Caraïbes, 1492. "Ce sont ceux qui ont posé le pied sur ces terres qui ont amené la barbarie, la torture, la cruauté, la destruction des lieux, la mort..."
Anna est née de père inconnu aux yeux de l'état civil. Ce père, elle le connaît pourtant. Arrivé d'Algérie en 1962, il travaillait comme laveur de carreaux. Anna croisait souvent sa silhouette, en scooter dans les rues de Tours, transportant sur son dos son matériel et son échelle.
Sur l'avenue de verre qui traverse la ville, il a passé sa vie à effacer des traces. Après sa mort, Anna tente, elle, de retrouver d'autres signes estompés, ceux de la relation qui les a unis mais également ceux du monde qu'il a quitté, de l'autre côté de la mer. Ceux d'un drame qu'elle suspecte mais qui demeure voilé.
Dans cette émouvante quête intime, Clara Breteau renoue avec un père dont le métier était de faire corps avec les vitrines qu'il nettoyait - tour à tour cloisons qui séparent et surfaces où les signes se déposent. En jouant sur les transparences et les opacités de l'histoire familiale et coloniale, l'écriture touche au plus près ce qui était resté scellé, pour mieux retisser la mémoire.
Clara Breteau vit à Tours. L'avenue de verre est son premier roman.
Un père à Mobylette avec une échelle et un seau
«On l'appelait Johnny car, lorsqu'il est arrivé des Aurès en 1962, où son père harki a été massacré par le FLN algérien, il aimait Johnny Hallyday. » C'est avec ce bout d'histoire familiale que Clara Breteau décide de mener son enquête et nous offrir un premier roman autobiographique bouleversant.
Curieuse destinée que celle d'un homme, laveur de carreaux, qui a passé sa vie à effacer des traces, à rendre les vitrines des magasins de L'Avenue de verre à Tours propres, lisses, immaculés. Cet homme est le père d'Anna qui le voit régulièrement passer sur sa mobylette, affublé de son échelle et de son seau. Pourtant elle ne sait pas grand-chose de lui, car il vit seul et que, même si elle sait où il habite, il ne lui viendrait pas à l'idée de lui rendre visite. Restent les questions : « pourquoi il est parti et dans quelles circonstances, quelle a été sa guerre, et de quel trou, de quel camion bâché auraient fait irruption, s’il s'était mis à raconter, les membres, la peur, le sang. » Alors Anna essaie de savoir et de comprendre. « Elle parle à des amis de son père, des anciens collègues, des familles arrivées d'Algérie à la fin de la guerre, comme lui. Elle sait qu’elle oublie vite, alors elle note, collecte. Pour, dit-elle au début, lutter contre le silence. » Elle veut tout savoir des non-dits et des tabous qui ont accompagné cet homme qu'un entrefilet de La Nouvelle République présentait en quelques lignes : « On l'appelait Johnny car, lorsqu'il est arrivé des Aurès en 1962, où son père harki a été massacré par le FLN algérien, il aimait Johnny Hallyday. »
Rassemblant les pièces du puzzle, elle comprend que dans sa soif d'émancipation d'une famille rigide et violente, sa mère se soit jetée au cou de ce Johnny, le premier homme rencontré qui ne ressemblerait pas à ceux de sa famille. Que se marier avec cet immigré sonnerait pour elle comme une vengeance. Même s'il est dans la logique des choses de voir son grand-père maternel ne pas goûter à cette union. « Lorsqu'il avait appris que sa fille si brillante se retrouvait enceinte d'un Algérien illettré et laveur de carreaux, il ne lui avait plus parlé pendant plus d’une année, Dès le ventre de sa mère et son milieu sonore, Anna avait grandi à l'écart des accents masculins. Quand elle était née, plusieurs mois s'étaient écoulés avant que son grand-père accepte de la rencontrer. »
Un grand-père qui refuse de la voir côté maternel et un grand-père absent côté paternel. Un grand-père, Hadj, ce harki « massacré par le FLN algérien » qu'Anna va rechercher d'Aix-en-Provence à Blois et de Paris à la côte normande, partout où des archives sur l'Algérie sont rassemblées.
Ce qu'elle va découvrir d'une histoire coloniale qui commence en 1830, n'est guère glorieux. Mais que peut-il y avoir d'honorable dans l'asservissement d'un peuple, fut-ce pour lui apporter « les valeurs de la civilisation » ? Au fil de son enquête Anna va découvrir la violence et les massacres. Elle va aussi comprendre la raison du mutisme de son père et la force symbolique de son métier, effacer les traces pour offrir à sa descendance un avenir net et brillant.
