"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Né en 1903, mort en 1985 Jankélévitch connu les succès au crépuscule de sa vie et fut l'un des philosophes alors les plus médiatiques. Il est aujourd'hui le penseur qui convient pour conjurer la désespérance et le pessimisme. Jankélévitch nous apprend le charme de l'instant, les joies de l'action, nous met en garde contre les conformismes de la pensée et les mondes enrégimentés. C'est le pianiste de la philosophie, il joue sur les concepts comme sur un clavier.
Ne manquons pas notre unique matinée de printemps. Jankélévitch disciple d'Alain nous montre que c'est l'heure, que cette heure ne dure qu'un instant. Le vent se lève, c'est maintenant ou jamais. Cynthia Fleury, philosophe, psychanalyste, auteur à succès d'ouvrages sur la fin du courage, le soin ou le ressentiment nous offre un été avec Jankélévitch allègre plein de paradoxes sur le temps et son irréversibilité. Un dialogue sur la jeunesse d'esprit qui est le meilleur remède contre les passions tristes qui nous menacent.
Court mais dense hommage au penseur de l’engagement et de l’Histoire.
Pour qui n’a pas encore lu les écrits de Vladimir Jankélévitch, ce petit fascicule lui permettra de s’en emparer suffisamment pour s’en approcher.
Cynthia Fleury, philosophe et professeure titulaire de la chaine Humanités et santé au Conservatoire national des arts et métiers, réussi à condenser les idées qui tenaient à coeur à Jankélévitch.
Elle les range sous quatre parties directrices :
le penseur du temps
le penseur des vertus et de l’amour
la philosophie indissociable de la musique
le penseur de l’engagement et de l’Histoire (avec un grand H).
Puis elle présente, mot après mot, idée après idée, les pensées essentielles à Jankélévitch pour vivre le monde. Chaque idée est présentée sous forme de chapitres très condensés - 4 à 5 pages maxi - dans lesquels elle arrive à placer le dominant ou le constitutif de ce philosophe. A chaque mot correspond ce qui est fondamental pour lui.
L’autrice, avec ses mots à elle, mais respectueux des discours de Jankélévitch, précise les paroles phares de l’oeuvre. Elle nous parle ainsi de sa passion pour Fauré, Liszt et Ravel, de ses maitres tel que Bergson, de ses amitiés telle que celle pour Louis Beauduc connu en Normal sup en 1923, de son marquant traité des vertus et de bien d’autres préoccupations.
Petit exemple, celui de la définition de la nostalgie : Jankélévitch dit que « la nostalgie c’est le non consentement à l’irréversible, au temps qui passe et non à une époque merveilleuse qui ne sera plus. »
Citations :
« Jankélévitch est le grand maître des paradoxes. Sa philosophie morale allait définir un concept de liberté, …la liberté n’est pas ‘’quelque chose qui est’’, au sens où la liberté n’est pas un ‘’état’’, quelque chose qu’on peut posséder… La liberté est libératrice, c’est une dynamique de libération.»
« L’irrévocable est la mesure du temps…Tout passe, tout est toujours en mouvement, vers l’avant, et si le temps nous donne des allures de répétition, ce n’est là que pure illusion, rien ne se répète, tout est inédit et inéluctable. »
« Le pardon et l’insoluble problème : l’impardonnable. Si nous pardonnons seulement ce qui est pardonnable, est-ce vraiment du pardon ? Pour pouvoir être, authentiquement, pardon, faut-il qu’il soit sans conditions ? Ou, à l’inverse, est-ce précisément parce qu’il y a des choses impardonnable que la morale existe ? »
« Cette formule du ‘’je-ne-sais-quoi’’ a été choisie par Jankélévitch parce qu’il est difficile, voire impossible d’en dire précisément quelque chose, de lui donner une couleur définitive, par exemple celle du bonheur… Quand il y a tout pour être heureux, et qu’il reste dans l’âme un je-ne-sais-quoi, pas forcément mélancolique et langoureux,… alors vous pouvez être certain que vous êtes en présence de ce ‘’je-ne-sais-quoi’’. »
« Vous voulez être juste ? Il faudra être courageux. Vous voulez aimer ? Il faudra l’être également. »
Du philosophe, beaucoup d’entre nous connaissent la voix, une voix musicale, accrocheuse, qui s’incruste profondément dans la mémoire. C’est une belle idée de confier à Cynthia Fleury, philosophe, psychanalyste et auteure la tâche d’écrire et de présenter à la radio cette série d’articles, voyage entre légèreté et sérieux, comme la vie, sur une ligne de crête fragile et précieuse.
