"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Que le temps passe vite, alors que la bascule chez Ruedesevres me semble encore fraîche, voilà que nous en sommes déjà au 4e tome de Lowreader.
La série d'anthologies créée et dirigée par Run revient avec un 4ᵉ recueil de récits d'horreur.
Le premier signé Akeussel, fait penser à bien des aspects à Swamp Thing car il va confronter nos personnages principaux à dames nature et à une créature des marées
Le deuxième récit nous est proposé par Temps. Ce dernier nous amène dans les pas d'explorateurs à la recherche d'événements paranormaux.
Et l'ultime histoire est signée de Run lui-même avec Chesnot au dessin. Direction la Guadeloupe pour enquêter sur de multiples et mystérieuses disparitions.
Encore une fois, j'ai passé un agréable moment en compagnie de notre corbeau noir et ses acolytes. Déjà fan du travail de Chesnot et de Run, j'ai découvert avec plaisir celui d'Akeussel et de Temps et c'est aussi et surtout pour ça qu'on adore ce genre de recueil !
En bref, le catalogue Lowreader continue de s'enrichir pour toujours plus d'angoisse et de sueurs froides mais toujours pour un excellent instant BD.
Cet album porte le nom d'un ange. Pourtant il raconte une descente aux enfers, celle de Gabriel, le grand frère de l'auteur, artiste peintre prometteur qui mit fin à ses jours en 2012 après avoir combattu en vain sa schizophrénie. Emmanuel Temps signe chez Des ronds dans L’O une première bande dessinée bouleversante qui est à la fois un hommage poignant et une sensibilisation à une maladie mentale dont on ignore souvent tout.
L’histoire commence donc alors que Gabriel part faire la fête avec sa copine et ses amis. Mais il fait un « bad trip » après avoir consommé de la drogue dans cette rave- party. Et c’est le début de beaucoup d’autres … En effet, cet incident se double d’autres manifestations perturbantes pour le protagoniste comme pour le lecteur : il raconte à son père que des silhouettes semblent le surveiller, qu’il entend des bribes de conversations à son propos sans qu’il puisse distinguer d’où elles émanent. Gabriel a des délires de persécution, des hallucinations. Il souffre de schizophrénie…
Cette entrée « in medias res » fait ressentir abruptement au lecteur le choc qui a dû être celui de l’entourage du héros. Le désarroi devant la soudaine « transformation » d’un être qu’on pensait connaître et qu’on est impuissant à aider, à soulager. La narration est cependant effectuée par le biais de Gabriel pour qu’on puisse se mettre dans la peau du patient et des errances médicales subies. Emmanuel Temps évoque en effet les traitements qui assomment ou soulagent, les protocoles novateurs parfois abandonnés, alors qu’ils fonctionnent, au profit de traitements « éprouvés » internement et camisole chimique éprouvants pour le patient et ses proches. Il égratigne au passage le mythe de l’artiste génial et maudit car lorsqu’il est en crise, Gabriel ne peint plus, Gabriel n’a plus d’inspiration et son désespoir est immense…
Le scénariste qui est aussi storyboarder au cinéma utilise un découpage immersif. Son dessin est quasi clinique : sans fioritures, sans arrières plans souvent, se focalisant sur les personnages et souvent sur les expressions en gros plans et le jeu de regards et de non-dits. Il est remarquable dans sa pudeur : structuré et épuré dans des nuances de gris qui permettent de transmettre les changements d’humeur du héros et suggèrent la morosité, la décoloration progressive du quotidien au fur et à mesure de l’évolution de la maladie.
Masi cette monochromie sert aussi d’écrin aux œuvres de Gabriel : Emmanuel Temps les insère dans le récit et on y perçoit la joie de vivre, la maitrise et la talent du jeune artiste qui en émanent. Le contraste avec le reste du récit en devient parlant sans être démonstratif. En effet, ce n’est pas un ouvrage militant. L’auteur ne condamne ni les uns ni les autres ; il réalise un portrait de ce frère disparu trop tôt qui lui manque terriblement depuis dix ans. Ce récit personnel est extrêmement lucide et empathique à la fois. Il permet au lecteur de comprendre et partager la détresse du patient et de ses proches. Il combat dignement les préjugés en rappelant que la schizophrénie (dont souffrent 23 millions de personnes dans le monde) est avant tout dangereuse pour le patient lui-même et pas pour les autres comme on a tendance à le croire. La maladie mentale reste un sujet extrêmement délicat à aborder. Il ne souffre ni complaisance, ni édulcoration. Trouver le juste équilibre est complexe. Or, il semble que pour sa première œuvre Emmanuel Temps y soit parvenu. Ce livre, vous vous en doutez, m’a bouleversée et je le conseille à tous à partir de 14 ans. Je remercie les éditions Des ronds dans l’O et le site lecteurs.com de m’avoir permis de le découvrir.
