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J'aime ce recueil de poésies car elles ont toutes été choisies par l'auteur lui-même et sont très variées. Il joue avec les sonorités, les mots, les styles, les formes. Quelles soient historiques, littéraires, courtes ou longues elles sont toutes uniques et intéressantes. C'est un régal pour qui aime les mots, qui aime la langue française et sa richesse. De beaux poèmes sur l'écriture, la création, l'art, les voyages, la politique, la vie.
Lire ce recueil c'est aussi s'informer sur une époque, sur des moeurs et prendre connaissance des engagements et des prises de position de l'auteur qui est plus connu pour le reste de son oeuvre et c'est bien dommage. Ecrites avec beaucoup d'intelligence, les poésies de ce volume sont des petites pépites de beauté et d'ingéniosité. A mettre entre toutes les mains, pour s'élever intellectuellement et même spirituellement.
Un autre aspect de la grandeur et du talent de Michel Butor , un autre pan de son talent. Une superbe lecture pour moi.
VERDICT
Un faiseur d'ambiance et de mots qui ravira les amoureux de la langue française.
https://revezlivres.wordpress.com/2016/12/26/par-le-temps-qui-court-michel-butor/
Recueil de poésies de Michel Butor, choisies par lui-même et préfacé par Jean-Michel Maulpoix, spécialiste de l'écriture lyrique et par Mireille Calle-Gruber qui a dirigé les Œuvres complètes de Michel Butor à La Différence ; tous deux sont écrivains et professeurs à la Sorbonne Nouvelle. Michel Butor, décédé le 24 août dernier est un des grands écrivains français de notre temps. Discret, il eut le Prix Renaudot pour La modification, mais écrivit beaucoup de poésie, d'essais sur la littérature qu'il enseigna aux États-Unis, en France et en Suisse. Les éditions de La Différence ont publié entre 2006 et 2010 ses œuvres complètes en 12 volumes.
Michel Butor ne se cantonna pas dans un genre qui eût pu faire son succès suite à son Prix Renaudot en 1957, il publia alors des essais, de la poésie, des récits de rêves, de voyage, un livre de collages (Mobile), des textes pour des pièces musicales, ... Éclectisme et expérimentation furent alors ses modes d'écriture. Dans ce court recueil de sa poésie, on sent bien son envie de jouer avec les codes, avec les mots, les genres, les formes. De la poésie littéraire, historique, descriptive, plus classique et/ou jouant avec les formes -certes, on est loin des Caligrammes, mais l'exercice ayant été fort bien fait par Apollinaire, on imagine que Butor ne voulait même pas le copier, tout au plus lui rendre un hommage.
Je ne suis ni très amateur de la poésie, ni très habile à dire ce que j'en pense, c'est un genre auquel parfois je suis hermétique, je me disais cela en commençant ce livre, jusqu'à ce qu juste après ma réflexion, je tombe sur ça :
"Les rayons s'allongent
les couleurs s'échauffent
tandis que le fond de l'air
commence à fraîchir
une prune trop mûre
s'écrase en tombant sur un rocher
A son parfum
succède celui d'une rose qui vous surprend
comme un hélicoptère
qui viendrait vous observer
mais le silence
n'est en rien troublé
Ponctué
par de lointains aboiements
ourlé
par les répercussions des cloches
brodé
par la dernière mouche de la journée
Une dame se souvient
d'une chanson de son enfance
elle s'essaie à la chanter
une autre la joint
mais toutes les deux
déraillent au milieu d'un couplet
Qui s'achève
par des éclats de rire
s'estompant
comme les collines de l'autre côté
de l'autre côté des arbres tremblants" (Sérénade)
Que vouliez-vous que je fasse ? J'ai continué, et suis tombé sur d'autres poésies aussi belles, légères lorsqu'elles parlent par exemple de la main qui écrit et qu'elles décrivent tous les mouvements d'icelle, des textes en prose profonds lorsqu'ils parlent par exemple de la colonisation (La ligne de partage des sangs, p.57 : un poème à lire, écouter et méditer dont je vais citer une seule strophe :
"Tu ne peux pas manger ici car tu y étais avant nous ; et tu risquerais de nous couper l'appétit en nous faisant imaginer une prochaine vague de conquérants plus feutrés, plus sournois que nous, qui nous parqueraient ou nous excluraient, nous interdisant nos maisonnettes à l'anglaise et le culte de nos stars pour nous imposer d'autres rites."
