Inspirée d’une histoire vraie, cette BD apporte des conseils et des solutions pour sortir de l'isolement
L'écriture de Paul Auster est un plaisir de lecture : fluide, précise, énergique, "La Chambre dérobée" (l'équivalent de notre expression de "boîte noire" pour désigner notre psychée) est comme un homme qui se parle à lui-même (le narrateur) tout en ayant un style avec de l'action. Il n'y a pas de surplace mais un enchaînement d'évènements sans mièvrerie.
La loi américaine concernant les personnes disparues impose un délai de 7 ans avant que celle-ci ne soit déclarée officiellement morte (nous avons une loi similaire en France). Fanshawe est-il mort ? Le narrateur à la réponse mais la loi ne semble pas lui traverser l'esprit pour prendre des décisions. Vivotant tout en ayant un emploi de critique culturel dans un journal, il est stupéfait par les écrits de son ami d'enfance, perdu de vue depuis leur entrée dans l'âge adulte. S'occuper de le faire publier sans le trahir, c'est aussi un peu perdre sa propre vie pour vivre celle d'un autre. Surtout quand on épouse sa femme et qu'on adopte son fils (tout cela se fait naturellement et c'est bien amené).
Mais vivre à côté de quelqu'un de disparu est-il possible ? Est-ce que Fanshawe est vraiment disparu ? Jusqu'où la vie du narrateur peut-elle rester encore indépendante de celle de son ami d'enfance ? Pourtant ce dernier, bien qu'absent, semble lui grignoter le cerveau. Au bord de la folie et de tout perdre, le narrateur comprend une chose : la vie qu'il a crée est bel et bien la sienne, pas celle de Fanshawe.
L'histoire aurait pu / aurait dû s'arrêter là.
Le final est stéréotypé mais il permet de valider ce que l'on a compris à demi-mots ci-dessus. Il permet aussi de comprendre que certaines personnes qu'on admire sans en fait destructrice par nature.
Se reconnaître dans un autre…
Dans ce deuxième volet de la « Trilogie new-yorkaise », Paul Auster situe son personnage principal dans la peau d’un privé nommé Bleu, payé par un dénommé Blanc qu’il ne rencontre pas et qui le commandite pour épier les faits et gestes d’un homme nommé Noir.
Bleu qui pensait baisser le rideau dû au manque de clients se réjouit de l’offre honorablement rémunérée contre un rapport mensuel détaillé.
Blanc installe Bleu dans un studio confortable dont la fenêtre donne juste en face de la fenêtre de l’appartement de Noir sur Orange Street à proximité du pont côté Brooklyn.
A sa surprise, Noir reste des journées entières assis à une table. Il semble ne rien faire sinon lire et écrire. Rarement, il sort acheter de quoi se nourrir à l’épicerie du coin et revient s’attabler chez lui.
Bleu qui le suit en profite aussi pour s’acheter quelques victuailles et ses journaux préférés ‘Étrange mais vrai’ et ‘Vrai détective’. De retour au studio, il dévore les histoires de brigades anti crimes et d’agents secrets et découvre un article relatant d’un cold case que son enquêteur à la retraite fait ressortir après 20 ans d’affaire classée. Il admire cet homme et, ne sachant que faire d’autre, il découpe la photo du magazine et la punaise au-dessus de son lit.
Bleu s’ennuie terriblement lui qui rêve d’héroïsme. Ses pensées vagabondent et il se remémore Brun celui qui l’a initié au travail d’enquêteur. Il décide de lui écrire. Un jour enfin, Brun lui répond qu’il est un heureux retraité et pour rien au monde ne reprendrait le travail qu’il aurait dû quitter plus tôt, trop content de passer ses journées à lire et à pêcher. Bleu le regrette et en est déçu.
Avec ses jumelles, il découvre le titre du livre posé sur la table de Noir : ‘Walden’ d’Henry David Thoreau. Il le note dans son rapport. Il ne connait pas ce livre. Cela pourrait peut-être être un indice à des activités subversives de Noir.
Bleu veut faire avancer l’enquête… Il ne s’y passe tellement rien que Bleu se sent obligé d’étoffer un peu ses rapports qu’il dépose dans la boite numéro mille un à l’imposant bureau de poste de Brooklyn comme il lui a été demandé par Blanc…
Un jour, Noir traverse le pont de Brooklyn pour se rendre à Manhattan. Cette balade de presque deux kilomètres à pied rappelle à Bleu la seule fois où, enfant, il avait pris ce chemin avec son père policier qui lui avait raconté la construction du pont et l’histoire de ses malheureux architectes John Roebling et son fils Washington.
Après avoir traversé Chinatown, Noir entre dans une librairie et achète des livres. Sans se montrer, Bleu le tient à l’œil et tombant sur un exemplaire de Walden, il l’achète pour lui d’autant plus que l’éditeur s’appelle Noir, Walter J. Noir… Serait-ce un renseignement utile…
Ensuite, Noir va dans un restaurant où il rencontre une femme. Il n’entend rien mais Noir et la femme ont des mines tristes. Ils sortent et chacun se sépare montant dans leur taxi respectif.