Témoignage très émouvant (éprouvant aussi) du parcours d'un artiste atteint de schizophrénie, dessiné par son jeune frère, après sa disparition...
Gabriel Temps était un artiste-peintre talentueux mais atteint de schizophrénie et/ou autres maladies psychiques.
Son frère, Emmanuel, a ainsi souhaité raconter la vie de Gabriel avec le quotidien qu’il a subi, le combat qu’il a mené et le courage qu’il a eu, ainsi que ses proches, pour vivre avec ce terrible handicap.
Le sujet est poignant et touchant surtout raconté par les yeux du petit frère.
On imagine ainsi toutes les émotions que l’auteur a dû avoir en écrivant et en dessinant son œuvre et en se remémorant et revivant tous les instants de bonheur ou à contrario les moments difficiles vécus.
Gabriel était donc atteint de cette maladie psychique dévastatrice aux multiples symptômes forts et éprouvants (hallucinations, délires, trouble de la pensée, du langage, démotivation, apathie, retrait social etc…).
L’histoire commence sur un jeune homme paraissant « normal » aimant faire la fête, mais goutant à la drogue…
Puis une dispute conjugale…
Jusque-là tout parait presque banal, mais Emmanuel Temps illustre rapidement un délire de persécution de son frère, et l’on comprend dès lors que quelque chose de grave arrive.
C’est bien réfléchi, l’entrée en matière sur le sujet est finalement très rapide, et la scène de la drogue est très suggestive comme étant un élément déclencheur.
Le dessin de l’auteur est propre, structuré, stylisé et sans fioritures superflues d’arrière-plans, focalisant essentiellement sur les personnages pour accentuer le côté social et psychologique de l’histoire. Le travail sur les visages, les regards expressifs et emplis de non-dit, est remarquable. Il permet de ressentir les sentiments et les émotions que son frère a probablement vécus.
On éprouve régulièrement un malaise, une sorte de torture, qui survient toujours après un moment de répit et d’apaisement…
Le trait de l’auteur est épais, presque grossier mais à la fois précis et bien délimité, en contraste parfait avec les magnifiques toiles de son frère, détaillées, vivantes et réconfortantes.
La rigidité des lignes d’Emmanuel Temps permet d’évoquer les opinions particulièrement soutenues de son frère en regard des contraintes des traitements médicaux prescrits semblant complètement inefficaces, mais aussi et surtout d’illustrer la rudesse des crises et de la folie.
Les couleurs ne sont évidemment pas choisies non plus au hasard. Les teintes grises deviennent obsessionnelles. Elles évoquent une lassitude, une morosité totalement cohérente avec les symptômes de la schizophrénie (Démotivation, retrait, persécution etc…)
De plus les nuances, probablement effectuées informatiquement semblent tellement parfaites, régulières et uniformes qu’elles en ajoutent presque à l’inquiétude ambiante, contrastant avec le mal de Gabriel.
Ces tons ont aussi un autre effet évident et immédiat : ils mettent en avant la force des réelles peintures de Gabriel. Ces dernières sont juste splendides, colorées et respirent la joie de vivre ce qui est tellement en antagonie avec les pulsions suicidaires qu’a pu vivre ce malade.
Coté découpage et cadrage, on admirera aussi l’expérience de story-boarder d’animation de l’auteur. Les mises en scène et les alternances de plans sont fluides, efficaces et réfléchies.
Tout en suggérant et en conservant la pudeur de son frère disparu, Emmanuel Temps nous témoigne de la complexité d’une telle maladie, et de tout le mal que ce trouble apporte à la victime et sa famille, et cela hélas jusqu’à l’irrévocable.
Il réalise un superbe hommage pour son frère avec cette BD qu'il ne vous faudra pas manquer de lire.
J’ai beaucoup aimé.
https://www.7bd.fr/2022/02/gabriel-de-emmanuel-temps-aux-editions.html
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