Ce qui précède est magnifique et ce qui suit formidable, vous comprendrez donc que je vous recommande (très) fortement la lecture des poésies de Michel Butor (et le reste aussi, Improvisations sur Michel Butor, par exemple). Au fil des pages, le poète se fait observateur politique, mais un observateur qui s'engage, qui accuse. Il observe aussi la société, ses bouleversements, le monde qui change... Il pratique également aisément l'ironie et l'auto-dérision, ce qui donne à son oeuvre une aura et une portée toute particulières.
Comme beaucoup, je connais Michel Butor par La modification, roman lu il y a longtemps. Je ne savais pas ce qu'il écrivait depuis, mais après la lecture de ses conférences, j'ai très envie de découvrir ses écrits. Il commence par la guerre et son désir de jeune homme de lire, mais "le savoir était confisqué. Le savoir était quelque chose qui avait existé autrefois et qui existerait peut-être encore un jour, mais pendant ces années-là c'était la nuit et le mensonge." (p. 16), puis à la fin de la guerre le fossé se creuse entre les générations, les gens d'un certain âge veulent oublier et revenir à ce qu'ils avaient vécu avant et les plus jeunes veulent dépoussiérer l'empire colonial, découvrir d'autres horizons. Pendant la guerre, Michel Butor réussit à intégrer un groupe d'intellectuels qui se réunit en secret, dans lequel il se liera avec Michel Carrouges son "initiateur en surréalisme" qui lui fera connaître entre autres André Breton.
Puis, professeur de français à l'étranger, Michel Butor écrit, se pose des questions et cherche des réponses sur sa manière d'écrire. La longueur des phrases par exemple, lui qui en fait de très longues que certains lui reprochent : "j'ai étudié la littérature française pour voir si nos grands écrivains écrivaient toujours avec des phrases courtes. Il suffit de poser la question pour s'apercevoir que cette histoire de phrases courtes, c'est un mirage entretenu pour des raisons idéologiques qu'il vaudrait la peine d'étudier, mais qu'en réalité les grands écrivains ont toujours su utiliser des phrases longues quand ils en avaient besoin." (p.91) Suit alors une étude de quelques pages sur l'utilité de construire de longues phrases, sur la manière de les écrire, d'agencer les mots en icelles, voire même de les présenter dans le livre. Et ainsi de suite, Michel Butor explique sa vision de la littérature et sa création littéraire.
C'est un bouquin passionnant sur de nombreux sujets, parfois un peu moins mais, ce n'est pas grave, j'ai passé les quelques rares passages qui ne m'intéressaient pas. Les paragraphes sur la traduction, sur les différentes langues avec notamment des explications des livres de James Joyce ou de Samuel Beckett sont extraordinaires. J'aurais pu aussi parler des voyages de Michel Butor, de sa volonté de les écrire de manière très personnelle, de ses avis sur l'Europe (de 1993), de son amour pour la musique, la peinture, les arts en général et sa manière d'en parler ou de les écrire et les décrire, mais je vous laisse découvrir tout cela dans ce petit bouquin, format poche, 310 pages, aérées, coupées en chapitres très "paragraphés", ce qui fait qu'on peut le lâcher et le reprendre aisément sans perdre le fil. Un ouvrage à poser pas loin dont on grappille des pages entre deux autres livres et qui donne envie de lire d'autres livres de l'auteur. Pas sexy a priori, c'est un livre qui se découvre avec grand plaisir.
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