Si Clara Breteau a choisi de raconter cette histoire autobiographique à la troisième personne plutôt qu'avec le "je", c'est sans doute pour prendre un peu de distance avec les faits qu'elle a découverts, comme pour les passer au tamis de cette narration.
Mais au bout de son enquête bouleversante, elle va pourtant comprendre que c'est bien dans sa généalogie qu'elle s'inscrit. « Anna le sait maintenant. Elle n’a peut-être pas son nom, sa langue, ni sa culture. Mais elle est bien la fille de son père. »
NB. Tout d'abord, un grand merci pour m'avoir lu jusqu’ici ! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre et en vous y abonnant, vous serez informé de la parution de toutes mes chroniques.
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Pour l'état civil, Anna est née de père inconnu. Pourtant, ce père, elle l'a bien connu. Il menait une double vie, avec deux familles, l'officielle ignorant l'existence de l'autre.
D'origine algérienne, Il travaillait comme laveur de carreaux, passant ses journée à effacer des traces sur les vitrines des commerces de l'avenue de verre, la principale rue commerçante de Tours.
Après sa mort, Anna cherche à reconstituer son passé, qu'il a peut-être cherché à effacer comme des taches sur une vitre...
Ce roman est une quête de soi, de son passé et de ses origines, qui ne laisse guère de doute sur son caractère autobiographique. Il est donc constitué d'une succession d'images, plus ou moins effacées, d'impressions et de réflexions. N'y cherchez pas une véritable enquête, avec des découvertes et de l'action ; vous seriez déçu.
Le personnage d'Anna est sympathique. L'autrice parvient à nous faire partager ses questionnements, ses doutes... Le père a un nom, qu'il n'a pas voulu transmettre à ses enfants pour les protéger du racisme. Sauf erreur, il n'a pas de prénom, ce qui contribue à le tenir à distance, dans un flou volontairement recherché.
Le roman est écrit à la troisième personne : la narratrice décrit ce que vit, pense ou ressent Anna. Ce choix de l'autrice m'a gêné. On comprend vite que le roman est d'inspiration autobiographique, mais il est rédigé comme si Clara Breteau refusait de s'impliquer, voulait rester observatrice. Je pense que l'utilisation du "je" plutôt que du "elle" aurait donner plus de force à l'ouvrage.
Merci à Babelio et aux éditions du Seuil de m'avoir permis de découvrir ce roman et son autrice.
Chronique illustrée : http://michelgiraud.unblog.fr/2025/01/09/lavenue-de-verre-de-clara-breteau-au-editions-du-seuil-a-la-recherche-de-son-histoire-familiale/
« Anna ne sait pas grand-chose de son père » Ainsi débute ce roman autofictionnel.
Née de père inconnu, Anna essaie de redonner vie à ce père intermittent qu’elle ne rencontre que quelques soirs par semaine.
« Anna se demande comment son cerveau d’enfant modelait les absences, les installait bien solides, comme des rocs dans le paysage. »
Ce père avait quitté l’Algérie en 1962 pour la France où il était devenu laveur de carreaux. Tous les commerçants connaissaient sous son surnom de Johnny le laveur de carreaux toujours souriant qui aimait le rockeur.
En grandissant, Anna découvre tous ces mystères derrière sa filiation. Ce père dont elle ne porte pas le nom, quelle vie menait-il lorsqu’il n’était pas avec elle et son frère ? De ses origines algériennes, il ne dit rien ou si peu, évoque à peine un père mort jeune. De l’Algérie, le pays des origines laissé de l’autre côté de la mer., elle n’en saura pas davantage.
« En lui disant constamment que ce pays était dangereux, en repoussant sa découverte à des lointains radieux, son père l’avait tenu sous le coup d’une malédiction. Ce qu’il en avait dit devant Anna bloquait, comme un sésame, le port de l’Algérie. »
Elle part à la recherche de la vérité. C’est comme une enquête, remonter à la source, chercher les témoignages des collègues, des amis de son père, pour comprendre.
