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1941, Prague est à l’heure nazie depuis l’annexion de la région de Bohème-Moravie par le Troisième Reich. A la tête du protectorat, Reinhard Heydrich, par ailleurs investi de la suprême mission consistant à organiser la logistique de la « solution finale ». Pour ce qui concerne Prague et le territoire qui correspond à peu près à l’actuelle Tchéquie, la mortelle entreprise est d’ailleurs déjà en place : au fur et à mesure que les Juifs ne sont plus utiles aux nazis, ils sont arrêtés, envoyés dans le ghetto de la petite ville-forteresse de Terezin (Theresienstadt), avant d’être déportés vers les camps de la mort.
Mais Heydrich n’est pas qu’un sociopathe sadique maître ès planification. Il est aussi cultivé, mélomane et imprégné d’idéologie nazie jusqu’au bout des ongles. Aussi, lorsqu’un soir après l’opéra il aperçoit sur le toit la statue de Mendelssohn, compositeur d’origine juive, il entre dans une colère noire et ordonne que la statue soit déboulonnée toutes affaires cessantes. S’ensuit un branle-bas de combat dans la sous-hiérarchie SS, dans la bureaucratie tchèque locale et parmi les ouvriers de la mairie envoyés sur le toit. Mais pas un seul ne s’avère capable d’identifier l’intrus parmi toutes les statues, aucune ne portant de plaque nominative. Il faut pourtant bien exécuter la mission, sous peine de sanctions terribles. On se décide donc pour la statue qui a le plus gros nez (trait physique distinctif des Juifs, c’est bien connu…), et c’est ainsi que Wagner, compositeur fétiche des nazis, faillit être déboulonné. La catastrophe est frôlée, mais finalement Mendelssohn est repéré et abattu.
C’est sur cette anecdote que s’ouvre le roman de Jiri Weil. Cocasse et ridiculisant les nazis, elle ne donne cependant pas le ton du livre, puisque, à partir de là, on n’en finira plus de s’enfoncer dans l’horreur et la tragédie. Jiri Weil, lui-même réchappé de la déportation après avoir organisé son faux suicide et être entré dans la clandestinité, livre une chronique de Prague-la-désespérée, de 1941 à 1943. Peu touchée par les bombardements, la ville a conservé beaucoup de sa splendeur, figée dans la pierre. Mais ses habitants, Juifs ou non, n’en finissent pas de s’éteindre sous l’oppression. Du collabo au résistant, Jiri Weil décrit toute la gamme de ceux qui cherchent à survivre, qui aident leur prochain et/ou s’arrangent avec l’ennemi pour gagner du temps avant la fin. Leur propre fin, ou celle du régime nazi, puisque les rumeurs, étouffées, en provenance de Stalingrad semblent annoncer la débâcle du Reich. Qu’ils en soient conscients ou non, les Juifs de Prague sont coincés dans une sorte de compte-à-rebours horrible, et ce n’est pas l’assassinat de Heydrich en mai 1942 qui arrêtera le temps, au contraire.
Les habitants de Prague s’agitent et se débattent avec la vie et la mort, les privations et le désespoir, sous les yeux des SS sanguinaires et de la bureaucratie SS indifférente mais qui s’en met plein les poches en confisquant les biens des Juifs. Sous le regard des statues aussi : celle du Commandeur de l’opéra auquel assiste Heydrich, celle de la Justice qui s’effondre sous les coups de masse, celle de l’Ange aux ailes creuses remplies de viande qui nourrira le ghetto pendant un jour ou deux, celle que devient ce médecin juif atteint de la maladie de la pierre…
Terrible roman sur la déshumanisation, la violence banale et gratuite, la spoliation des biens, le courage et la lâcheté. Sarcastique, ironique, cruel, déchirant dans les scènes de la pendaison à Terezin et des fillettes tabassées, « Mendelssohn est sur le toit » est un grand roman, bouleversant et (encore et toujours) nécessaire.
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