"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Reprise d’entretiens avec Eric Fottorino pour des articles parus dans les 3 numéros successifs du « 1 » sur la devise républicaine postérieurement au confinement covidien.
A noter les illustrations de Pascal Lemaître.
A chacune de développer le triptyque républicain : les historiennes Mona Ozouf pour Liberté, Michele Perrot pour Egalité et la philosophe clinicienne Cynthia Fleury pour la Fraternité.
- Mona Ozouf fait ressortir que « La liberté a deux ennemis : les circonstances extraordinaires et le salut public »
- Michelle Perrot (qui a centré une partie de ses travaux sur l’histoire des femmes) insiste sur le fait que « L’égalité est un but, un chemin, une bataille. »
- Et Cynthia Fleury, pointe que « Ce sont les inégalités qui menacent la fraternité. ». Elle développe et combine des références historiques (notamment l’assistance sociale : ancêtre de la sécurité sociale), sociologiques, philosophiques et politique.
Elle précise notamment :
« La gauche représente une tradition dans laquelle la notion de fraternité se combine avec celle d’altérité : on est frère avec l’autre, avec celui qui ne nous ressemble pas, voire qui n’est pas de notre pays. La droite, plus traditionnellement, incarne une fraternité du même, du semblable, de la patrie. Où mettre le curseur de l’altérité dans cette notion de fraternité est le point sur lequel divergent ces deux courants politiques. » p 82
Et à la question : « L’argent Clot ?
- Oui, il clôt : vous donnez de l’argent et vous n’avez rien à devoir . Or la fraternité est un enfant de l’économie du don et du contre-don. La dette est infinie – réciproque, mais infinie. » p 90
Court mais dense hommage au penseur de l’engagement et de l’Histoire.
Pour qui n’a pas encore lu les écrits de Vladimir Jankélévitch, ce petit fascicule lui permettra de s’en emparer suffisamment pour s’en approcher.
Cynthia Fleury, philosophe et professeure titulaire de la chaine Humanités et santé au Conservatoire national des arts et métiers, réussi à condenser les idées qui tenaient à coeur à Jankélévitch.
Elle les range sous quatre parties directrices :
le penseur du temps
le penseur des vertus et de l’amour
la philosophie indissociable de la musique
le penseur de l’engagement et de l’Histoire (avec un grand H).
Puis elle présente, mot après mot, idée après idée, les pensées essentielles à Jankélévitch pour vivre le monde. Chaque idée est présentée sous forme de chapitres très condensés - 4 à 5 pages maxi - dans lesquels elle arrive à placer le dominant ou le constitutif de ce philosophe. A chaque mot correspond ce qui est fondamental pour lui.
L’autrice, avec ses mots à elle, mais respectueux des discours de Jankélévitch, précise les paroles phares de l’oeuvre. Elle nous parle ainsi de sa passion pour Fauré, Liszt et Ravel, de ses maitres tel que Bergson, de ses amitiés telle que celle pour Louis Beauduc connu en Normal sup en 1923, de son marquant traité des vertus et de bien d’autres préoccupations.
Petit exemple, celui de la définition de la nostalgie : Jankélévitch dit que « la nostalgie c’est le non consentement à l’irréversible, au temps qui passe et non à une époque merveilleuse qui ne sera plus. »
Citations :
« Jankélévitch est le grand maître des paradoxes. Sa philosophie morale allait définir un concept de liberté, …la liberté n’est pas ‘’quelque chose qui est’’, au sens où la liberté n’est pas un ‘’état’’, quelque chose qu’on peut posséder… La liberté est libératrice, c’est une dynamique de libération.»
« L’irrévocable est la mesure du temps…Tout passe, tout est toujours en mouvement, vers l’avant, et si le temps nous donne des allures de répétition, ce n’est là que pure illusion, rien ne se répète, tout est inédit et inéluctable. »
« Le pardon et l’insoluble problème : l’impardonnable. Si nous pardonnons seulement ce qui est pardonnable, est-ce vraiment du pardon ? Pour pouvoir être, authentiquement, pardon, faut-il qu’il soit sans conditions ? Ou, à l’inverse, est-ce précisément parce qu’il y a des choses impardonnable que la morale existe ? »
« Cette formule du ‘’je-ne-sais-quoi’’ a été choisie par Jankélévitch parce qu’il est difficile, voire impossible d’en dire précisément quelque chose, de lui donner une couleur définitive, par exemple celle du bonheur… Quand il y a tout pour être heureux, et qu’il reste dans l’âme un je-ne-sais-quoi, pas forcément mélancolique et langoureux,… alors vous pouvez être certain que vous êtes en présence de ce ‘’je-ne-sais-quoi’’. »
« Vous voulez être juste ? Il faudra être courageux. Vous voulez aimer ? Il faudra l’être également. »
Du philosophe, beaucoup d’entre nous connaissent la voix, une voix musicale, accrocheuse, qui s’incruste profondément dans la mémoire. C’est une belle idée de confier à Cynthia Fleury, philosophe, psychanalyste et auteure la tâche d’écrire et de présenter à la radio cette série d’articles, voyage entre légèreté et sérieux, comme la vie, sur une ligne de crête fragile et précieuse.