L’avenue de verre, avec ses vitrines qui se font face et qui reflètent la vie, symbolise ce père secret et taiseux. Il vivait pourtant dans les reflets faussement scintillants de ces vitrines qu’il nettoyait à longueur de journée, à longueur d’année. Il effaçait les traces, rendant translucide les vitrines. Combien de ces émigrés, déracinés, qui tentent d’effacer leurs vies antérieures ?
« Être laveur de carreaux, c’était fabriquer de la transparence, comme d’autres fabriquent du pain ».
En opacifiant ces surfaces lisses pour les nettoyer, le père d’Anna opacifiait sa propre histoire familiale étroitement liée à l’histoire coloniale et à ses drames.
C’est avec beaucoup de sensibilité et de retenue que la narratrice tisse les fils de sa propre vie avec celle de cette partie de sa famille qu’elle ne connait pas.
L’écriture, déliée et subtile, retrace avec émotion et pudeur les transparences comme les ombres, nombreuses, de cette histoire familiale enfouie. Et le père, le laveur de carreaux, est le passeur malgré lui de cette renaissance d’une histoire confisquée.
Derrière Anna, on devine l’auteure et un fragment de son histoire qui touche à l’intime. Une autofiction sensible et un premier roman superbe !
Je remercie Les éditions Le Seuil et Babelio pour cette lecture
Son père est couché, amaigri de trente kilos, la peau jaunâtre, le ventre distendu. Il s’abandonne lentement à l’appel de son pays. Anna connaît peu de choses de lui. Pour lutter contre ce silence, elle collecte patiemment des souvenirs auprès de ses amis, ces hommes venus d’Algérie après la guerre, tout comme lui. Anna écrit, enseigne à l’université : questionner les êtres, retranscrire leurs histoires, c’est son métier.
Elle cherche à retrouver ce père enfant, adolescent marqué par la guerre, découvrir ce qu’il a vu, ce qu’il a traversé. Laveur de carreaux, il n’a laissé derrière lui aucune trace, ni sur les vitres qu’il nettoie, ni dans sa propre vie. Il avait choisi de s’effacer, de devenir un homme sans visage, ne pas se faire remarquer, une ombre parmi les autres. Déchiré, il s’était dédoublé : deux foyers, deux femmes, deux existences parallèles. Il avait renoncé à léguer à Anna et à son frère son nom, sa maison, sa part de l’histoire.
Un roman d’une infinie délicatesse, où affleurent, entre les lignes, les stigmates de la colonisation et de la guerre d’Algérie, l’asphyxie d’un peuple. Les harkis, l’humiliation, l’abandon par la France. Dans une construction subtile et fragmentée, Anna tente de renouer les fils, d’édifier des passerelles, de relier les deux moitiés de son être. Et puis il y a ces reflets, fugitifs, dans les vitres : comme les deux visages de ses origines.
Merci aux éditions du Seuil de leur confiance.
Anna, la narratrice, bien que née de père inconnu aux yeux de l’état civil, puisque née sous X, connaît pourtant son père. S’il n’a pas voulu leur donner son nom, Baloul, à elle et à son frère, c’était disait-il pour les protéger du racisme. Mais Anna avait fini par comprendre que ce nom était déjà pris par d’autres enfants, une autre femme, qui vivaient avec lui pas très loin.
Algérien, arrivé en France en 1962, après avoir passé plusieurs semaines dans la rue, être allé de petit boulot en petit boulot, il avait trouvé refuge à Tours et travaillait comme laveur de carreaux sur l’avenue de verre qui traverse la ville, passant sa vie à effacer les traces. Surnommé Johnny, il était même devenu le laveur de carreaux le plus célèbre de la ville !
À sa mort, Anna se rend compte que ce père, elle le connaît très peu. Elle n’a même jamais cherché d’images de la ville de Batna d’où il venait. Elle a bien des images, des souvenirs, mais elle va tenter de retrouver d’autres signes estompés, ceux de la relation qui les a unis mais également ceux du monde qu’il a quitté, de l’autre côté de la mer.
Si Anna écrit et enseigne à l’université et que son métier consiste à interroger des gens, trouver des sources et collecter des histoires, quand il s’agit d’enquêter sur son père, ses outils s’émoussent.
Les traces laissées par son père sont faibles et elles ne sont pas forcément dans les seules rues de Tours. Anna cherche aussi dans ce passé colonial, ce passé colonial vécu par toute une génération d’exilés. Mais elle, elle ne l’a pas vécu, d’où de nombreuses questions qui la hantent, à savoir ce qu’elle doit faire de ces traces, ces traces que son père effaçait sur les vitrines de l’avenue.
