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L'autobiographie consiste-t-elle à mettre de l'ordre dans sa vie, ou au contraire d'y entretenir un savant désordre ? Réponse de Jean-Claude Carrière :
« Ce livre est un jeu : il s'agit de choisir sa vie, exercice difficile au début d'un parcours, mais qui devient plus facile, et plus ludique, quand on approche de la fin. Il est possible de mettre ceci en lumière et de laisser cela dans l'ombre. Et puis, ai-je pensé, cela m'évitera d'écrire mes mémoires, ce qui est toujours la barbe.
J'aime mieux vivre ma vie que la raconter. Le mot «désordre», qui pour certains évoque un cauchemar domestique, me convient. Je dirais même qu'il me rassure car tout ordre m'effraie. Certains disent que ce mot me va bien, que j'ai sautillé, toute ma vie, d'une chose à l'autre. Surtout, c'est l'idée d'une vie classée «par ordre alphabétique» qui m'a séduit. Passer ainsi d'un pays à un personnage, d'une activité à une anecdote, sans savoir à l'avance quelle «entrée» va suivre celle que je suis en train de rédiger : un vrai jeu de pistes. Il me semblait que je cherchais ma vie, que je passais d'un âge à l'autre, d'un lieu à l'autre, d'un ami, d'une amie à l'autre, et que ma vie désordonnée surgissait de nouveau devant moi, fraîche et belle. »
J'avais déjà consulté LE DICTIONNAIRE AMOUREUX DU MEXIQUE, celui de l'Inde,j'avais lu,(entre autres) LA CONTOVERSE DE VALLADOLID, écouté plusieurs interviews de Jean-Claude Carrière, vu son nom au générique de nombreux films (et pas des moindres ! ), assisté à une conférence donnée en tant que directeur de la FEMIS et voilà qu'à présent je découvre son ABECEDAIRE INTIME !
Il me permet de pénétrer plus en avant la vie publique et personnelle de cet homme d'écriture et de parole, cet esprit libre qui marqué de son empreinte 60 années de la vie culturelle et artistique, qui s'est essayé avec autant de succès à la forme du roman, de l'oeuvre théâtrale, du scénario de films qu'a celle de l'essai philosophique ou de l'entretien avec des hommes de science et qui de 1957 à 2021 a publié environ 70 ouvrages en collaboration, souvent avec d'éminents spécialistes.
On devine que l'abécédaire d'une telle « carrière » est riche !
Sa forme alphabétique permet au lecteur de picorer à sa guise dans l'ouvrage, au hasard de ses intérêts. C'est ainsi que j'ai d'abord procédé, mais rapidement, comme pour ne rien rater, j'ai adopté la lecture page après page.
Lecture cependant morcelée, éclatée, bien sûr, grâce à laquelle se dessine progressivement le portrait d'un homme éclectique, doté d'« une incessante curiosité », « d'un appétit de toute chose » et qui avoue : « je n'ai jamais eu de chemin tout tracé devant moi. Je suis là, dans un jardin avec des fruits. Je les savoure. Si j'en trouve d'amers, je les recrache. Et je passe à l'arbre suivant » .
Je dois avouer que si j'ai savouré chacune des 87 entrées de l'abécédaire, ce n'est pas tant pour la notoriété des nombreux « maîtres » ou compagnons de route de JC Carrière que par la chaleur, la tendresse et l'émotion avec laquelle il évoque ce compagnonnage.
Des anecdotes, des tranches de vie relatées avec élégance ,sobriété et pudeur surtout lorsqu'il fait allusion à son enfance et à sa famille.
C'est toujours en parlant des autres que l'auteur nous parle le mieux de lui, avec modestie, sans volonté de se mettre en avant. Et quand il fait preuve d'érudition, comme dans l'entrée consacrée aux différentes formes de Bouddhisme, c'est sobrement, sans pédantisme.
Il apparaît comme celui qui a eu la chance de collaborer avec de grands noms des arts et lettres et qui, tel un conteur ( n'oublions pas sa grande expérience de scénariste et de dialoguiste) se délecte de nous faire partager le bonheur de ses rencontres et de ses expériences.
La couverture du livre offre la photographie d'un homme au regard espiègle qui sourit malicieusement. Il avoue son goût du rire,« ce besoin, ma sagesse », présenté comme une source de bien-être et qui l'a amené à s'associer aux films de Jacques Tati et de Pierre Etaix.
Cet abécédaire, écrit à la fin de sa vie, c'est aussi une réflexion sur la vieillesse, non pas celle d'un vieillard qui délivre une leçon de sagesse, mais juste celle d'un homme, qui en toute sérénité, avant le grand départ ouvre la porte de son royaume intérieur et commente pour nous l'album de photos de toute une vie : celle d'un passeur de culture .
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