C’était difficile de se lever ce mercredi 23 mai 2018 en apprenant que Philip Roth venait de s’éteindre, à 85 ans.
Non qu’on sera privé de nouveaux romans, il avait déjà annoncé que son cycle Nemesis serait sa dernière œuvre et il a – malheureusement - tenu parole.
Avec Bernard Malamud et Saul Bellow il est l’un des grands écrivains américains à avoir interrogé l’identité juive et l’identité américaine. Il était l’écrivain de la vigueur, d’une puissance littéraire brutale, sombre, éclairée par l’ironie et la dérision, capable de soulever les plus profonds questionnements sur l’être humain et d’interroger le masculin comme personne. Il avait choisi d’imposer « sa fiction à l’expérience », au lieu de « traduire son expérience en fiction ». Philip Roth a ce génie qui fait que malgré des thèmes parfois répétitifs, on a toujours l’impression de n’avoir jamais rien lu avant d’avoir ouvert l’un de ses romans.
Grand, d’emblée
C’est avec un recueil de nouvelles, Goodbye, Columbus en 1959, qu’il démarre sa carrière américaine et son compagnonnage avec le succès, pour ne plus écrire ensuite que des romans et des essais, largement inspirés de sa vie ou de son travail. Sa deuxième publication, Portnoy et son complexe, étale le monologue d’un jeune avocat juif dévoré par sa mère, chez son psy. Il s’impose comme un livre culte : 420 000 exemplaires vendus en trois semaines sur le sol américain, plusieurs millions dans le monde. Roth et son anticonformisme font grincer des dents dans une communauté religieuse qui n’apprécie pas les habitudes masturbatoires du personnage, ni l’irrévérence de l’auteur. Elle lui rendra hommage bien des années plus tard, en 2013. Il y aura La Pastorale américaine, Le complot contre l’Amérique, La Contrevie, Némésis, Un homme, tous ces romans qui font dire « mais oui, bien sûr » et « encore un chef d’œuvre » à ceux qui connaissent l’œuvre de Roth.
« Tenir bon et prendre la vie comme elle vient », Un homme (Gallimard)
Il n’aura jamais eu le Prix Nobel, alors qu’il est chaque année dans la liste des favoris. Le jury cette année, en forme d’hommage bien involontaire, n’a pas décerné le Nobel de Littérature. Philip Roth s’éclipse et c’est toute une époque qui s’amuïe avec lui : « Philip Roth ne quitte peut-être pas sans plaisir ou soulagement un monde qui est en train d’avoir raison de tout ce que son œuvre magnifiait : la possibilité de l’individu dans le lacis communautariste religieux, racial ou sexuel, le refus de l’assignation identitaire, l’humour et l’ironie contre cette forme creuse et suicidaire de la morale qu’est le politiquement correct », regrette l’écrivain Marc Villemain, en apprenant la disparition de ce mythe vivant.
L’auteur est immense et comme tout ce qui est grand, on ne sait pas toujours par quel bout le prendre. Nous avons essayé de vous donner une liste de trois romans de Philip Roth qu’on vous conseille particulièrement.
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Trois romans de Philip Roth
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La bête qui meurt de Philip Roth
Dernier tome du cycle consacré à David Kepesh.
Ne plus pouvoir faire l’amour quand le désir est intact après 60 ans, et rencontrer une jeune femme à la poitrine inoubliable. C’est le supplice de David Kepesh, le héros du Sein et de Professeur de désir. Pourtant, La Bête qui meurt n’est peut être pas (ou pas seulement) cet homme déclinant, usé par les conquêtes. Et le propos de Roth, féroce et noir, dépasse largement le libertinage guilleret et la sensualité poussive d’un sexagénaire.
Il est question d’amour, de solitude et d’une tragédie sans eau de rose. Et c’est bouleversant. -
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La tache de Philip Roth
Prix Médicis Etranger en 2002
Dernier roman de « la trilogie américaine » commencée par le subversif Pastorale américaine (Prix Pulitzer 1997).
