"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
En septembre 1912, lorsqu'il arrive au sanatorium de Görbersdorf, dans les montagnes de Basse-Silésie, le jeune Wojnicz espère que le traitement et l'air pur stopperont la maladie funeste qu'on vient de lui diagnostiquer : tuberculosis. À la Pension pour Messieurs, Wojnicz intègre une société exclusivement masculine, des malades venus de toute l'Europe qui, jour après jour, discutent de la marche du monde et, surtout, de la « question de la femme ». Mais en arrière-plan de ce symposium des misogynies, voici que s'élève une voix primordiale, faite de toutes les voix des femmes tant redoutées...
Hypersensible, malmené par un père autoritaire, Wojnicz veut à toute force étouffer son ambiguïté et dissimuler aux autres ce qu'il est ou redoute de devenir. Pourtant, une mort violente, puis le récit d'autres événements terribles survenus dans la région, vont le conduire à sortir de lui-même. Alors qu'il est question de meurtres rituels et de sorcières ayant trouvé refuge dans les forêts, notre héros va marcher au-devant de forces obscures dont il ne sait pas qu'elles s'intéressent déjà à lui.
Des livres d‘Olga Tokarczuk, prix Nobel de littérature 2018, j’en ai plein la bibliothèque, non lus évidemment. Certains ont été ramenés droit de Pologne, son pays natal. Il a donc fallu que j’attende ce début 2024 pour lire pour la première fois l’une des plus importantes, femmes de lettres de la littérature polonaise actuelle avec ce roman, paru chez Les Editions Noir sur Blanc, qui semble être le pendant bien plus sombre de La Montagne Magique de Thomas Mann. Pour qui l’a lu, le voyage du tuberculeux Mieczysław Wojnicz à destination d’un sanatorium ne peut manquer d’évoquer le chef-d’œuvre de l’auteur allemand. À mon sens, Olga Tokarczuk se doit d’être lue, au moins pour le fait que féministe, elle est pro-européenne et défenseure des droits des minorités en Pologne, en total désaccord avec le gouvernement conservateur actuel.
Le thème soulevé une fois par la mort absurde de madame Opitz revient régulièrement, et sa dépouille mortelle inquiète les esprits. Mieczysław n’est pas sans avoir remarqué que chaque discussion, qu’il soit question de la démocratie, qu’il soit question de la cinquième dimension, du rôle de la religion, du socialisme, de l’Europe ou enfin de l’art moderne, finit toujours pas les conduire à parler des femmes.
Nous avons donc une liste en début de roman de tous les personnages inclus dans l’histoire, ce qui s’avère être plutôt une riche idée. Elle est édictée par des narrateurs inconnus qui suivent à la trace Mieczysław Wojnicz, jeune étudiant en ingénierie en, qui nous provient de Lwow. Nous sommes à la mi-septembre dans la gare de Dittersbach. Wojnicz est malade, une calèche l’embarque direction la Silésie, Göbersdorf, en allemand, Sokolowsko, en polonais, et sa « pension pour Messieurs », qui jouxte le sanatorium de la région. C’est dans cette pension qu’il passera l’intégralité de son séjour, le sanatorium n’ayant plus de place vacante pour le loger en pension complète. C’est là où il y rencontrera tous ses acolytes, à commencer par le tenancier, Wilhelm Opitz. À ce point-là du roman, on a compris que la focalisation était interne, avec un narrateur omniscient qui n’est pas Wojnicz, en revanche, l’identité des narrateurs est encore bien mystérieuse.
Lentement, ce narrateur se révèle être des narratrices, les habitantes des lieux, des esprits capables de se faufiler entre les fentes du plancher, « ces Empouses, spectres de la déesse Hécate ». Wikipédia nous dit que l’Empouse est une créature fantastique, sorte de démon femelle. Ce sont des spectres qui « peuplent les nuits de terreur ». Hécate est la déesse de la Lune, de la magie et des limites. Car de la magie, de l’inexpliqué, il y en a à foison dans le roman de l’autrice polonaise, avec tout d’abord cette atmosphère pesante dans laquelle se débattent plutôt qu’évoluent les personnages, une ambiance ponctuée de mystère, qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle de La Montagne magique. Sauf qu’ici, on sait que ce sont ces étranges esprits féminins qui observent et racontent, épient ce groupe d’hommes divers et variés, unis par la maladie, et pour la plupart, par une misogynie asphyxiante.
