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Seul et désemparé, le narrateur de Langue morte déambule dans les rues de son enfance. Son errance lui fait traverser le temps, ressuscite ses voisins, ses parents, son frère, ainsi que tous les curieux personnages dont il a croisé la route. Initié au théâtre par son père, à la bêtise par l'école et à la mort par sa grand-mère, il sera contraint de fuir pour échapper à ses propres démons... De la grisâtre à l'Autriche, en passant par Paris, le Gard, l'Allemagne et l'Italie, le narrateur sera confronté au désoeuvrement, à la souffrance et à la colère mais découvrira aussi l'amour, la musique et l'amitié. Ces obsédants souvenirs de jeunesse le conduiront jusqu'au petit matin, à l'aube d'une époque nouvelle.
Langue morte n'est ni la suite de Carnaval, ni le prologue de K.O.
Langue morte raconte la naissance d'un monde. Un monde désenchanté, sans idéal et sans dieux, où les rapports humains ne sont qu'économiques ou conflictuels. Aucun manichéisme dans ce texte, aucune nostalgie non plus, seulement l'existence d'un jeune garçon qui va basculer d'une époque à l'autre. Le tout servi par une écriture percutante et poétique.
Le narrateur est posté face au quatre, à La Grisâtre. Devant l’adresse de son enfance, dans ce quartier de banlieue où les pavillons succèdent aux pavillons, Thomas se souvient. De la famille, de Jérémie, ce frère qui a fait tant de bêtises, de Mie Joss la grand-mère, si peu aimante et pourtant aimée. d’Alain le père, Thierry, Horace les oncles. Et puis Camille, l’amie, celle qui le suit, celle qu’il quitte, celle qu’il cherche au fil de ses errances.
Il y a Nono, Yassine, Malik et tous les autres, les copains, inséparables, bagarreurs, chapardeurs, voleurs, délinquants en herbe ou accomplis, mais toujours présents. Thomas est un élève surdoué, qui va sauter une classe, ce qui peut s’avérer très compliqué pour un gamins. Plus jeune, il est en décalage avec ses camarades de classe, il doit faire front et s’aguerrir. Il découvre le théâtre, et cette soif d’écrire qui se révèle à lui sur les bancs du collège, écrire comme une course, une fulgurance, une raison d’exister. Viennent aussi les premiers émois amoureux, les premiers flirts, les premières filles, puis Camille, celle qui le comprend.
Le lecteur le suit des classes primaires, malade et fatigué, souvent alité, aux quatre-cent coups du collège puis dilettante à la fac. Il se raconte avec une tendresse, une urgence, une nostalgie aussi qui touchent le lecteur pris dans le flot des phrases courtes, rythmées, imagées, hachées, violentes parfois.
On retrouve la colère, la fuite en avant dans l’écriture, la soif de tout dire avant qu’il ne soit trop tard des deux précédents romans. Avec dans K.O la fuite après la découverte de la maladie, puis dans Carnaval le retour au village à la suite du décès de l’ami d’enfance. Dans Langue morte, c’est la jeunesse qui revient comme une vague, pendant cette nuit où, statique devant le quatre, il voit défiler les années de l’enfance, l’adolescence, la maturité, mais aussi la famille, la fratrie, l’amitié, la vie et la mort.
C’est dense et assurément cette lecture n’est pas de tout repos. Mais l’auteur trouve son rythme, confirme son style, sa singularité. J’aime découvrir son chemin, compliqué, fort en émotions, en sentiments contradictoires, mais passionnant. Et cette vision des banlieues vécues de l’intérieur, de l’amitié, de l’adolescence, nous ouvre les yeux pour mieux appréhender ces gamins que nous côtoyions souvent sans vraiment les voir.
chronique en ligne sur le blog Domi C Lire https://domiclire.wordpress.com/2022/04/14/langue-morte-hector-mathis/
Face à son ancien immeuble se situant en banlieue, Thomas, le narrateur se remémore son enfance sans aucune nostalgie. En arpentant les rues, il évoque ses souvenirs et les moments marquants de sa vie : la tristesse et la grisaille de la banlieue dans laquelle il a grandi qu'il nomme « la grisâtre », son admiration pour son frère aîné, ses problèmes de santé, la mort de son grand-père, l'amour qu'il porte à sa grand-mère Mie Joss, les vacances en Espagne, son oncle Horace qui souffre d'alcoolisme ou encore le collège et les amitiés puis le lycée, l'amour, les mauvaises fréquentations et le trafic de drogues. Thomas parle de son envie de fuir la banlieue qu'il ne supporte plus. Après l'obtention de son bac, il part faire des études à Paris et rencontre Rémi qui lui fait découvrir le théâtre. Le narrateur qui a toujours aimé écrire va trouver dans l'écriture et le théâtre, un moyen de se libérer et de s'évader.
