L'immoralité dans tous ses états!
Les romans d’Yves Ravey sont dotés d’une mécanique bien huilée sachant donner à ses textes une vitesse croissante et des virages sur les chapeaux de roues jusqu’à l’inévitable. Les paragraphes sont courts comme des coups d’accélérateur ou selon, comme des coups...
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L'immoralité dans tous ses états!
Les romans d’Yves Ravey sont dotés d’une mécanique bien huilée sachant donner à ses textes une vitesse croissante et des virages sur les chapeaux de roues jusqu’à l’inévitable. Les paragraphes sont courts comme des coups d’accélérateur ou selon, comme des coups de freins suivis de redémarrages incontrôlés et de courses folles. Mais Yves Ravey est un conducteur hors pair et sait tenir son volant de la première à la dernière page sans déraper…
En le lisant, je me suis imaginée l’auteur assis à sa table de travail face à un tableau d’Edward Hopper et mettre les personnages en mouvement au bout de sa plume comme un prolongement au pinceau de l’artiste peintre. Starlettes écervelées et aguichantes en blond décoloré, talons aiguilles, motels sordides, lumières du soleil ou des néons à travers les lames de stores, terrasses isolées sous un parasol avec vue sur parking, bars à milkshakes avec banquettes en skaï rouge, bon… du Hopper !
Et puis, une petite arnaque à la Pieds Nickelés, naïve et invraisemblable, toujours bien sordide mais si bien ficelée, va nous tenir en haleine. Les personnages sont fragiles, un peu crétins, au bord de la crise de nerfs mais souvent roublards à l’esprit fourbe, retors et matois. Par palier, chaque paragraphe dévoile une information qui va nous révéler une insinuation, une inquiétude, une tension, voire un danger dissimulé. Toujours près de la réussite, un policier en uniforme, obstiné et perspicace, pose des questions simplistes comme Colombo sait le faire et les personnages se retrouvent soudain sur des sables mouvants, obligés de mentir et s’enferrent dans leur mensonge car il y a bien sûr, ce petit détail anodin qui joue le rôle de grain de sable.
Au-delà d’une peinture colorée mise en action et filmée à l’encre d’une imagination débordante, Yves Ravey sait toujours mettre un accent sur la vie des pauvres, du monde ouvrier, des petits boulots, des familles à la peine, des enfants en danger, des amours désenchantés, du désert des lieux modernes, des vies fragiles qui peuvent basculer.
Dans « La fille de mon meilleur ami », on retrouve tout cela et on peut entendre aussi l’écho d’un plaidoyer d’avocat au monde de la misère. Le « je » de son livre aux multiples identités est un escroc raté mais au grand cœur qui ne voudrait pas être une fripouille mais garder une vie honnête avec son travail qu’il a perdu par cupidité, par bêtise, par manque d’intelligence mais qui toutefois, tenant parole, va s’occuper de la fille de son meilleur ami décédé, une gentille sotte névrosée… En l’aidant à revoir son fils que le juge lui a retiré, William Bonnet, de son vrai nom, va prendre connaissance d’un cartable plein de sous, les payes d’ouvriers en grève et c’est ça, via un chantage ubuesque, qu’il va voler pour rembourser son ancien patron qu’il a escroqué en espérant ainsi par ce sursaut d’honnêteté à son comble, retrouver crédibilité à ses yeux et son poste dans l’entreprise. Pourtant, le misérable Bonnet va rencontrer des vrais ignominieux, des crapules nanties et au pouvoir implacable. On nage dans le sordide et le cynisme. Une amoralité totale!
Écriture précise, ciselée, travaillée, méticuleuse, épurée, subtile : j’avoue mon addiction aux romans d’Yves Ravey, des vrais faux polars intimistes et tendus. Professeur de lettres et écrivain reconnu à l’intelligence vive et humaniste, le talent de l’auteur n’est plus à démontrer. C’est un écrivain prolifique et c’est tant mieux car ainsi la bonbonnière de ma bibliothèque est bien remplie de ses livres savoureux que je déguste toujours avec gourmandise.
Un pur-sang de l’écurie des Éditions de Minuit ! Parmi mes favoris bien entendu !