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Le livre commence ainsi « … Vous savez, les grolles, on appelle ça des grolles, nous autres, mais en bon français - parce c’est du patois grolle, pas du bon français, en bon français, les grolles, c’est ce qu’on appelle corbeaux, pies, tous ces oiseaux noirs - »
Le narrateur réécoute un enregistrement qu’il avait fait alors que, jeune homme, Il effectuait un stage dans le petit musée local de M***. Intrigué par un petit tableau, il en demande l’historique auprès du grainetier, autrement nommé, l’érudit local qui l’envoie vers Marceline Alamichèle dans son Ehpad. Elle fut la cuisinière des Du Puy du Pin de la Chambue.
Les Du Puy du Pin de la Chambue, famille paysanne enrichie a modifié son nom après la Révolution. De Puydupin, on a rajouté deux particules, plus le nom d’une parcelle leur appartenant. Bien sûr, comme tout sang rouge devenu bleu, un blason est arrivé, l’argent permet beaucoup de choses !
Dans cette famille Du Puy du Pin de la Chambue, le fils, Charles, dit Popotame pour sa silhouette généreuse détonne quelque peu. Pensez, le père hobereau féru de chasse, mangeaille, troussage de jupons ne comprend absolument pas ce fils toujours dans les jupes de sa mère.
Charles, genre hermaphrodite, asexué trop blanc, trop amorphe, trop ou pas assez, « le garçon flasque, là, sans désir. Pas même le "bouais" qui se redresse, s’il en a un » qui se cache du soleil sous un grand parapluie a des prédispositions à l’art. Monsieur Desmassoures, pardon Desmassoures, on ne s’embarrasse pas de monsieur dans ce milieu, lui tient lieu de professeur. Il s’avère que l’élève est doué. Tendance Le Douanier Rousseau dans un premier temps, plus tard, il trouve son propre style. Depuis peu, alors qu’il est mort, ses tableaux se vendent chers chez Drouot et autres vendeurs aux enchères.
C’est la Marceline qui raconte son Charles. Dame, elle l’aimait !« Je le voyais, moi, par mes yeux, c’était un regard de tendresse. Un regard de tendresse, ce sont des lunettes en couleur qu’on se pose sur le nez pour voir le monde comme il n’est pas : j’avais des lunettes roses quand je le regardais, moi, monsieur Charles, des lunettes roses, oui, tout garçon qu’il était, parce que le bleu lui allait mal, que le bleu va mal à ces gros garçons qui, torse nu, jambes nues, vous affichent une belle panne de porcelet ... ». Ce n’est pas à lui qu’elle aurait dû faire la déclaration faite à son père qui voulait la trousser : "Rangez-moi ça, monsieur le baron, ou je vous le coupe". Ses relations avec les jumeaux voisins empirent lorsqu’ils exploitent la carrière et que tout l’alentour est recouvert d’une poussière blanche, que l’eau de la rivière est blanche, que l’étang est blanc… Tout ce blanc qui défigure SON paysage.
Est-ce pour cela que l’on retrouve mort, avec les grolles sur le ventre ? On ne connaît pas la et le baron fait vite fermée l’enquête… Pas de vagues.
Marceline dans un patois avec des tournures élaborées raconte, à travers son Monsieur Charles, la période de la première guerre mondiale dont il est question en filigrane, mais qui ne perturbe par la vie châtelaine. Quant au narrateur, quelle voix chantournée, quel vocabulaire et tout cela, sans que cela soit pesant, non, l’ironie, le sourire, l’ironie sont là en filigrane, prêts à fuser.
J’apprécie chez Lionel-Edouard Martin son écriture qui va du terroir au langage châtié, presque savant, cela fuse du ventre et de la tête. A chaque page la poésie est présente, évanescente ou rabelaisienne avec rythme et amour de la langue
Lire ses livres est un vrai dépaysement linguistique, un réel plaisir. Je découvre également une nouvelle maison d'édition
En voiture !
Voyage en compagnie de Liolio (l’auteur ?), et de Palombine, sa copilote imaginaire.
Départ pour l’Auvergne, retour à Paris, puis on repart pour la Touraine.
Promenades nostalgiques au cœur des souvenirs de Lionel.
Conversations piquantes avec Palombine.
Dans ce récit, on découvre des lieux, des senteurs, des plaisirs gustatifs, mais aussi des auteurs, des artistes….. tout cela enrobé de beaucoup d’humour, de poésie, d'amour des mots et d’une pointe de nostalgie.
Je me suis installée sur la banquette arrière, le narrateur est au volant avec Palombine à ses côtés. Direction une région chère à mon cœur : l’Auvergne.
Je découvre que Palombine est jeune et lui 33 ans plus âgé, qu’ils se seraient rencontrés sur FB et que ce périple se passe, comme disent les anciens «en tout bien tout honneur ».
