ne peut que se plonger avec ravissement dans une telle littérature !
Un véritable génie.
Ce livre m'a longtemps résisté.
J'avais déjà fait deux tentatives, il y a un temps certain, mais l'hermétisme du premier des quatre volets qui compose le Bruit et la fureur m'avait rebuté. Je ne comprenais rien, tout simplement. Il faut dire que William Faulkner ne cherche pas à racoler le lecteur avec une lecture facile et aguichante.
Toute la chronologie est exposée ( 1er volet se situe le 7 avril 1928 , 2ème le 2 juin 1910, 3ème le 6 avril 1928 et le dernier le 8 avril 1928 ) ; certains prénoms sont attribués à deux personnages sur deux générations ( Quentin, l'oncle et sa nièce ; Jason le père et le fils ). Chaque volet donne la parole à un personnage différent ... et le premier est narré par Benjy, l'attardé mental qui monologue de façon délirante en confondant événements passé et présent.
Bref, tout est fait pour dérouter profondément le lecteur et j'ai été profondément déroutée.
Pour cette troisième lecture, j'ai donc procédé autrement. J'ai fait quelque chose que je m'interdis en général : lire le résumé de l'oeuvre, comme un tuteur, comme un guide pour pouvoir enfin accéder à la puissance de roman-culte et entrer dans le cercle des profanes initiés.
Et ça a marché ! Ma persévérance a été récompensée. Lorsque j'ai achevé la lecture du dernier volet, j'ai saisi l'ampleur de cette oeuvre et de son écriture démesurée. Et j'ai relu les deux premiers chapitres si déroutants à l'aune du reste. Je me suis immergée dans cette tragédie qui nous plonge dans le déclin et la dégénérescence des Etats sudistes par le biais de la chute de la famille Compson sur 3 générations, chacune incapable de faire face aux réalités du monde moderne post guerre de Sécession. Tous les personnages de cette famille sont terriblement campés.
Au-delà de l'écriture, riche, puissante, complexe avec ces monologues intérieurs en mode flux de conscience, ce que j'ai trouvé particulièrement fascinant, c'est le travail sur le temps. Chaque chapitre a le sien. le premier narré par le « fou » brouille toutes les notions passé / présent ; le 2ème est narré par son frère Benjy, désespérément pris au piège du temps, enfermé dans la nostalgie, comme l'indique brillamment les passages sur sa montre brisée dont le tic-tac le hante ; le 3ème par l'autre frère Jason obsédé par le futur immédiat, voulant retrouvé un standing quitte à être brutal et sadique ; le dernier, enfin, raconté par une des servantes noires, la seule à être en paix avec son présent.
Une expérience littéraire incroyable !
J'aime le style, la profondeur d'analyse des personnages, comme Faulkner les ''campent''dans leur force et leur désarroi Fresque de ce vieux Sud, saga d'une famille qui se désagrège..
Je n'ai pas réussi à entrer dedans. Dommage. Il faut que je ré essaie un jour, ou un autre Faulkner.
Déroutant, d'une complexité rare qui tient du génie. Les phrases tronquées suivent les pensées et souvenirs des protagonistes, trois frères obnubilés par leur soeur qui est le personnage principal de ce drame familial. La préface est à lire pour s'y retrouver (plusieurs personnages portent le même prénom). Une deuxième lecture n'est pas superflue pour s'imprégner de toutes les nuances des sentiments et démêler l'écheveau des flash-backs,digressions et désordres en tout genre.
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