"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Second tome du traité de l'auteur, historien de l'art, concernant les arts (dits) primitifs. Ce tome couvre les années 1910 à 1930, jusqu'à la guerre 39-45.
Dans les années 1910, l'art primitif est essentiellement l'art "nègre" africain, découvert par quelques passionnés dont des artistes comme Picasso, Derain ou Bracque. Ces derniers s'inspirent des formes simples et géométriques des arts primitifs, plus portés par la religion que par le soucis de ressemblance avec le réel, pour faire évoluer leur travail personnel.
La reconnaissance de l'art "nègre" va croissante au cours des années 2010 et 2020, mais elle reste marquée par le racisme et le colonialisme. Sous l'impulsion, notamment, des surréalistes, l'art "nègre" sort d'Afrique pour devenir vraiment arts primitifs en englobant, géographiquement, les archipels du sud-est asiatique, l'Océanie et les Amériques, et, culturellement, les arts antiques grecques et romains, et même l'art dans les "asiles d'aliénés". Les arts primitifs n'ont alors plus réellement de limites...
Dans les années 1920 et 1930, les surréalistes continuent à se saisir des arts primitifs comme d'une source d'inspiration qui leur permet de s'affranchir des règles de l'art classique, et même parfois des règles sociales. Ce mouvement hyper créatif sera malheureusement stoppé par l'entrée dans la seconde guerre mondiale.
L'ouvrage est un gros travail d'historien, très documenté, comme le montre la liste des notes et références. Mais cela reste un travail s'adressant à des experts, des amateurs éclairés, des étudiants en arts... Il n'est pas totalement inaccessible au profane ou au débutant (comme moi), mais demande alors un effort de concentration qui rend la lecture un peu fastidieuse.
Ce n'est donc pas le texte de vulgarisation que j'aurais pu espérer trouver. C'est dommage car, comme le montre le succès du musée du quai Branly - Jacques Chirac, il y a une vraie appétence du public pour les arts primitifs, et un ouvrage un peu plus tourné vers le plus grand nombre de lecteurs aurait fait œuvre utile.
Chronique illustrée : http://michelgiraud.fr/2021/03/23/primitivismes-2-une-guerre-moderne-philippe-dagen-gallimard-pour-les-inities/
Le primitivisme se définit souvent comme l’intérêt marqué par les artistes modernes pour l’art et la culture des sociétés anciennes. L’exemple le plus souvent cité est le tableau de Pablo Picasso, « les Demoiselles d’Avignon », en 1907. Pour Robert Goldwater, qui publie en 1938 aux États-Unis le premier ouvrage sur cette question, le primitivisme en art est essentiellement un moyen de se dédouaner de la réalité, par la simplification des formes. En 1984, William Rubin et son équipe ont démontré que les emprunts directs aux arts premiers sont très nombreux, et donc que le primitivisme n’est pas seulement métaphorique. Quant à Jean Laude, il n’avait étudié que les rapports entre l’art africain et la peinture, qui plus est, de la peinture française. Les trois études baignent dans un positivisme basé sur l’analyse scientifique des sources, des documents et des œuvres.
Sommes-nous sur une tentative de plus d’étudier les liens entre les avant-gardes et les objets produits par les civilisations dites « primitives » ? Cet essai de Philippe Dagen veut élargir le propos tout en prenant le contre-pied de ses illustres prédécesseurs. Il veut écrire l’histoire du primitivisme sur base des écrits des artistes, des critiques, des écrivains et d’ethnologues. De là, ressort l’importance accordée au darwinisme, aux origines de l’espèce humaine, à la valorisation de l’homme préhistorique. A cette époque apparaît le concept de l’ « enfance de l’art », en parlant des artefacts de ce dernier. Ainsi apparaît le concept de retour à une situation antérieure et meilleure, souvent nostalgique, un retour à un Age d’or, si vous voulez, et ce retour va entraîner un véritable engouement pour tout ce qui est archaïque, européen (Celtes, dolmens et menhirs) et non européen (Afrique, Océanie, Amérindiens). Mais déjà là, il faut noter, ce que ne fait pas Philippe Dagen, que le néoclassicisme et le romantisme sont également des regards vers le passé (la Grèce et la Rome antiques pour le premier ; le Moyen Âge pour le second).
Bref, partant de là, sont passées en revue les différentes tendances de la modernité (le postimpressionnisme de Paul Gauguin, les Nabis, les Fauves, les cubistes) et sont soulignées les interactions avec, évidemment, les arts premiers mais également avec l’art égyptien ou les primitifs siennois. Lecture jubilatoire car Philippe Dagen est tellement enthousiaste qu’il vous communique sa passion, mais esprit critique, il faut garder. Certaines de ses affirmations semblent parfois intenables. Mais, d’autre part, il met bien en évidence les apports de ces objets négligés à l’époque, revalorisés aujourd’hui au point de posséder leurs propres musées. Une très saine lecture qui démontre que le métissage permet le changement.