Elle va également partir sur celles de son grand-père Hadj, harki massacré par le FLN, ce grand-père qui avait été sorcier en Algérie, un marabout, un guérisseur, lui avait-on dit. Par association, Anna ne peut s’empêcher de penser au prestidigitateur Robert-Houdin, le père du jardin truqué, qui a rencontré les marabouts anciens du monde de son grand-père, et à cette mission en Algérie en 1856, que les autorités françaises lui avaient confiée.
Claire Breteau relate dans cette autofiction une émouvante quête intime.
À travers cette histoire familiale et coloniale, l’autrice décrypte le traumatisme colonial chez les enfants de la diaspora nés en France bien après l’indépendance avec une extrême sensibilité. Le texte d’une écriture magnifique est peuplé d’images poétiques et joue en permanence sur les transparences, les opacités, les ombres et les reflets.
Touchant et pudique, intime et universel, bouleversant mais très instructif lorsque sont évoqués les non-dits de l’histoire algérienne, ce roman m’a causé une intense émotion lorsque Anna évoque cette chanson « A Vava Inouva » (mon papa à moi) de Idir, ce chanteur, auteur-compositeur-interprète et musicien algérien d’expression kabyle, le refrain étant une allusion à une jeune fille sauvant son père prisonnier d’une forêt peuplée d’ogres et de fauves… J’ai eu en effet l’immense chance d’avoir pu assister à un concert de cet artiste à la voix sublime : un moment hors du temps !
Avec L’avenue de verre, Clara Breteau signe un superbe premier roman.
Je remercie Babelio et les éditions du Seuil pour cette belle découverte.
Chronique illustrée à retrouver ici : https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/2024/12/clara-breteau-l-avenue-de-verre.html
Par prévention contre le racisme disait-il, mais surtout parce qu’il menait une double vie, leur père n’a reconnu ni Anna ni son frère à la naissance. Ainsi poursuivait-il, lui le laveur de carreaux qui passa sa vie en France le nez sur des parois de verre à assurer leur transparence, l’oeuvre d’effacement que, depuis son arrivée à Tours en 1962, adoptant « tous les insignes du bon Français » « pour ne pas se faire remarquer » mais aussi pour tenter d’oublier cette Algérie devenue pour lui synonyme de mort et de cauchemar, il avait entrepris quant à son passé et à son identité.
Béance à l’état civil, absence en pointillés de plus en plus espacés au quotidien, il finit même par ne plus traverser la vie d’Anna que sous la forme régulièrement entraperçue d’une silhouette caractéristique sillonnant la ville sur son scooter hérissé de son échelle et de son béret rouge. Mais voilà, « c’est lorsque l’on efface que soudain tout résonne. » « C’est lorsqu’on les dénude que les parois se mettent à parler. » Ce père champion du gommage de vitres comme de sa mémoire et aujourd’hui décédé, Anna désormais professeur de géographie ne peut se résoudre à le laisser s’évaporer comme un mirage. Ces traces qu’il s’est avec tant de soin évertué sa vie durant à effacer, elle n’aspire qu’à les faire resurgir, espérant ainsi combler les blancs qu’il lui a laissés en héritage.
Alors, la jeune femme enquête, interroge, cherche le révélateur de cette encre sympathique avec laquelle il a écrit sa vie et, du coup, une partie de la sienne aussi. Elle se voit comme un « boomerang » qui, un jour « inverserait son trajet, reviendrait s’écraser à son point d’origine. » On la perçoit comme un insecte se cognant désespérément à la vitre invisible de l’opacité et du silence. Car au vide répond obstinément le « rien », celui qui a pris la place de ses origines, à-demi gommées par ce qu’elle devine du massacre de ses grands-parents et par le couvercle jeté sur les atrocités de la guerre coloniale.
Joliment porté par la finesse et la poésie d’une plume tout en retenue jonglant entre opacités et effets de transparence, ce premier roman d’inspiration manifestement autobiographique peut, par certains côtés, faire penser à Archipels d’Hélène Gaudy. A défaut de se laisser percer, l’énigme paternelle aura, dans les deux cas, entre émotion et réflexion, suscité de fort beaux ouvrages littéraires.
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Caraïbes, 1492. "Ce sont ceux qui ont posé le pied sur ces terres qui ont amené la barbarie, la torture, la cruauté, la destruction des lieux, la mort..."
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