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La littérature latine nous a habitués à donner au mot carmen un sens noble, celui de chant poétique, de poésie. C'est par ce terme que Lucrèce, Virgile, Horace et les autres grands poètes de la Rome antique ont désigné leurs vers. Mais ce livre vient nous rappeler que ce mot pouvait aussi s'appliquer à des chants qui n'avaient rien de poétique, les formules d'incantation que prononçait un magicien, ou encore à des chants qui ne relevaient pas de la voix humaine, comme le chant des oiseaux, la musique d'une trompette.
On avait, il est vrai, relevé depuis longtemps cette polysémie et on en avait rendu compte par l'impression musicale analogue qu'auraient donnés tous ces carmina. Maxime Pierre affine l'analyse et dénonce ce qu'il appelle « les apories de l'approche classique du sens ». Il note que ce ne sont pas tous les instruments de musique dont on dit qu'ils « chantent », mais en particulier l'instrument de commandement militaire (la trompette ou le cor), ni tous les cris animaux qui ont droit à une désignation comme carmen, mais seulement ceux émis par les oiseaux. À l'étude des emplois anciens du terme, appliqués au chant des oiseaux, l'auteur constate une concentration sur les cas où ce chant a valeur de présage. Quant au carmen émis par les hommes, on le rencontrait à l'origine en priorité dans des contextes juridiques ou religieux.
Derrière l'hétérogénéité apparente des occurrences se cache une caractéristique commune : ces différents carmina ont toujours un rôle injonctif, visent à obtenir un résultat. Par le chant des oiseaux, les dieux enjoignent à l'homme de se comporter de telle manière et il en va de même pour les ordres donnés par le général à ses troupes par le signal de la trompette - ou pour l'injonction donnée par le magistrat détenteur du pouvoir de vie et de mort au bourreau d'accomplir son office. Même les carmina adressés aux dieux - que ce soit dans un but positif ou négatif, par un prêtre de la cité ou par un magicien - ont précisément ce sens : on y note l'emploi de l'impératif, contrairement à d'autres types de prières aux divinités qui ne sont pas désignées comme des carmina. Dans ces carmina primitifs, certains aspects formels sont assurément sensibles (recours fréquent à des répétitions, des allitérations, etc.), mais ce n'est pas cela qui permet de les définir comme tels.
L'usage fait à l'époque classique de la notion pour ranger sous le terme toute forme de poésie, outre qu'il avait du mal à rendre compte, sinon par une analogie peu convaincante, du chant des oiseaux ou de celui de certains instruments de musique, témoigne d'une évolution sémantique qui a abouti à dépouiller le mot de la valeur spécifique qu'il avait à l'origine.
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