"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Hormis quelques lecteurs fidèles, attentifs au mouvement d'ensemble de son oeuvre, qui connaît vraiment Michel Butor poète ? Pour le grand public, il demeure ce romancier, auteur de La Modification, qui reçut en 1957 le prix Renaudot, il se voit inexorablement identifié à ce livre, et cantonné à travers lui dans l'aventure du « nouveau roman ». Or la réalité est bien différente. Depuis la publication de Mobile, en 1962, c'est en direction de la poésie que s'est orientée son écriture, ou plutôt est-ce ce mot de poésie qui convient le mieux pour désigner l'inflexion de son oeuvre vers des expérimentations sans cesse renouvelées.
L'un des paradoxes, et non le moindre, de l'oeuvre poétique de Michel Butor est sa fausse désinvolture. Elle manifeste un goût prononcé pour une inventivité débridée, dans la lignée surréaliste. Hostile aux règles, elle existe comme détachée des contraintes littéraires et affiche une grande liberté d'allure. Élaborée au croisement d'une respiration et d'une méthode, il semble qu'elle offre à son auteur la possibilité d'une écriture au plus long cours, d'un souffle plus ample, d'un phrasé musical qui se déploie plus librement que dans les couloirs narratifs du roman, parfois étagé en strophes de prose où il paraît rebondir comme sur les marches d'un escalier. Et c'est alors la jubilation d'un homme-langue, revêtant tour à tour toutes sortes de tenues, qui se donne à entendre.
Michel Butor est un oiseau. Michel Butor est un indien rusé en salopette. Son oncle par alliance est un vieil Inca atypique. Il cherche comme lui, et comme Arthur, son petit-neveu turbulent de Charleville-Mézières, « une nouvelle façon de nous rendre à notre état de fils du soleil ». Michel Butor est un gourmand, un chef cuisinier, un marchand ambulant (d'un temps passé). Je le vois en aviateur, en Merlin, en Hermès, en cambrioleur, en horticulteur habile, en lyrique, en homme-orchestre et en jeune singe paradoxalement sage, souriant patron des scribes d'aujourd'hui et de naguère.
J.-M. Maulpoix
J'aime ce recueil de poésies car elles ont toutes été choisies par l'auteur lui-même et sont très variées. Il joue avec les sonorités, les mots, les styles, les formes. Quelles soient historiques, littéraires, courtes ou longues elles sont toutes uniques et intéressantes. C'est un régal pour qui aime les mots, qui aime la langue française et sa richesse. De beaux poèmes sur l'écriture, la création, l'art, les voyages, la politique, la vie.
Lire ce recueil c'est aussi s'informer sur une époque, sur des moeurs et prendre connaissance des engagements et des prises de position de l'auteur qui est plus connu pour le reste de son oeuvre et c'est bien dommage. Ecrites avec beaucoup d'intelligence, les poésies de ce volume sont des petites pépites de beauté et d'ingéniosité. A mettre entre toutes les mains, pour s'élever intellectuellement et même spirituellement.
Un autre aspect de la grandeur et du talent de Michel Butor , un autre pan de son talent. Une superbe lecture pour moi.
VERDICT
Un faiseur d'ambiance et de mots qui ravira les amoureux de la langue française.
https://revezlivres.wordpress.com/2016/12/26/par-le-temps-qui-court-michel-butor/
Recueil de poésies de Michel Butor, choisies par lui-même et préfacé par Jean-Michel Maulpoix, spécialiste de l'écriture lyrique et par Mireille Calle-Gruber qui a dirigé les Œuvres complètes de Michel Butor à La Différence ; tous deux sont écrivains et professeurs à la Sorbonne Nouvelle. Michel Butor, décédé le 24 août dernier est un des grands écrivains français de notre temps. Discret, il eut le Prix Renaudot pour La modification, mais écrivit beaucoup de poésie, d'essais sur la littérature qu'il enseigna aux États-Unis, en France et en Suisse. Les éditions de La Différence ont publié entre 2006 et 2010 ses œuvres complètes en 12 volumes.
Michel Butor ne se cantonna pas dans un genre qui eût pu faire son succès suite à son Prix Renaudot en 1957, il publia alors des essais, de la poésie, des récits de rêves, de voyage, un livre de collages (Mobile), des textes pour des pièces musicales, ... Éclectisme et expérimentation furent alors ses modes d'écriture. Dans ce court recueil de sa poésie, on sent bien son envie de jouer avec les codes, avec les mots, les genres, les formes. De la poésie littéraire, historique, descriptive, plus classique et/ou jouant avec les formes -certes, on est loin des Caligrammes, mais l'exercice ayant été fort bien fait par Apollinaire, on imagine que Butor ne voulait même pas le copier, tout au plus lui rendre un hommage.
Je ne suis ni très amateur de la poésie, ni très habile à dire ce que j'en pense, c'est un genre auquel parfois je suis hermétique, je me disais cela en commençant ce livre, jusqu'à ce qu juste après ma réflexion, je tombe sur ça :
"Les rayons s'allongent
les couleurs s'échauffent
tandis que le fond de l'air
commence à fraîchir
une prune trop mûre
s'écrase en tombant sur un rocher
A son parfum
succède celui d'une rose qui vous surprend
comme un hélicoptère
qui viendrait vous observer
mais le silence
n'est en rien troublé
Ponctué
par de lointains aboiements
ourlé
par les répercussions des cloches
brodé
par la dernière mouche de la journée
Une dame se souvient
d'une chanson de son enfance
elle s'essaie à la chanter
une autre la joint
mais toutes les deux
déraillent au milieu d'un couplet
Qui s'achève
par des éclats de rire
s'estompant
comme les collines de l'autre côté
de l'autre côté des arbres tremblants" (Sérénade)
Que vouliez-vous que je fasse ? J'ai continué, et suis tombé sur d'autres poésies aussi belles, légères lorsqu'elles parlent par exemple de la main qui écrit et qu'elles décrivent tous les mouvements d'icelle, des textes en prose profonds lorsqu'ils parlent par exemple de la colonisation (La ligne de partage des sangs, p.57 : un poème à lire, écouter et méditer dont je vais citer une seule strophe :
"Tu ne peux pas manger ici car tu y étais avant nous ; et tu risquerais de nous couper l'appétit en nous faisant imaginer une prochaine vague de conquérants plus feutrés, plus sournois que nous, qui nous parqueraient ou nous excluraient, nous interdisant nos maisonnettes à l'anglaise et le culte de nos stars pour nous imposer d'autres rites."
Ce qui précède est magnifique et ce qui suit formidable, vous comprendrez donc que je vous recommande (très) fortement la lecture des poésies de Michel Butor (et le reste aussi, Improvisations sur Michel Butor, par exemple). Au fil des pages, le poète se fait observateur politique, mais un observateur qui s'engage, qui accuse. Il observe aussi la société, ses bouleversements, le monde qui change... Il pratique également aisément l'ironie et l'auto-dérision, ce qui donne à son oeuvre une aura et une portée toute particulières.
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