Elles ont complètement vampirisé Instagram avec un échange épistolaire inédit, commencé comme par hasard. Ces deux écrivaines qui ont beaucoup, beaucoup de choses en commun, ce sont Frédérique Deghelt, qui publiait Sankhara (Actes Sud) en janvier, et Tatiana de Rosnay, Les Fleurs de l’ombre (Robert Laffont / Héloïse d’Ormesson) la veille du confinement en mars ; elles ont fait le régal des lecteurs confinés, en mal de librairie et de voyages pendant deux mois sur le réseau social. Et ça continue !
Leur périple « épistoléromanesque » se poursuit, illustré de vidéos incroyables, les héroïnes qu’elles incarnent ne parvenant pas à se rejoindre, poursuivies par un fatum et des personnages… que les aficionados de ces deux autrices reconnaîtront.
Tatiana de Rosnay et Frédérique Deghelt ont répondu avec joie et entrain à l’interview que lecteurs.com leur a proposée, curieux que nous sommes de connaître les coulisses de cette aventure littéraire hors norme. Le bonheur de les lire, revigorantes, pleine d’énergie, d’amitié et d’intelligence renvoie à leur œuvre live sur Insta… mais aussi à leurs livres vers lesquels on peut désormais se ruer en librairie.
- Le confinement a été l’occasion précieuse d’un feuilleton que vous avez imaginé et nourrissez encore sur instagram. Racontez-nous comment l’idée est venue.
Tatiana de Rosnay : Ce drôle de feuilleton Instagram est né de nos imaginations débridées ! Ni Fred, ni moi avons eu l’idée de le créer. C’est ça qui est assez magique. J’ai commencé à géolocaliser à Paris 15ème des vidéos spectaculaires d’ailleurs pour faire réagir et pour répondre à Fred qui faisait de même à Montmartre. Je n’avais pas anticipé que nos followers nous suivent à ce point et nous réclament la suite. Nous faisions du bien aux gens confinés comme nous ! C’était génial. Il fallait être au rendez-vous, tous les jours. C’est devenu un défi. Trouver des vidéos au contenu stupéfiant mais surtout, les détourner en racontant une histoire. Notre histoire. Nos histoires !
Frédérique Deghelt : En regardant nos échanges depuis leurs débuts, je me suis aperçue que d’abord, chacune de notre côté, avions posté de belles images apaisantes, puis j’ai situé les miennes à Montmartre avec des fenêtres qui donnent sur la mer et des animaux lointains qui se présentent chez moi dans ce quartier. Puis Tatiana a repris mon éléphant pour dire qu’il était venu chez elle et à partir de là elle a placé dans la géolocalisation le lieu du 15eme et c’était parti pour nos aventures.
Mais à notre insu : tout ça s’imbrique à nos coïncidences. Deux pères surfeurs sur la côte basque, deux ex journalistes, 2007 Elle s’appelait Sarah pour Tatiana et La vie d’une autre pour moi. Son histoire est celle d’une mémoire et la mienne celle d’une perte de mémoire. Le livre de ses parents trônait chez moi dans les années 70... etc. il y a encore plein de liens qui appartiennent à nos histoires personnelles.
Je crois que, comme dans un livre, comme dans tout acte créatif, ce n’est pas l’idée entière qui vient, c’est un petit bout du fil qu’on va tirer sans savoir la couleur de la pelote ou sa longueur.
- Comment avez-vous vécu cette privation de liberté à titre personnel ?
TDR : Mal. J’en ai même voulu à ceux qui sont partis se « confiner » à la campagne. Et qui ont cru que j’avais fait de même. Eh bien, non ! J’ai choisi de rester à Paris pour veiller à distance sur mes parents senior et être près de mes enfants, même si je ne pouvais pas les voir non plus. J’ai eu peur. Peur pour mes parents. Peur pour mes amis malades ou fragiles. Mars a été un trou noir. Une angoisse totale. En plus, c’était la sortie de mon pauvre livre, publié deux jours avant la fermeture des librairies. Un coup dur. J’ai encaissé. Et les échanges avec Fred m’ont aidée. Une bouffée d’air frais dans un quotidien devenu anxiogène.
FD : Je n’ai pas vécu une privation de liberté mais plutôt une sidération face à la maladie, à la situation tragique que vivaient certaines personnes, À ce que ça impliquait pour les soignants et pour tous ceux qui étaient obligés d’être en première ligne. Par contre j’ai très bien mesuré ce qu’impliquaient les règles de sécurité à notre liberté.