De retour à Orange Street, Bleu trouve son premier chèque pour la somme convenue avec Blanc. Cela durera plus d’un an.
Bleu est furieux d’avoir à lire Walden qu’il ne comprend pas avec ces sornettes de retour à la nature sans aucune aventure.
Le soir, sachant avec le temps, que Noir ne sortira pas, il va boire une bière au bout de la rue puis c’est aussi l’après-midi qu’il file à Manhattan où un jour il rencontre sa fiancée au bras d’un autre. Le reconnaissant, elle l’agresse en pleine rue confirmant qu’elle aussi faisait partie des rêveries de Bleu, de ses multiples fausses persuasions à lui-même.
De retour à Brooklyn, fatigué de cet immobilisme forcé, il décide malgré l’interdiction de ce faire, de se rapprocher de Noir en se servant de son attirail de déguisement divers et varié.
Comment Blanc l’apprit-il ? Est-il épié à son tour ? Noir serait-il Blanc ? Bleu serait-il l’objet de l’enquête de soi ? Fallut-il tous ces rapports écrits pour enfin ouvrir la porte ?
« Lorsque Bleu se lèvera de sa chaise, mettra son chapeau et passera la porte, ce sera la fin. »
Je suis restée accrochée à l’intensité croissante de ce récit, à la recherche de l’autre en soi, fabuleusement bien écrit.
Je rencontre à nouveau Paul Auster après un Moon palace lu avec grand plaisir. Ici mon enthousiasme grimpe à des sommets. Blooklyn follies est une lecture addictive comme je les aime, ancrée au cœur du quartier de Brooklyn, véritable personnage à part entière de l’œuvre de Paul Auster. Dans Moon palace, c’était le quartier du musée où Fogg devait se rendre sur ordre de Thomas Effing, là où avait été enterré son ami Pavel Shum après que ce dernier se soit fait renverser par une voiture sur Broadway.
Les Brooklyn follies se déroulent essentiellement au New jersey et à Brooklyn où habite Rachel (le fille de Nathan) et où a vécu Nathan … et Paul Auster lui-même (il y est décédé le 30 avril 2024). L’auteur évoque ainsi l’origine de sa famille avec des grands-parents issus de l’Europe centrale et de l’est. Ces quartiers, occupés jusqu'aux années 70 par des immigrants sans le sou, ont bien changé sous le poids énorme de « machines et d’argent ».
Les premières pages doivent être lues avec attention afin de bien enregistrer les protagonistes, ensuite les péripéties s'enchaînent. Paul Auster a la capacité de régaler le lecteur, les mots coulent dans un flot régulier, alternant les températures et les émotions. Les digressions participent à la recherche de vérité, celle du romancier liant les phrases entre elles, reprenant ou contredisant la phrase précédente pour donner du rythme. L'œuvre est parfaitement maîtrisée sur le fond et sur la forme, signe d’un grand écrivain.
Nathan est un héros fatigué, occupé à enquêter sur notre bien le plus précieux : la vie, la condition humaine. J'ai pensé à ces inspecteurs plus ou moins dépressifs de nombreux romans policiers. Il a la soixantaine fatiguée après une carrière à Manhattan dans une compagnie d'assurance. Un divorce et un cancer en rémission ont chargé la barque. Fâché pour des broutilles avec sa fille Rachel, il se résout à lui envoyer un cadeau et une lettre pour tenter de renouer le contact. C'est un homme bienveillant, soucieux de l'autre, essayant en permanence de recoudre ce que le temps, les aléas peuvent déchirer. Son neveu Tom, retrouvé dans une librairie, n'est pas au mieux… Nathan l'apprécie beaucoup et l'aide à prendre un nouveau départ, il est aussi une source d'inspiration pour le livre qu'il écrit. Tom est amoureux, sans oser l'approcher, de celle qu’il a baptisé la JMS, Jeune Mère Sublime. Ce sont des pages magnifiques peignant la maternité, la féminité et le renouveau par l’enfance heureuse.
Dans cette famille éclatée, il y a aussi la sœur de Tom, Aurore dite Rory, mariée avec un fanatique religieux… Rory a une fille, Lucie, qu'elle envoie avec quelques dollars en poche rejoindre son frère Tom. Lucie débarque dans leur vie comme un vent de fraîcheur et de folie créatrice.
Le hasard est souvent mis en avant chez Paul Auster... Je trouve qu’il est avant tout un écrivain de la lucidité, de l'intervention, à rebours d'un cynisme de façade. J'ai adoré la relation qu'il entretient avec sa fille Rachel. Quand celle-ci se pose mille questions concernant la fidélité de Terence, il use de tous les arguments pour donner un espoir au couple en plein doute. J'ai apprécié son regard chargé d’humanité sur Lucie.
