"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
« Un coup d’œil rapide à la signature, d’un beau vermillon, avec ce drôle de A pour initiale, comme un bonnet de lutin barré d’une aile d’oiseau. Cette signature, vous ne l’oublierez pas. Vous la reconnaitrez entre mille. On dirait celle d’un enfant. »
En pénétrant par hasard dans un musée, Michèle Teysseyre est séduite par la peinture lumineuse d’un peintre audois, Achille Laugé.
La démarche de l’auteure est avant tout romanesque. Partant d’éléments palpables (lettres, tableaux …) elle comble les trous et se met en scène pour nous révéler cette rencontre improbable avec un artiste disparu.
Pour partir à la rencontre d’Achille Laugé, il faut se rendre à l’Alouette, cette modeste demeure du peintre, plantée dans la campagne audoise qui l’a vu naitre. Achille Laugé naquit en 1861 à Arzens. Il reviendra dans sa région après la mort de son père. C’est là qu’il se sent le mieux pour peindre cette nature où il trouve son inspiration.
En attendant les beaux jours, il écrit à ses amis chers comme le sculpteur Bourdelle, s’inquiète des commandes qui tardent, comme le printemps.
« Attendre le printemps, voilà toute sa vie. Aussi loin qu’il se souvienne, il ne s’est jamais lassé de sa lumière, du tremblement neigeux des amandiers en fleur. Ce sont eux qui l’annoncent en même temps que les derniers frimas. »
Achille Laugé est un peintre de plein air, alors, dès que le printemps pointe le bout de son nez, le voilà qui arpente la campagne et plante son chevalet pour peindre cette beauté éphémère qui ne cessera de l’émerveiller. L’or des genêts, la délicatesse des fleurs d’amandiers, la lumière qui varie, il n’aura de cesse de les faire vivre dans ses tableaux, simplifiant les formes et recherchant avant tout le naturel.
Loin de l’agitation parisienne et des salons qui le boudent, il préfère les paysages de sa région natale.
Son épouse, Marie-Agnès, est une femme discrète mais toujours à ses côtés. Ensemble, ils auront quatre enfants et il peindra très souvent son portrait.
« Mater familias, divinité tutélaire qui veille sur la maison…Toi, tu la peins en souveraine, assise en majesté dans la lumière d’aout. »
Tout au long de cette biographie romancée, Michèle Teysseyre nous fait découvrir l’œuvre du peintre et la genèse de ses tableaux. On entre aussi dans l’intimité de l’homme, de son épouse attentive, « Marie-Agnès simple et solide ». On côtoie ses amis, artistes natifs du sud-ouest, comme lui. Le sculpteur Bourdelle, bien sûr, mais aussi Maillol, Marre ou encore le toulousain Henri Martin, peintre postimpressionniste comme Laugé.
L’écriture de Michèle Teysseyre, tout en nuances, ressemble à ces tableaux impressionnistes, écriture intimiste et sans artifices qui s’approchent au plus près de son sujet. Elle a su écouter « la petite voix à [son] oreille » et instaurer un dialogue avec le peintre. Elle nous le rend proche et humain, et l’œuvre du peintre se confond avec la vie simple qu’il s’est choisie.
Un roman lu d’une traite et qui m’a donné l’envie de partir à la découverte de ce peintre trop méconnu.
Captivant, empreint de ce souffle magnétique d’Argentine, « Patagonie » est le livre des destinées. Fusionner à corps et à cris avec les déchirures des départs forcés. Eteindre cette Terre Latine à pleins bras. Vaciller sous la force du vent, de l’âpre en Patagonie, la rebelle, l’hostile, la sauvage et sublime. On se confond dans l’ombre de Louis Capelle en partance en Amérique du Sud. L’incipit entonne la première gamme dans un hors pair sans faille aucune. « La première lettre ne vient pas de là-bas. Elle a été écrite, il y a plus d’un siècle, sur le balcon d’une auberge de Puegerdà. » On reste immobile, au regard de ce voyage sans retour. Cet homme altier, maître de ses heures, fuyant l’adversité brûlée, une scierie écroulée sous les flammes, des dettes cendres d’intégrité et d’honneur abolis. Une femme, celle qu’il aime, mariée vite, trop vite à un autre, l’adversaire, épouvantail de la trahison. Bâtir une citadelle symbolique, détruite, tel un château de cartes envolées par cette tornade évènementielle. Ivre de ses malheurs, le cœur aux abois, il fuit. L’Argentine est le pays des espérances, des abandons, des larmes cachées sous l’oreiller vierge de femme. Des bagages lourds d’un avant meurtri dans sa chair. Voilà où se trouve Louis Capelle. L’histoire est belle, délicate. On aime cet homme par-dessus le toit du monde. Echappé des flammes intestines. Il foule cette terre qui ignore son passé, si vaste à se perdre. Cette quête existentialiste abreuve ses forces. Il va œuvrer au remboursement de ses dettes. La scierie doit s’effacer de sa conscience. Louis Capelle est taiseux, laborieux, intègre jusqu’au profond de la nuit argentine. Il va chercher sa voie. Le retour en ses racines. Creuser les sillons de son identité. Les morceaux d’un puzzle qui rassemble l’épars généalogique. Louis Capelle va se creuser un havre immense et encerclé de ses secrets. Modeler un espace à son image. S’abreuver à l’intime des lieux. L’Ilot du Rio Paramà devient subrepticement son double avéré. Cet homme de combat qui transforme la solitude en levier pour juste se maintenir en vie. Les silences échappés des heures les plus chaudes, où ses mains deviennent rides ensanglantées par ce trop-plein de labeur et de souffrances. La Patagonie n’est pas une chute des hasards. Elle est repentance. Ici, dans ce pays où les frontières n’ont pas de griffes, la rencontre peut être belle. Elle apprivoise les immigrés et ses étendues sont des sources salvatrices. Louis Capelle se mure, s’enferme. L’attachement pour ce dernier enchante le crescendo. On ressent cette mélodie d’affection pour lui. Cet homme dont il ignore le pavlovien d’un amour renouvelé. Cet homme broyé d’amertume trouvera-t-il l’initiatique recommencement ? Ce livre est une rencontre avec l’Argentine, la si belle. Avec un homme aux mille vertus. Un homme qui ose la fuite sans cette lâcheté qui foudroie. Michèle Teysseyre délivre un récit poignant, tremblant, une couverture de laine pour les matins frais. Une ode à l’homme et à sa persévérance. Beau à pleurer. Publié par les Editions Serge Safran qui prouvent une nouvelle fois une haute qualité éditoriale.
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