Roman d’épouvante naturo-pathique : effectivement, il y a un brin d’épouvante dans les morts énigmatiques incrustées dans l’histoire des lieux, et d’abord par celle de l’épouse du tenancier, Klara Opitz. Car notre Mieczysław Wojnicz, dont les Empouses empruntent la focalisation, va découvrir que des meurtres se déroulent dans ces lieux, chaque année à la même date. La mort rode, non seulement par la maladie de chacun, mais par les décès inexpliqués dans ce lieu, où la nature et ses éléments sont maîtres et maîtresses. Une sensation de malaise d’autant plus accentuée, qu’outre les problèmes physiologiques que rencontre notre étudiant, ce dernier a son équilibre mental aussi fragilisé.
Étangs et bois, torrents et sentiers caillouteux et sinueux, le futur ingénieur oscille entre auberge et promenades au sein de la nature, collectionnant les feuilles mortes, se dirigeant dans l’obscurité de la forêt. Tout se cache dans les interstices sombres, là où la lumière se garde bien de passer. Dans cette galerie ou il n’y a que des hommes, dans cette famille même où Mieco a grandi entouré d’hommes, tous entretiennent leur misogynie, qui va même jusqu’à attribuer un sourire libidineux à la Joconde, dans cet entre-soi, où la femme est figurante et en tant que telle s’incarne davantage par toute la nature, des mantes religieuses, des Empouses, ou même sculpture antique. Il n’y a que des hommes ici, et pourtant tout ne tourne qu’autour des femmes, car les hommes ne sont plus que les jouets de ces esprits magiques. Ce roman m’a vraiment déconcertée et continue à le faire, il emprunte de nombreuses références mythologiques, philosophiques, picturales, historiques et géographiques, ainsi que littéraires qu’il faut conjuguer toutes ensemble pour obtenir, ou tenter du moins, un début de sens à la signification de ces entités féminines et voraces...
❤️ Coup de cœur ❤️
La vallée de Göbersdorf est renommée en ce début de vingtième siècle pour son sanatorium destiné aux malades de la tuberculose.
S’y côtoient de riches curistes, des pauvres, plusieurs nationalités. Certains logent directement au sanatorium, d’autres dans des pensions situées aux alentours.
C’est le cas de Wojnicz. Ce jeune polonais, élevé par un père autoritaire a découvert que le bacille de Koch avait colonisé un morceau de ses poumons.
Il se retrouve à la pension pour messieurs dirigée par le sieur Opitz.
Mais, si le cadre est idyllique, le quotidien rythmé par les soins et les discussions entre pensionnaires autour d’une boisson locale, des choses étranges se produisent.
Un suicide, des bruits étranges, des regards et des silences, autant d’éléments qui vont conduire Wojnicz à se confronter à ses plus grandes peurs.
Que dire de plus que ce roman est un immense coup de cœur.
La quatrième de couverture nous apprend que l’autrice s’est emparée, dans ce roman, du schéma de La montagne magique de Thomas Mann pour le faire voler en éclat. N’ayant pas lu ledit roman je ne peux me prononcer sur ce point mais une chose est certaine, c’est qu’elle signe là un grand roman.
Olga Tokarczuk nous offre un quasi huis clos masculin, un cercle d’hommes plein de certitudes et de préjugés sur les femmes sans qu’ils ne leur viennent à l’idée d’interroger les principales intéressées ou soulever les violences dont elles sont victimes.
Ce roman est d’un rythme lent, au malaise distillé à petites gouttes mais il est impossible à lâcher, on se sent prisonnier de ses pages comme les personnages de l’histoire le sont de la vallée.