L'œuvre va bien au-delà des sentiments familiaux, l’auteur s'exprimant sur l'écriture et sur l’Amérique avec le désastre des élections de l'année 2000, rappelant que déjà à cette époque les Républicains avaient contesté les résultats du scrutin en Floride et manipulé la Cour suprême. L'échange avec le mari de Rory, le fanatique religieux, est digne des meilleures sorties de Woody Allen. Il appartient à la minuscule Église du Verbe sacré, nom bien choisi.
Ce Nathan semble bien être un double de l'auteur, à moins que ce ne soit aussi Tom (ou encore la JMS...). L'un et l'autre écrivent, Tom est un écrivain ayant abandonné l’écriture, Nathan s’accroche à écrire Le livre de la folie humaine. Nathan, soit Paul Auster…, a le pouvoir de créer, entrant dans les détails pour la véracité de l'histoire alors que Harry, patron de la librairie, est attiré par le jeu et l'escroquerie, pour l’aventure et l'argent. J'ai aimé les conseils, non dénués d'humour, donnés par Nathan à Joyce, la mère de la JMS avec qui il a entamé une liaison :
Un récit si bien mené qu'il conserve toute son actualité. A lire sans faute si ce n'est pas déjà fait. J’ai tout à fait envie de me procurer 4321, son plus long roman écrit à 70 ans. Plus de mille pages, 5 ans d’écriture, 4 récits, 4 destins possibles, un livre sur l’Amérique de 1947 à 1970. Inspiré par Montaigne, paraît-il… ce qui me pousse à entreprendre la lecture de ce pavé. L’avez-vous lu ?
Quels romans de Paul Auster avez-vous aimés ?
L’ultime introspection de Paul l’écrivain, mais non, Zut ! de Sy le prof de philo.
Ce que l’éditeur a annoncé comme étant un « voyage dans le grand palais de la mémoire » c’est avéré être non seulement un voyage mais aussi une sorte de traversée d’une vie humaine.
Paul Auster, pour ce dernier roman publié un mois avant son décès, nous livre une oeuvre toute à son image, l’image du conteur de l’âme humaine, de l’observateur hors pair des sentiments tels que l’attachement, la mort, mais aussi l’amour ; un peintre de la vie, quoi.
Ce livre ne se raconte pas, il n’est pas que la vie de Sy, prof de philo, 70 ans, veuf et retraité, qui, venant de perdre l’amour de sa vie, entame un voyage dans sa mémoire. Il a été pour moi le roman d’un amour lumineux qui transperce les pages, puis d’une perte d’une douleur incommensurable. Malgré la mort de son amour de quarante ans lors d’un accident, Sy va faire vagabonder son coeur, son esprit, nous donnant l’envie à nous aussi les lecteurs, de rechercher la lumière quoiqu’il se passe. C’est du moins ainsi que j’ai voulu le lire. L’image de l’accident au début du livre mais aussi à la fin du livre, encadre de nouvelles informations personnelles de l’auteur. Il les glane sporadiquement, comme le petit Poucet, au fil de ses romans, deux trois par ci, deux trois par là.
J’aurais pu le prendre au premier degré et n’y trouver que les souvenirs d’un écrivain malade et vieillissant, mais j’ai décidé qu’il valait mieux que ce jugement, qu’il avait du mérite à s’accrocher à l’écriture afin d’adoucir la bataille avec la maladie.
J’aurais pu le trouver nettement moins bon que pour l’écriture des romans que j’ai adoré - Brooklyn Folies et la Trilogie new-yorkaise - mais je me serais sentie trop exigeante voire ingrate.
Il avait besoin de parler des thèmes de l’attachement, de la perte, et il l’a fait de tout son coeur, avec la dernière encre de sa plume.
Nostalgie et pudeur sont toujours omniprésents, alors de quoi me plaindrais-je ? Peut-être de savoir que jamais plus il n’écrira pour moi, pour nous, autant que pour lui-même.
Citations :
« Vivre, c'est éprouver de la douleur, se dit-il, et vivre dans la peur de la douleur, c'est refuser de vivre. »
« Baumgartner continue à sentir, aimer, désirer, à vouloir vivre mais son intériorité la plus intime est morte. Il le sait depuis dix ans, et durant ces dix ans il a fait tout ce qu’il était en son pouvoir pour ne pas le savoir. »
« Et c'est là tout ce que je te demanderai jamais, mon fils nouveau-né, aux premières heures de ton long voyage vers l'âge adulte, pour devenir un homme capable de penser, agir et prendre part au monde, cela et rien de plus : mener le combat de la justice. »
« Plus que ça, dit Baumgartner, je t'écrirai aussi chaque jour. Et tu as intérêt à me répondre sinon…
Sinon quoi?
Je te virerai de mes rêves. »
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