Je ne connaissais pas Hector Mathis et j'ai beaucoup apprécié son écriture singulière qui est très rythmée. Les phrases et les chapitres sont courts. La plume de l'auteur est ciselée et vive. J'ai aimé la sonorité et la poésie des mots ainsi que la musicalité de la langue. Beaucoup de sensibilité se dégage de « Langue morte ». L'auteur aborde avec beaucoup de justesse, l'enfance, l'amitié, l'amour, la mort, la désillusion, la dureté de l'existence, le temps qui passe et la fuite en avant.
« Langue morte » est un beau et tendre roman d'apprentissage, vivant et percutant qui emporte le lecteur dans son phrasé chantant du début à la fin.
La traversée du miroir.
Que fait ce jeune homme devant le n°4 de la Grisâtre et une nuit précisément ?
Il vient creuser le passé et pour cela il choisit les lieux car « ils ne mentent pas », alors que chacun peut faire de petits arrangements avec ses souvenirs, mais face aux lieux cela devient plus difficile.
Le lecteur suit ce petit garçon de 6 ans dans sa vie de banlieue où l’école à une grande importance. Parlons-en de l’école, lui qui « saute » une classe car détecté HPI.
« La banlieue pour ça c’est une leçon ! Ça vous forge une prudence comme il faut à l’égard des hommes. Parce que j’évoque les gamins, mais faut voir les parents. Jamais ils ne sont sortis de la grisâtre. Tout voyage est une infidélité. Sont devenus tout ce qu’ils voulaient pas. Passés à côté du moindre instant. A côté de leurs gosses. A côté d’eux-mêmes. »
Le narrateur nous croque des portraits savoureux, Mie Joss, oncle Horace, le frangin Jérémie, les copains Malik et Louis, et l’amoureuse Camille, à grands traits mais sans caricature, juste avec une immense humanité.
Portrait de Mie Joss, la grand-mère du côté paternel :
« Ensuite elle m’a souri. Une dent par-dessus l’autre, les deux lèvres en zigzag. Elle en devinait beaucoup. A mon propos elle en savait bien plus que moi. Mais elle avait la délicatesse de ne pas tout me dire… »
Un regard qui engrange, des mots qui jaillissent pour dire l’errance, le délitement de ces zones et faire comprendre que les murs sont lisses, à l’école et ailleurs, pour ces gamins, même ceux qui s’accrochent, glissent.
Du regard de l’enfant qui s’émerveille de tout mais reste vigilant, il passe au regard désenchanté sur un monde qui change en laissant les mêmes en lisière, encore et encore, un monde qui repousse, qui oppose, qui méprise.
Alors les parents doivent faire avec et les enfants, hommes en devenir que sont-ils censés faire avec ça ?
Un monde de la surconsommation qui ne fait qu’alimenter les petits arrangements jusqu’aux grands dérapages.
On ne vit pas, on existe par ce que l’on peut montrer.
La solution ne vient jamais de l’extérieur mais de soi.
J’ai aimé cette voix particulière et ce regard d’Hector Mathis découvert avec K.O puis Carnaval, celui-ci n’est pas une suite, il va à rebours et est encore plus maîtrisé, dans ce chant de la Grisâtre.
Une lecture à fleur de peau, car les mots sont comme des larmes au bord des cils, pour un regard déciller sur le monde.
Une langue qui, contrairement au titre du livre, n’est pas morte, car elle pulse, avec puissance souvent comme les coups d’un boxeur, mais aussi avec beaucoup de poésie, elle claque et vous caresse, elle alterne tous les possibles pour nous dire la solitude, l’abîme d’un monde où il n’y a pas de la place pour tous.
Un combat où parfois il faut prendre la clef des champs pour ne pas sombrer.
« Depuis tout petit je suis un fuyard. Je suis de la race des déserteurs… »
Une certitude, Hector Mathis a trouvé sa voie pour donner de la voix avec talent.
Ma lecture a été percutée par l’écho des paroles de Course contre la honte de Richard Bohringer et Grand Corps Malade :
« Sur l'avenir de nos enfants il pleut de plus en plus fort
Quand je pense à eux pourtant, j'aimerais chanter un autre thème
Mais je suis plus trop serein, je fais pas confiance au système
Ce système fait des enfants mais il les laisse sur le chemin
Et il oublie que s'il existe, c'est pour gérer des êtres humains
On avance tous tête baissée sans se soucier du plan final
Ce système entasse des gosses et il les regarde crever la dalle »
©Chantal Lafon
https://jai2motsavousdire.wordpress.com/2022/01/20/langue-morte-hector-mathis/
Mon chemin vers l'âge d'homme
Changement de registre pour Hector Mathis qui, avec Langue morte, nous offre un roman d'apprentissage de très belle facture. Le parcours de Thierry est tour à tour joyeux et grave, attendrissant et désespérant.