Le narrateur et l’auteur ne font qu’un, Palombine en est l’opposé. Elle est celle qui dit ce qu’elle pense alors que Lionel tergiverse, joue avec les mots « mots menteurs, arracheurs de dents »
Un livre sur les mots, le pouvoir des mots. « Tu prends la route, là, n’importe laquelle, tu débouches sur des mots.» L’auteur joue avec eux qui sont si importants. « Tous ces lieux dits, tous isolés dans leur nom propre, ils sont tous reliés par des voies, par des roues, par des chemins creux. ». Il y a du rythme, de la musique dans ses mots « Le brut qu’on polit, qu’on ponce. Plus seulement l’accompagnement du geste, qu’on danse ou qu’on traie la vache, le pas, le pis qui gicle et qui rythme : l’inutile, et qui te comble, qui ajoute à ton cœur, à ton sans, à tes reins ; et le plaisir des neurones : la cervelle est toute proche de l’oreille. »
Même lorsqu’il nous parle parisien, le parisien branché, bobo, celui qui lui fait réciter les vers de son livre de poésie devant un parterre de gens qui enfilent les verres. « Fin juin. Costume en cotonnade, chemisette, malgré tout sueur aux aisselles durant le trajet dans la torpeur du soir, sans brise, sous terre puis à l’aplomb de la ville, jour, nuit, jour, nuit, l’éphéméride troquée, feuilles qui s’arrachent, temps fébrile, illustrées chacune d’un épisode historique. » N’est-ce pas qu’il y a du rythme une portée musicale derrière ? »
Ce livre est un hymne à la lenteur à l’opposé de la fébrilité parisienne « on vit avec ses rythmes jusqu’à la fêlure, après ça s’écarte ». C’est aussi la solitude du poète qui ne sait sortir de son labyrinthe, le labyrinthe de l’âge, de la mélancolie, avec, comme touche finale, la mort.
Palombine est sa muse, celle qui donne de la légèreté, qui se moque gentiment de lui, qui ose dire les mots vrais. Il l’aime « comme un aime un personnage, comme on aime l’irréel ; comme on aime ce qu’on espère et qui n’est point palpable ». Elle a la vivacité de son âge et lui la mélancolie du sien. Rien d’oppressant, mais plutôt de la gaieté tant le poète et sa muse se répondent, se nourrissent l’un de l’autre. C’est la muse de ce livre. Il l’a pétrie, sculptée, ciselée avec ses mots. A la fin le poète fait mourir Palombine, se retrouve seul et, comme le roi, nu.
La nostalgie y est légère avec l’autodérision qui lui sied à merveille. La vigueur des éclats de rire, des échanges verbaux se font un beau chemin dans le labyrinthe de l’auteur.
Lionel-Edouard Martin tisse les mots pour relier les géographies, lier les opposés.
Un coup de cœur pour ce livre. J’avais déjà lu et beaucoup aimé « Mousseline et ses doubles » et « Nativité cinquante et quelques »
Fils de vieux, enfant malingre, Louis Désiré Dieudonné Maître est pourtant né avec le don, le don de soigner de ses mains, du bout de ses doigts. Devenu Maît'Louis, le rebouteux, il a passé sa vie à prendre sur lui les maux des autres et à la cinquantaine son corps ne répond plus. Vieilli avant l'âge, noué par la douleur, Maît'Louis vit retiré dans sa bergerie, près du hameau de Villemort. Mais il est encore sollicité par ses contemporains qui acceptent mal sa retraite. Jean Dieu, par exemple, le boulanger contraint d'arrêter de faire le pain, cloué au lit par une sciatique. Maît'Louis ne peut pas laisser la région s'affamer faute de pain alors il soigne celui qu'on appelle simplement Boulanger. Et toutes les douleurs du boulanger s'envolent pour venir se nicher dans les genoux et le dos du rebouteux qui ne marche plus qu'avec peine. Pour se faire pardonner, pour rendre un peu, Jean Dieu aide le vieillard à enluminer le marronnier de la cour. Une lubie du rebouteux qui veut éclairer le chemin de ceux qui viendront lui rendre visite. Qui, il ne sait pas. Mais ils viendront, c'est certain. Un phare dans la nuit, une étoile du berger pour alléger la route de ceux qui vont braver le froid et la neige à quelques jours de la Noël dans cette campagne désolée, désertifiée. Et trouant la nuit de ses gros phares, se frayant un chemin dans la neige qui tombe dru, avance une Ariane gris étoile. A son bord, la Vache, le Mon filleul, la Ma filleule et leur bout de zan brûlant de fièvre, une famille atypique nouée par la peur de perdre le petit.
La France profonde des années 50, celle des campagnes, des petits villages où tout le monde se connait et aime à cancaner, celle où l'on croit en la terre, en Dieu et en Maît'Louis, le rebouteux. Voilà tout ce qu'évoque Louis-Edouard MARTIN dans une langue poétique, gourmande, proche de l'oralité où se mêlent les odeurs du bon pain, les saveurs du boudin, les bruits de la neige qui craque. Roman du terroir mâtiné de conte de Noël, sa Nativité cinquante et quelques parle, avec simplicité mais profondeur aussi, d'un temps révolu, d'une époque rude, d'une campagne rugueuse mais aussi d'êtres attachants, tenaces, humains, qui ne se résignent jamais. Une écriture lumineuse, ciselée pour une histoire où humour et macabre se marient pour donner le meilleur. A découvrir absolument !
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