Vladimir Jankélévitch est le philosophe de la légèreté, une légèreté toute relative qui l’a conduit à développer – sur trois tomes parus en 1980 ! – le charme du Je-ne-sais-quoi et l’importance du Presque-rien. Légèreté indissociable du rêve, l'humour côtoyant l’ironie, sans s'y perdre. Il joue du piano, se passionne pour la musique, y cherche les réminiscences de ses origines juives et russes. Liant philosophie et musique, il met ses mots sur la virtuosité de Litzt, sur Ravel et Fauré.
Un des chapitres s’intitule : Les pas dans la neige. A partir de la musique de Debussy, le philosophe ausculte le mystère du temps. Là, en fidèle héritier de Bergson, il devient tout à fait sérieux, d'une gravité ne sombrant pas dans la tristesse, communiquant sa fascination pour l'étincelle de vie, superbe, étonnante, présente dans l'absence même.
Prince des paradoxe, Jankélévitch a inventé la notion de « primultime », chaque instant est le premier (prima) et aussi le dernier (ultima). L’irréversibilité du temps ainsi théorisée nous invite à saisir l’instant pour lui donner du sens.
Voici une superbe expérience de lecture, un petit livre très dense que je conseille. Je suis admiratif de Cynthia Fleury qui a réussi à nous rendre ainsi proche d’un philosophe singulier, lui laissant toujours la première place, avec de nombreuses citations extraites d’une riche bibliographie donnée en fin de volume.
C’est un livre à conserver près de soi et une invitation à passer, au-delà de l’été, d’autres moments privilégiés avec Jankélévitch !
Avis complet et composition photo personnelle sur blog Clesbibliofeel
Reprise des émissions de l’été 2022 construit pour des séquences de l’ordre de 5 minutes et donc une succession de courts chapitres qui permettent d’accéder à la personnalité (un peu) et (surtout) à la pensée / philosophie de Jankélévitch :
- Comme penseur du temps (et notamment, l’instant, la mort, la nostalgie, l’ennui, …) ;
- Penseur des vertus et de l’amour (ironie/humour, vérité et mensonge, courage, le pur et l’impur, l’amour, le sérieux, justice, plaisir, le malentendu, l’organe – obstacle, l’amitié, … )
- Indissociable de la musique (avec un rapport fort avec le piano) et quelques compositeurs – musiciens : Liszt, Ravel, Fauré, …) et l’occasion de développer le « charme du je-ne-sais-quoi
- Comme penseur de l’engagement et de l’Histoire (avec son incapacité à pardonner, le mal, la volonté de vouloir, s’engager ou conjuguer, …)
Une très bonne approche rendue accessible par le talent de Cynthia Fleury
On ne résiste pas au plaisir de quelques citations :
Sur la nostalgie
« Il faut lire Jankelevitch pour comprendre le sens, la signification de la nostalgie, et non sur ce que nous croyons qu'elle est, une relation passée qui a existé en tant que telle. … la nostalgie c'est le non consentement à l'irréversible, autant qu'il passe, et non à une époque merveilleuse qui ne serait plus. La nostalgie c'est la conscience de l'irréversibilité du temps. » p 29
Sur l’ennui
« Pourtant, tout métaphysique qu'il soit, l'ennui est un phénomène moral. Et là, Jankelevitch ne le rate pas car il en fait l'antithèse de la générosité. Celui qui s'ennuie n'aime pas. « n'en doutons pas, l'ennui vient de l'égoïsme ; et la cause fondamentale de l'ennui et la sécheresse » … » p 34
Sur le charme du « je-ne-sais-quoi »
« « On peut, après tout, résume Jankelevitch, vivre sans le je-ne-sais-quoi ; comme on peut vivre sans philosophie, sans musique, sans joie et sans amour. Mais pas si bien.» (Philosophie première) » p131
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