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Refus des élégances et des traditions académiques, découvertes et fréquentations d'oeuvres issues de cultures considérées comme «barbares» ou «archaïques» par l'Occident, le primitivisme est l'une des données centrales de l'histoire des avant-gardes artistiques à partir de la fin du XIXesiècle. Le dessein de cet ouvrage est de proposer une histoire non seulement artistique, mais encore culturelle du phénomène, de prendre toute la mesure de cette nostalgie d'une création vierge du pastiche et des règles machinalement appliquées. Peinture et sculpture y tiennent un rôle central, mais poésie, littérature, critique et travaux savants y ont aussi leur part. La préhistoire, les miniatures médiévales, les primitifs italiens, l'Égypte, Byzance : les références sont nombreuses et hétérogènes dès l'époque de Gauguin, qui est aussi celle de Huysmans et des Nabis. Avec Matisse, Derain, Picasso et Braque interviennent les «fétiches» africains ou océaniens dont on a fait l'origine trop exclusive du fauvisme et du cubisme, oubliant que leur révélation s'inscrit dans un processus largement antérieur, épisode après d'autres, dans la recherche du renouvellement des formes et de leur exaltation.
Le primitivisme se définit souvent comme l’intérêt marqué par les artistes modernes pour l’art et la culture des sociétés anciennes. L’exemple le plus souvent cité est le tableau de Pablo Picasso, « les Demoiselles d’Avignon », en 1907. Pour Robert Goldwater, qui publie en 1938 aux États-Unis le premier ouvrage sur cette question, le primitivisme en art est essentiellement un moyen de se dédouaner de la réalité, par la simplification des formes. En 1984, William Rubin et son équipe ont démontré que les emprunts directs aux arts premiers sont très nombreux, et donc que le primitivisme n’est pas seulement métaphorique. Quant à Jean Laude, il n’avait étudié que les rapports entre l’art africain et la peinture, qui plus est, de la peinture française. Les trois études baignent dans un positivisme basé sur l’analyse scientifique des sources, des documents et des œuvres.
Sommes-nous sur une tentative de plus d’étudier les liens entre les avant-gardes et les objets produits par les civilisations dites « primitives » ? Cet essai de Philippe Dagen veut élargir le propos tout en prenant le contre-pied de ses illustres prédécesseurs. Il veut écrire l’histoire du primitivisme sur base des écrits des artistes, des critiques, des écrivains et d’ethnologues. De là, ressort l’importance accordée au darwinisme, aux origines de l’espèce humaine, à la valorisation de l’homme préhistorique. A cette époque apparaît le concept de l’ « enfance de l’art », en parlant des artefacts de ce dernier. Ainsi apparaît le concept de retour à une situation antérieure et meilleure, souvent nostalgique, un retour à un Age d’or, si vous voulez, et ce retour va entraîner un véritable engouement pour tout ce qui est archaïque, européen (Celtes, dolmens et menhirs) et non européen (Afrique, Océanie, Amérindiens). Mais déjà là, il faut noter, ce que ne fait pas Philippe Dagen, que le néoclassicisme et le romantisme sont également des regards vers le passé (la Grèce et la Rome antiques pour le premier ; le Moyen Âge pour le second).
Bref, partant de là, sont passées en revue les différentes tendances de la modernité (le postimpressionnisme de Paul Gauguin, les Nabis, les Fauves, les cubistes) et sont soulignées les interactions avec, évidemment, les arts premiers mais également avec l’art égyptien ou les primitifs siennois. Lecture jubilatoire car Philippe Dagen est tellement enthousiaste qu’il vous communique sa passion, mais esprit critique, il faut garder. Certaines de ses affirmations semblent parfois intenables. Mais, d’autre part, il met bien en évidence les apports de ces objets négligés à l’époque, revalorisés aujourd’hui au point de posséder leurs propres musées. Une très saine lecture qui démontre que le métissage permet le changement.
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