L’historien d’art, André Chastel, s’était lancé le défi de rédiger une histoire de l’art français, depuis le pré-Moyen Age jusqu’aux dernières années du XX° siècle. Le 18 juillet 1990, la mort interrompit son grand œuvre. Seuls quatre tomes avaient été finalisés et furent publiés par Flammarion entre 1993 et 1996.
Phlippe Dagen accepta le challenge de s’atteler à la rédaction du tome consacré au XX° siècle. Plus jeune mais tout aussi compétent que Chastel, Dagen, né en 1959, est un universitaire, critique d'art et romancier français. De plus, depuis 1985, sa chronique d'art dans le journal « Le Monde » est très appréciée (et parfois sujet de polémique). Et il est parti au charbon pour un ouvrage qui, quoi qu’il fasse, serait nécessairement bancal. En effet, le siècle dernier est artistiquement une immense toile d’araignée, un réseau (pour utiliser un mot à la mode), avec son lot de liens, de ruptures, de revivals, de télescopages, d’accidents, de provocations, mais c’est surtout le siècle de la cohabitation de tendances irrémédiablement opposées (quoi de plus différents que Pablo Picasso et Balthus ?). Bien entendu, la France a toujours eu des qualités essentielles - comme cette absorption des tendances étrangères pour les restituer sous des formes nouvelles - mais ces capacités sont centuplées tout au long du XX° siècle. Si bien que le Paris des premières décennies voient l’éclosion de l’art moderne, mais sous les mains d’étrangers y résidant. Ou alors il faudrait se passer de Picasso, Umberto Boccioni, Max Ernst, Salvador Dali, Juan Miro, pour ne citer que ceux-là. N’en déplaisent à certains, l’art moderne est bien né en France mais ce sont des non-Français qui l’ont inventé (ou alors c’est pour cette raison que les arts modernes et contemporains sont décriés par certains ?) L’histoire de l’art devient folle : plus de systèmes, plus de structure linéaire, plus de chronologie, plus de logique évidente, rien qu’un ensemble complexe de mouvements, de tendances, de groupes, de revues, de noms. Si bien que Philippe Dagen se fend d’un avertissement pour avertir le lecteur de l’impossibilité de la tâche. Il a fait de son mieux, dit-il, pour rester scientifique et exact, sans se fixer de but : « Non, tout n’y est pas ! Non, tous n’y sont pas ! »
Dès lors, il a évité un découpage par décennies (comme l’avait fait, par exemple, Anne Bony). Il a préféré une structure en trois longs chapitres : les œuvres vivant le moment présent, les œuvres regardant vers l’avenir, les œuvres passéistes nourries par la tradition. Ce qui lui permet d’aborder ainsi tous les médiums : l’architecture, la peinture, la sculpture, la gravure, la photographie, le cinéma, la vidéo, le design … Et de croiser, à l’occasion, le fer avec d’autres sciences humaines : l’histoire, la sociologie, la philosophie, l’esthétique, la psychologie, l’économie, la politique. Sans oublier la technologie si vitale en art ces dernières décennies.
La couverture (avec son détail d’une œuvre de Martial Raysse) et l’ensemble de l’iconographie font appel à des œuvres parfois peu connues du grand public, si bien que les découvertes sont également visuelles. Mais quel plaisir de rencontrer au détour d’un chapitre ou l’autre, les noms de Maurice Estève, Roger Bissières, Pierre Soulages, Jean-Michel Atlan, Claude Viallat et bien d’autres …
Cet ouvrage, publié pour la première fois en 1998, fut réédité en 2011.
A consulter pour une approche élémentaire des artistes suivants : Adnet Aillaud Alberola Andrault Arp Artaud Atget Aubert Audoul Barré Bevis Bigot Bonnard Botta Bourdelle, Boutet de Monval, Braque Brassai Camoin Cane Carlu Cartier-Bresson Buren César Chareau Ciriani Combas Debré Degottex Delaunay Denis Derain Despiau De Staël Dezeuze Doisneau Dubuffet Duchamp Dufy Dunand Ernst Fainsilberm Fautrier Follot Foster Freyssinet Gaudier-Brzeska Garnier Gaudin Giacometti Gillet Gonzalez Gorin Gray Gris Hantaï Hartung Hélion Herbin Herbst Jaccard Jeanneret Kertész Klein Krull Kupka La Fresnaye Laprade Lartigue Laurens Le Corbusier Léger Lods Lurçat Maar Macary Maillol Mallet-Stevens Man Ray Martel Masson Matisse Miro Monet Morellet Nouvel Parent Patout Pei Perrault Perret Perriand Picabia Picasso Pincemin Prouvé Rateau Renaudie René-Jacques Resnais Rodin Simounet Soto Sougez Soulages Survage Taeuber, Tal Coat, Tallon Tinguely Tschumi Vallotton Van Doesburg Van Treek Van Velde Vasarely Viallat Villon Vlaminck
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