- Ce feuilleton n’est-il pas l’occasion d’une vraie réflexion sur l’écriture et le travail de l’écrivain ?
FD : Ce feuilleton est évidemment une forme moderne d’histoires courtes et une sorte de dialogue amical qui correspondent à Instagram et diversifie notre rapport à l’écriture. C’est aussi une forme de réflexion sur l’aller-retour entre la fiction et le réel. Il était passionnant de voir comment, devant une araignée, des personnes qui nous suivaient déjà, ont réellement cru à ce que racontait Tatiana.
TDR : En répondant à Fred, au début, c’était tout simplement un jeu. Rien d’autre. L’épater et l’enchanter. Réinventer notre confinement. Puis, petit à petit, une sorte de réflexion est née. Choisir une ambiance, envisager la suite. Parfois dans l’humour, parfois vers le noir. Tendre à Fred un appât amical devenu littéraire. J’adore ses réponses qui me surprennent à chaque fois. Je suis incapable de dire qui mène la danse.
Nous faisons ce que nous savons faire. Raconter. Inventer. Imaginer. Faire réfléchir. Faire peur. Faire sourire. Emouvoir. Etonner. Et le post de l’araignée est dingue ! Le nombre de gens qui ont cru que cette tarentule était vraiment chez moi ! C’était fou. Comme quoi les écrivains sont fous !
- La forme épistolaire est-elle une forme choisie en soi, ou une manière de rafraîchir le roman en racontant une seule histoire sous cette forme ?
FD : La forme épistolaire est venue instinctivement parce qu’elle correspondait à la réalité de notre séparation imposée par le confinement. Elle était évidente de façon à pouvoir laisser les lecteurs identifier cet aller-retour entre nous deux. Cela permet aussi de ne pas contraindre l’autre à entrer dans une histoire qu’il doit continuer et qui est commune, mais plutôt quelque chose qui se répond.
TDR : Contrairement à Fred, je prends parfois des libertés avec la forme épistolaire. Je change de ton, de point de vue. J’invente des dialogues. Une petite respiration dans nos échanges. L’histoire varie aussi selon les vidéos, et j’attends toujours impatiemment de voir comment Fred va réagir à mon dernier post. La seule chose qui ne varie pas, c’est ma réponse à Fred. J’attrape son fil, elle saisit le mien. Un défi qui stimule l’imaginaire et génère plusieurs histoires dans l’histoire.
- L’histoire est devenue un thriller : l’objectif des héroïnes que vous êtes est de se retrouver, mais des obstacles surviennent. Vous mettez-vous d’accord sur le scénario ou chaque texte de l’une est un challenge pour l’autre ?
TDR : Aucune communication ! C’est tellement mieux ainsi. Quand je « chope » une vidéo démente, très originale, je me frotte les mains à l’avance, je me dis, « hé hé, comment Fred va rebondir là dessus ? » Nous laissons notre histoire se construire au gré de nos délires.
Une fois, j’ai tardé à répondre. Le nombre de rappels que j’ai eu ! J’ai souri… J’en profite pour dire que parfois notre chère Fred publie deux posts coup sur coup, et que moi je me limite à un post par jour... même si ça me démange de lui répondre tout de suite !
Lors du déconfinement, on nous a supplié de continuer. On n’a pas eu trop de mal à se mettre d’accord !
FD : Alors curieusement pendant que nous étions confinées, nous nous retrouvions malgré la distance et les autorisations alors que depuis le déconfinement nous sommes dans une perpétuelle impossibilité de nous retrouver. Esprit de contradiction commun sans doute ? Mais bien sûr que non, nous ne communiquons jamais sur ce que nous allons faire. Et c’est même le challenge et la façon dont nous allons étonner l’autre qui sont très motivants !
- Vous jouez à faire revenir des personnages de vos romans, un jeu que vous avez pratiqué avec beaucoup de malice et d’amusement sur Facebook, Tatiana. Et vous faites intervenir des personnages réels, de la libraire Nathalie Couderc à… Lady Gaga. Jusqu’où irez-vous avec vos personnages, réels ou inventés ?
FD : Faire revenir des personnages de nos roman est une façon de continuer cette aller retour entre le réel et la fiction. Tout comme d’interpeller des personnes réelles, ou des personnes qui sont célèbres et qui vivent donc pour le public dans une sorte d’irréalité inatteignable. Il n’est d’ailleurs pas très important que ces personnes réels et célèbres nous répondent. Cela pourrait être amusant si elles le faisaient. Ce n’est pas le cas, à part quand ce sont des personnes que nous connaissons. Dire jusqu’où nous pourrons aller est évidemment impossible à dire aujourd’hui. Le charme c’est l’improvisation...