Ce roman chamboule les oppositions entre science et croyance, homme et femme, civilisation et chaos. Il est accessible et étrange, classique et original, bref du grand Tokarczuk et vous, l’avez-vous lu ?
En 1912 , Mieczyslaw Wojnicz , jeune homme polonais , arrive à Görbersdorf , en Silésie, pour soigner sa tuberculose .
Cette ville est connue pour son sanatorium et de nombreux curistes y séjournent.
Wojnicz est hébergé dans une pension tenue par Monsieur Opitz.
Elle n'est occupée que par des hommes, plutôt d'un certain âge en dehors d'un jeune homme, Thilo dont la maladie est à un stade avancée.
Les journées s'écoulent paisiblement au rythme des soins, des promenades et des temps de repos en chaise longue .
Seules les soirées à la pension sont animées, les débats entre ces messieurs d'origine, de religion et d' opinions bien différentes fusent , accentués par la consommation d'une liqueur locale appelée Schwärmerei .
On discute politique, culture, religion , philosophie et souvent des femmes, qui ont toutes un caractère faible et un cerveau plus petit que l'homme, c'est une évidence.
Notre jeune ami se sent plutôt étranger à ces soirées mais apprécie également la boisson qui entraine un état au delà de l'ivresse avec un effet hallucinogène pour lui.
Il évolue entre son passé avec une enfance auprès d'un père exigeant, l'absence de sa mère défunte et une nourrice qui est la seule personne à lui avoir apporté de l'affection et un futur incertain lié d'une part à sa maladie et d'autre part à une malformation qui le confine à une fragilité qu'il ne sait pas contourner et le rend pusillanime .
Règne une nostalgie dans sa langueur qui va de paire avec sa maladie , le spleen des jeunes romantiques...
Il sent autour de lui des présences étranges qui se manifestent la nuit dans le grenier ou lors de ses balades dans les bois.
Alors, venons-en aux fameuses Empouses , spectres ou démons de la mythologie grecque , filles de la déesse Hécate .
Ce sont elles qui décrivent les personnages par leur apparence vestimentaire en commençant par les chaussures ...
On les entend en choeur ponctuant le récit de leurs remarques .
"Nous, les empouses, nous les observons d'en bas, comme toujours, par en dessous; nous les voyons comme de gigantesques colonnes au sommet desquelles se trouve un petit appendice qui parle : la tête. Leurs pieds écrasent de façon mécanique le sous-bois, brisent les petites plantes, déchirent les mousses, piétinent les corps minuscules des insectes qui n'ont pas eu le temps de fuir le cataclysme annoncé par les vibrations. Sous la canopée, le mycélium tremble encore un moment après leur passage, cette vaste texture maternelle diffuse l'information de la présence d'intrus et de la direction où porte leurs pas ."
Dans cette petite ville thermale de Görsberdorf, Wolnicz est alerté par un des pensionnaires de la survenue annuelle d'un meurtre d'un homme jeune , une sorte de rituel dont l'existence est cachée et les auteurs sont inconnus .
D'un rythme assez lent, le récit s'accélère en toute fin du roman .
Les monstres apparaissent mais ne sont pas forcément ceux que l'on imagine et l'épilogue prend une tournure étonnante même si certains indices peuvent orienter.
Cette lenteur est largement compensée par la peinture ciselée que fait Olga Tokarczuk de cette société d'hommes misogynes où la femme est absente physiquement mais toujours proche dans les esprits .
L'écriture est magnifique et j'ai pris beaucoup de plaisir aux descriptions, tant des hommes que de la nature .
Le sous-titre de ce livre est : roman d'épouvante naturopathique , je ne sais pas où voulait en venir exactement l'auteure mais en découvrant les soins infligés aux malades phtisiques, on peut frémir ou sourire ....
"la faiblesse se soigne au champagne , l'insomnie au cognac avec du lait avant de se mettre au lit "
Avec un grand merci à NetGalley et aux Éditions Noir sur Blanc
#Lebanquetdesempouses #NetGalleyFrance
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