Vladimir Jankélévitch est le philosophe de la légèreté, une légèreté toute relative qui l’a conduit à développer – sur trois tomes parus en 1980 ! – le charme du Je-ne-sais-quoi et l’importance du Presque-rien. Légèreté indissociable du rêve, l'humour côtoyant l’ironie, sans s'y perdre. Il joue du piano, se passionne pour la musique, y cherche les réminiscences de ses origines juives et russes. Liant philosophie et musique, il met ses mots sur la virtuosité de Litzt, sur Ravel et Fauré.
Un des chapitres s’intitule : Les pas dans la neige. A partir de la musique de Debussy, le philosophe ausculte le mystère du temps. Là, en fidèle héritier de Bergson, il devient tout à fait sérieux, d'une gravité ne sombrant pas dans la tristesse, communiquant sa fascination pour l'étincelle de vie, superbe, étonnante, présente dans l'absence même.
Prince des paradoxe, Jankélévitch a inventé la notion de « primultime », chaque instant est le premier (prima) et aussi le dernier (ultima). L’irréversibilité du temps ainsi théorisée nous invite à saisir l’instant pour lui donner du sens.
Voici une superbe expérience de lecture, un petit livre très dense que je conseille. Je suis admiratif de Cynthia Fleury qui a réussi à nous rendre ainsi proche d’un philosophe singulier, lui laissant toujours la première place, avec de nombreuses citations extraites d’une riche bibliographie donnée en fin de volume.
C’est un livre à conserver près de soi et une invitation à passer, au-delà de l’été, d’autres moments privilégiés avec Jankélévitch !
Avis complet et composition photo personnelle sur blog Clesbibliofeel
Reprise des émissions de l’été 2022 construit pour des séquences de l’ordre de 5 minutes et donc une succession de courts chapitres qui permettent d’accéder à la personnalité (un peu) et (surtout) à la pensée / philosophie de Jankélévitch :
- Comme penseur du temps (et notamment, l’instant, la mort, la nostalgie, l’ennui, …) ;
- Penseur des vertus et de l’amour (ironie/humour, vérité et mensonge, courage, le pur et l’impur, l’amour, le sérieux, justice, plaisir, le malentendu, l’organe – obstacle, l’amitié, … )
- Indissociable de la musique (avec un rapport fort avec le piano) et quelques compositeurs – musiciens : Liszt, Ravel, Fauré, …) et l’occasion de développer le « charme du je-ne-sais-quoi
- Comme penseur de l’engagement et de l’Histoire (avec son incapacité à pardonner, le mal, la volonté de vouloir, s’engager ou conjuguer, …)
Une très bonne approche rendue accessible par le talent de Cynthia Fleury
On ne résiste pas au plaisir de quelques citations :
Sur la nostalgie
« Il faut lire Jankelevitch pour comprendre le sens, la signification de la nostalgie, et non sur ce que nous croyons qu'elle est, une relation passée qui a existé en tant que telle. … la nostalgie c'est le non consentement à l'irréversible, autant qu'il passe, et non à une époque merveilleuse qui ne serait plus. La nostalgie c'est la conscience de l'irréversibilité du temps. » p 29
Sur l’ennui
« Pourtant, tout métaphysique qu'il soit, l'ennui est un phénomène moral. Et là, Jankelevitch ne le rate pas car il en fait l'antithèse de la générosité. Celui qui s'ennuie n'aime pas. « n'en doutons pas, l'ennui vient de l'égoïsme ; et la cause fondamentale de l'ennui et la sécheresse » … » p 34
Sur le charme du « je-ne-sais-quoi »
« « On peut, après tout, résume Jankelevitch, vivre sans le je-ne-sais-quoi ; comme on peut vivre sans philosophie, sans musique, sans joie et sans amour. Mais pas si bien.» (Philosophie première) » p131
Ah ! Mais que voilà une bien belle idée que cette jolie collection (aux couvertures flashy) nous offrant annuellement (depuis 2013) un nouvel « été avec … » qui nous enchante ! Des petits recueils qui permettent aux lecteurs d’approcher d’illustres personnages, tels que Montaigne, Proust, Baudelaire, Victor Hugo, Machiavel, Homère, Paul Valéry, Pascal, Rimbaud ou Colette.
Cette année, place au philosophe (si positif, si optimiste) Vladimir Jankélévitch (1903-1985) Retrouvez, pour votre plus grand plaisir, les « doux » conseils du « Penseur du temps » qui met en valeur l’amour et ses vertus, mais également l’importance de la musique sans – pour autant – délaisser celle de l’engagement …
Ça se lit lentement, par toutes petites touches quotidiennes, afin de laisser les pensées du philosophe pénétrer tranquillement – mais durablement – notre cerveau … Un pur régal !
Encore un grand merci aux Éditions des Équateurs et à Babelio (Masse Critique non fiction) pour cette fort agréable découverte !
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