TDR : J’espère toujours un retour de Timothée Chalamet ! Mais il doit être très sollicité… J’ai toujours aimé en effet faire vivre mes personnages sur les réseaux sociaux. Une façon de continuer l’histoire avec eux. Les images des vidéos poussent aussi à faire revenir les héros d’anciens livres, ou d’en inventer des nouveaux ! Je ne sais pas du tout jusqu’où nous irons, mais nous serons raisonnables !( enfin presque…)
- Le déconfinement a-t-il eu un effet sur la façon dont vous écrivez cette histoire ?
FD : Je ne suis pas sûre que le déconfinement joue vraiment dans la façon dont nous écrivons les histoires, à part cette curieuse façon de se louper et de ne pas pouvoir se rejoindre !
TDR : Non…. sauf que j’aimerais bien voir Fred dans la vraie vie un de ces jours ! Je n’ai plus besoin de dragon pour aller jusqu’à ton lagon à Montmartre ! Alors prenons rendez-vous ? Qu’en dis-tu ?
- Sur Instagram, l’image est forte, vous devez donc illustrer chacun de vos textes. Sont-ce les images ou l’histoire qui vous inspirent d’abord ?
TDR : Les deux. Je passe pas mal de temps à dénicher les vidéos. Puis je réfléchis aux textes. Comment ? Je n’ai pas trop envie de tout révéler de ma cuisine interne, car je trouve que cela pourrait gâcher le charme de l’affaire ! C’est comme quand on nous demande de décrire précisément notre processus d’écriture. C’est infiniment personnel. Et parfois très dur à décrire.
FD : Pour ma part l’image a beaucoup d’importance ainsi que le son ou la musique. Mais ce n’est pas forcément à partir de l’image que j’écris le texte. Je choisis l’image et le texte vient. Parfois il me surprend car il est une sorte de vagabondage qui ne rejoint pas l’image. Ou alors il est une histoire qui donne une légende à cette image mais en la décalant.
- On découvre avec vous que le texte, sur Instagram peut être plus intéressant que l’image. Vous faites œuvre de détournement de support. Un peu pirates ?
FD :Le côté pirate de l’affaire est évident. Car évidemment nous détournons énormément d’images qui rentrent tout à fait dans nos histoires mais qui n’ont rien à voir avec leurs publications initiales. Par contre il faut rester respectueux des auteurs et des origines, ce que nous citons toujours.
TDR : Nous sommes en effet des pirates ! Qui citent toujours leurs sources, je vous précise. Impossible de faire autrement. Et c’est ce mélange de textes inédits et d’images détournées qui font la marque de fabrique de #frederiqueettatiana.
- Jusqu’où irez-vous ?
FD : Jusqu’où ce voyage nous mène.
TDR : Je crois que c’est bien parti pour durer….
- Imaginez-vous une suite éditoriale publiée à cette aventure ?
TDR : On nous réclame souvent le livre de ces échanges. Peut-être que tout cela donnera naissance à une autre piste littéraire ?
C’est touchant et galvanisant de savoir que nous sommes attendues chaque jour. Pendant le confinement, ce fut une échappatoire fantastique, et de le vivre en parallèle avec Fred, que j’admire et que je lis depuis longtemps, est un merveilleux privilège.
FD : Ça paraît difficile de transformer cet échange en quelque chose d’édité. Ne serait-ce que pour les propriétés d’images et aussi parce que la vidéo est indispensable. Le mouvement commenté de façon littéraire est une sorte d’exploration nouvelle. Pour moi qui ai commencé ma vie comme réalisatrice de télévision et journaliste éditrice en agence photo, cette expérience est réjouissante. Et le faire avec une amie qui écrit et qui elle-même est multiple, j’entends par-là dans sa langue, dans ses aptitudes, ses facultés, sa fantaisie anglo-saxonne et française, c’est le pied ! Mieux ça ne serait pas supportable !
Propos recueillis par Karine Papillaud
Deux autrices que j'aime beaucoup, qui ont su faire d'une expérience imposée et difficile une création originale! Bravo à elles deux et merci!
Bravo à toutes les deux.
L'écriture nous emmène vers des contrées inconnues
Bonjour, et bravo à elle deux !
Qu'elle énergie et imagination !