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Parmi une myriade de grands auteurs dont l'oeuvre compose le patrimoine culturel de l'Iran, Omar Khayyâm est l'un des plus populaires, en tout cas le poète persan le plus lu à travers le monde. Cette large audience, le sage de Nichâpour la doit d'abord au poète irlando-britannique Edward Fitzgerald, qui le premier, en 1859, en adaptant ingénieusement les Robâiyât en vers anglais, fut à l'origine de sa consécration en dehors de son pays natal. Elle tient ensuite au caractère toujours actuel et vivace des quatrains, dont maints aspects trouvent des échos dans la sensibilité de l'homme moderne.
Cette édition, débarrassée de l'usuel cortège de vers apocryphes qui défigurent l'oeuvre du poète, offre, d'après les manuscrits les plus anciens, une traduction neuve et originale en quatrains, qui transpose le rythme du texte original des Robâiyât. Une belle façon de redécouvrir et d'apprécier le rationalisme teinté de pessimisme de Khayyâm, son «indifférence à la foi et au doute» et ses vibrants appels au carpe diem.
Traduit du persan par Hassan Rezvanian.
DOUCEUR PERSANE
Si vous êtes né en année bissextile c’est de sa faute. Les 365 jours annuels aussi. Si vous n’avez pas eu la moyenne en algèbre c’est de sa faute aussi, il en est le créateur. Omar Khayyam. 1048. Date de naissance supposée et Monsieur enfile les quatrains comme les plus grands poètes. What else ? À en écœurer tous les apprentis en herbe qui aimeraient se lancer dans l’exercice en 2021. Savant, philosophe et mathématicien, tout demeure plutôt mystérieux lorsqu’on aborde l’artiste qu’il était. Rassurez-vous, il ne sera pas question ici d’équations cubiques ou d’axiome des parallèles mais bien de quatrains sulfureux pour l’époque.
Omar Khayyam ne doit jamais se douter que ses quatrains sont encore édités mille ans après (à quelques années près, je ne suis pas mathématicien). On se demande souvent si la littérature ou la poésie peuvent changer le monde. Rares sont les réponses unanimes, ce qui est certain c’est qu’elle peut déstabiliser n’importe quelle institution. Comment ces quatrains ont-ils pu donner lieu à autant d’interprétations ? Mysticisme, athéisme, soufisme, épicurisme, distance par rapport à l’Islam. Si Fernando Pessoa ou Marguerite Yourcenar ont succombé ce n’est peut-être pas pour rien. Alors, entrons dans l’univers persan qu’il nous propose.
Certains quatrains tout d’abord sont spécifiés comme étant « errant » car non attribués officiellement à l’auteur, la traduction étant assurée par Patrick Remaux, méritant un bel hommage. La langue persane fait étalage de tant d’allitérations et aux non-dits que la traduction devient une épreuve de force et n’a jamais mis tous les traducteurs en accord. Ce qui frappe en premier lieu est indubitablement la musique, qui déclamée à haute voix fait d’un quatrain un florilège de sonorités inédites. En jouant avec les mots mais toujours avec élégance sans jamais être pompeux ou emphatique, Omar Khayyam est entré en collision avec mon imaginaire. L’alcool permet ce voyage et je vois déjà certaines d’entre vous (le féminin est volontaire, je vous connais que trop bien) se ruer sur ce livre pour se donner bonne conscience. C’est en effet l’alibi le plus poétique qui soit, je vous y encourage. Suis-je un tentateur qui recevra une plainte des alcooliques anonymes ? La réponse est oui mais il faut savoir vivre dangereusement. Patrick Remaux voit un caractère hallucinatoire dans les quatrains de Khayyam, je suis en total accord avec cette analyse où l’on ressent ces mirages, ces visions en constatant que le monde autour de lui n’existe pas ou plus•••
« Regarde la tablette : le maitre du destin », visionnaire malgré lui. Derrière nos écrans, nous ne vivons que par procuration. En dénonçant la religion comme telle quant aux feux qui sévissent, quant aux rites inutiles ou la distinction biblique de l’enfer et du paradis, l’auteur prend des risques. Le champ lexical du ciel occupe une place particulièrement riche dans ce recueil et permet d’y insérer les transpositions que l’on souhaite lui donner. En réalité en écrivant cela à cette période précoce, je suis saisi par la lucidité et la modernité du propos. À la fois de manière subliminale mais également en filigrane tout au long des quatrains déclinés. Nous n’avons pas tant évolué que cela au niveau des idées finalement. Cela peut paraitre fortement inquiétant et à la fois réjouissant de constater qu’un poète persan voyait déjà tout des Hommes. La prise de distance qu’il a sur sa propre existence qu’il considère comme minime, devrait inspirer bon nombre d’égocentriques en 2021, nul n’est indispensable ici-bas.
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