Les hommes de la famille Orsenna seraient-ils frappés de malédiction ? C’est en tout cas la conviction profonde du père d’Erik, qui justifie ainsi les échecs amoureux répétitifs qui le frapperaient, lui et son fils. Si L’Origine de nos amours (Stock) ne s’appelle pas « Les Raisons de nos échecs », c’est qu’il y a peut être un peu d’espoir à trouver du côté de ce roman plus vrai qu’un récit. Et d’abord, sans aucun doute, dans la très belle histoire d’amour qui s’est bâtie à l’âge d’homme entre un père et son fils.
Du divorce à la légende
Le roman commence ainsi : "Un jour je me suis remarié. Le lendemain, mon père quittait son domicile. Entre les deux événements, personne dans la famille n’a fait le lien". C’est le premier divorce de l’écrivain, en 1975, qui est à l’origine du lien bouleversant qui s’est noué entre Eric Arnoult et son père. Parti se retaper sur l’île de Bréhat où il puise force et racines, l’écrivain est rejoint par son père, présence indésirable qui devient rapidement nécessaire. Le transgénérationnel est à l’œuvre, Monsieur Arnoult père entreprend des recherches sur le fameux et mythique ascendant cubain duquel viendrait la misère amoureuse de la famille.
Le cœur des hommes
S’entrelacent alors un tendre et espiègle dialogue père-fils avec la savoureuse histoire d’un ascendant, Augustin, tailleur de son état et parti faire carrière à Cuba… malheureusement accompagné de sa femme. Quelle idée de venir à Cuba où naissent et vivent les plus belles femmes du monde déjà marié. C’est là qu’Augustin aurait contracté la terrible maladie de l’hypertrophie du sterno-déido-mastoïdien, véritable « handicap » que l’on retrouvera chez tous les hommes de la famille Arnoult, et qui provient de la trop grande aptitude à se dévisser la tête sur le passage des femmes !
La pudeur d’Orsenna
Erik Orsenna est incapable de pathos, moins encore quand il s’agit de parler de lui. L’Origine de nos amours est un livre à part dans la carrière littéraire de cet amoureux des mots, des sciences, des fleuves, d’Afrique, indécrottable curieux, merveilleux passeur et écrivain racé. Personnel, bouleversant de pudeur, le roman est parmi ces livres essentiels qui s’imposent à l’écriture et dépassent complètement leur auteur. C’est une ode aux pères, le sien, à son père en littérature, Julien Gracq qui accompagne ces pages, alors que le grand père n’est jamais loin : le patriarche des Arnoult qui disait à l’adolescent toujours accroché aux histoires de sa grand mère : "Un jour, tu deviendras écrivain". Les mots, jamais vains dans cette famille, ont ainsi accroché le destin de l’écrivain à 15 ans.
L’origine de son amour
En 2015, Erik Orsenna signait un flamboyant portrait de Louis Pasteur, La Vie, la mort, la vie. Enraciné dans l’essence de ce qui fait de nous des vivants, il offre là une éducation sentimentale à l’échelle d’une lignée masculine particulièrement attachante. Un petit chef d’œuvre sur l’amour des siens, certes, mais aussi sur l’amour de la vérité et du mensonge, qui trouvent leur point d’équilibre parfait dans la fiction.