Caraïbes, 1492. "Ce sont ceux qui ont posé le pied sur ces terres qui ont amené la barbarie, la torture, la cruauté, la destruction des lieux, la mort..."
Ces dernières décennies, la production et le trafic de drogues ont souvent été étudiés sous un angle alarmiste et sensationnaliste, à travers la menace de l'absence, la défaillance ou la complicité des États dans les régions concernées par le trafic ou la production de drogues. En revanche, plus rares sont les études qui ont tâché d'avancer cet argument en adoptant un regard «par le bas», en analysant en quoi les activités illégales constituent aussi des activités de subsistance qui soutiennent autant des mobilisations que des actions de gouvernement.
Cet ouvrage propose de combler ce manque à partir de l'étude de la production de coca en Bolivie et au Pérou pour analyser les interactions complexes entre État, économie illicite et mobilisations à partir de l'étude du rapport à l'État qu'entretiennent les cultivateurs de coca et leurs organisations sociales. Il prend pour point de départ deux régions productrices - le Tropique de Cochabamba (Bolivie) et la Vallée des fleuves Apurimac, Ene et Mantaro (Pérou) - pour lesquelles il est estimé que près de 90% de la coca est destinée aux marchés illicites de la cocaïne.
Par l'étude comparée de ces deux cas et grâce à une enquête ethnographique longue, il ressort que les mobilisations de défense de la coca ne s'inscrivent pas contre l'État, mais bien avec lui. Grâce à la coca, les organisations de cultivateurs parviennent consolider des pratiques de gouvernement local, construisent du commun et des espaces d'autonomie qui leur permettent de se mobiliser. Pour autant, elles savent également jouer avec une certaine malice sur les registres dominants des risques associés au narcotrafic, au narcoterrorisme pour faire valoir de nouvelles infrastructures, des services publics, des fonctions politiques et administratives que leurs dirigeants parviennent à occuper. Ce faisant, ces organisations, dirigeants et cultivateurs parviennent à «saisir l'État», ce qui leur permet à la fois d'administrer les ressources étatiques mais également retracer les frontières des activités légales et illégales, licites et illicites.
Les mécanismes par lesquels cultivateurs de coca et organisations sociales parviennent à se saisir de l'État diffèrent sensiblement en fonction des relations État-sociétés et de l'ancrage des partis politiques au niveau national, laissant dévoiler l'importance des relations corporatistes dans la Bolivie d'Evo Morales et des logiques entrepreneuriales dans un Pérou marqué par une importante défiance à l'égard du personnel politique.
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