«La mémoire est un singulier petit arrangement» écrit Hector Mathis dans les premières lignes de son troisième roman. Lui qui nous avait tour à tour proposé de suivre deux fracassés de la vie, Sitam et la môme Capu, dans K.O. puis de les retrouver un peu plus tard avec Carnaval revient cette fois explorer les terres de l'enfance. Des terres sélectives puisque n'émergent de là que les souvenirs vivaces, ceux qui ont marqué Thierry, le narrateur, et l'ont construit. Tout commence devant le 4 d'une rue dont on ne saura rien, sinon qu'elle est située dans une zone pavillonnaire où chacun tient à sa maison comme à la prunelle de ses yeux. C'est là qu'il grandit, là qu'il ressent ses premières émotions. Quand le grand-père meurt. Quand il s'ennuie à l'école, sauf à la récré où les élèves de Marie-Curie fourbissent leurs armes contre ceux d’Edmond-Rostand. Et vice-versa. Quand les seins en obus de la directrice viennent frôler les trois élèves qui ont eu l'outrecuidance de résister à la nouvelle maîtresse. Quand, après un examen bizarre, il se retrouve propulsé une classe plus haut et que ses nouveaux camarades de classe sont bien plus costauds que jusqu'alors. Quand il découvre avec émerveillement le théâtre en assistant à une représentation du Double de Dostoïevski. Quand il passe des vacances chez sa grand-mère dans le Gard où qu'il affronte les vagues en Catalogne. Quand il essaie de comprendre ce que signifient ces deux avions venant s'écraser dans les tours jumelles de New York et dont tout le monde parle. Quand l'oncle Horace arrive décharné, l'esprit un peu dérangé et va tout casser chez l'ami qui l'héberge.
De la primaire au collège, puis à la fac, Hector Mathis raconte avec malice et un brin de nostalgie ces années qui ont fait de lui l'homme qu'il est devenu. Avec la révélation d'une vocation. «Mon petit bazar intérieur prenait enfin tout son sens. Alors qu’il demeurait jusqu’alors balbutiant, se glissant dans des croquis, des esquisses maladroites, de petits poèmes chétifs et inaboutis. Voilà que maintenant j'avais ma raison d’être. Mon vice. Ma confirmation. La véritable. Pas celle des professeurs, des amis ou de qui que ce soit d’extérieur. Ma confirmation à moi. J’étais bien soulagé, désormais. Je savais quoi faire.»
Mais pour y parvenir, il passera encore par bien des épreuves, manque de basculer dans la délinquance, côtoie la drogue et la violence. Et la mort. Mais découvre aussi le sexe et l'amour.
Servi par des phrases courtes – quelquefois de quelques mots à peine – qui donnent au roman cette musique particulière, syncopée, les étapes de cette formation sont ponctuées d'émotions fortes et contradictoires. Sur les pas de Thomas, on est tour à tour amusé et triste, en colère ou ému. De la langue morte à une langue très vivante!
https://urlz.fr/hiX6
Les souvenirs de Thomas s'invitent à la porte de l'immeuble de son enfance pour un voyage lent et introspectif. Il nous montre un chemin contemplatif et quelquefois tourmenté...
Tout commence en banlieue parisienne avec cette atmosphère limitée, grisâtre. Le narrateur écorche son milieu avec autant de rudesse que de tendresse. Parce qu'on y croise la douleur, l'alcool, la violence, la précarité, la promiscuité.
C'est une vie de quartier vibrante avec ses bruits, ses affolantes addictions. L'écriture est poétique avec des émotions volatiles mais prégnantes. Tout nous y est décrit avec un réalisme virtuose, décapant. On est touché par l'intime exprimé avec une si grande justesse. On traverse le miroir avec un retour dans le passé aussi jaillissant que provocateur. On y retranscrit les premières expériences, dont on sait qu'elles marquent durablement, à travers l'amour, la famille, l'amitié, la sexualité, la mort.
On déambule, on s'imbibe d'une époque révolue et qui, à travers des extraits d'actualité ravive des impressions connues. On y devine une certaine nostalgie, une impatience des mots qui coulent à flots. C'est sensible, dur, intelligent, brut et chahuté.
Cela se lit comme une épopée où on y érige sa peur, ses convictions, sa pure essence. Avec ce roman, Hector Mathis distille une précision et la projette sous une forme subjuguante et décuplée.
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