1998 : Pendant l’affaire Lewinsky, Silk, un universitaire américain, est renvoyé pour insulte raciste. A 71 ans, il se console avec Faunia, une femme frustre et illettrée de 34 ans. Leur couple scandalise, et exacerbe les détresses sourdes d’un vétéran du Vietnam, d’une universitaire trop brillante et d’un écrivain solitaire. Et masque l’incroyable secret de Silk. Une peinture corrosive des mœurs universitaires à la David Lodge. L’auteur de Pastorale américaine pointe du doigt le fantasme de pureté d’un peuple qui cède facilement à la tentation des chasses aux sorcières.
Une satire sociale et une réflexion sur le fascisme ordinaire. -
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Exit le fantôme de Philip Roth
La fin de Nathan Zuckerman, son double littéraire qu’il crée en 1979 dans L’écrivain des ombres.
Nous sommes en 2004, George Bush vient d’être réélu et Zuckerman, écrivain retiré dans sa campagne du Massachusetts depuis onze ans, retourne à New York pour tenter une opération censée le guérir, sinon de son impuissance au moins de son incontinence urinaire. Une série de coïncidences ravive à la fois sa convoitise sexuelle pour une jeune femme et le met face aussi à son irrémédiable sénilité. L’homme a perdu de sa puissance et redoute les conséquences sur le champ de la création.
Le ton est sombre, l’époque désespérée, le héros repartira KO debout. La psychologie masculine et la sexualité que Roth est un des rares auteurs à mettre en scène avec autant d’acuité, sont douloureusement passées à l’épreuve de l’implacable lucidité d’un homme dont les fantasmes ne croisent plus la réalité.
Mais surtout c’est un livre sur l’écriture et l’écrivain qui régalera tous ceux qui cherchent à percer les mystères des relations entre l’art et la vie.
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Photo de Philip Roth © Pascal Perich
La bête qui meurt...Le cortège du désir sexuel, les troubles amoureux de la soixantième année d'un homme encore en possession de sa libido. Qui dit libido fait dans la généralité réflexion à un homme beaucoup plus jeune, il devient intéressant de s'intéresser à celle d'un senior. Et l'auteur le fait sans fard dans une Amérique forte de son puritanisme. Les fêlures d'un professeur vieillissant face à une jeune élève. Tout ce que la société, celle de l'éducation redoute au plus haut point. Il émane de l'auteur comme un chant animalier, parce que l'homme est aussi un animal. Un animal douloureux, anéanti par l'instinct amoureux et prolixe pas seulement de l'oeuvre entière de Philip Roth, ses romans sont étrangement liés à son existence.
un écrivain a découvrir que je ne connais pas et a lire cela a l 'air très intéressant, thème a voir
Bel article Karine. Ma première rencontre avec Roth fut "Quand elle était gentille. Une lecture qui reste au fond de ma mémoire. J'ai continué un bon bout de chemin avec lui. Il va se retrouver en très bonne compagnie au Panthéon des écrivains
Etonnant que Karine n'ait pas retenu "la pastorale américaine" , mais son hommage à Philip Roth est remarquable , quel talent !
Mr Roth écrivain américain d'origine juive puissant talentueux avec un vrai style et une vraie vision!
Beaucoup de chocs successifs pour moi: P.O.L., Appelfeld et maintenant Philippe Roth dont on parlait quand j'ai commencé à enseigner 1969, avec Portnoy; je me souviens surtout de la tache qui m'a beaucoup marquée. J'ai failli me jeter tout de suite sur La Pleiade mais il faut d"abord que je finisse les travaux urgents...Notamment l'Enfer de Dante pour un de mes groupes
Merci Karine pour ce bel hommage.
Merci Karine pour ce bel article, personnellement j'aime recommander la lecture de Patrimoine qui dévoile l'homme derrière l'écrivain, une belle leçon de vie et un immense talent.
Ma découverte de Ph Roth s'est faite avec "Quand elle était gentille" et cela remonte aux années 70. Ce livre est imprimé en moi. Quelle découverte !