"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
La Rochelle librairie Les Saisons mardi 16 février après-midi. Il pleuviote et comme il n'y a pas beaucoup de visite à faire en ces temps de confinement nous nous rapatrions vers une librairie comme d'habitude. Les garçons sont dehors et nous fouillons parcourons feuilletons avec Maritomio. Pour finir par tomber (entre autre, évidemment nous avons pris plusieurs livres) sur ce livre de Leonardo Sciascia.
Auteur sicilien dont nous fêtons cette année le centenaire de sa naissance et qui a fait graver sur son tombeau à Racalmuto, une citation d'Auguste de Villiers de L'Isle-Adam («Nous nous en souviendrons de cette planète»).
Ce livre est un ensemble de chroniques parues dans différents supports dans les années 60 et traduit et présenté tout récemment par Frédéric Lefebvre.
J'y découvre un auteur, rude et sans complaisance, profondément attaché à sa terre natale, riche des apports de tant de civilisations successives mais gangrenée par l'incurie. Région où "... il me semble que les réunions de personnes intelligentes produisent, je ne sais pas pourquoi, une bêtise infinie."
Quand il décrit la Sicile d'Ibn Hamdis du Livre de Roger il me vient des envies d'y filer subitement.
"La Sicile était sa patrie comme elle est la nôtre. C'était la maison, la famille, l'enfance, la jeunesse, les amis ; c'était la campagne et la mer, le goût particulier du pain et des fruits, l'odeur du vin, les fêtes et les jeux, les douces habitudes, les rencontres amoureuses ; c'était la terre de ses morts."
Sur des sujets aussi variés que la question de l'eau, son métier d'écrivain, la mafia, sa critique du Guépard... il livre une analyse fine et synthétique de l'humanité dans ce contexte sicilien.
"Voici le visage de l'homme d'Antonello de Messine, l'antique visage de l'homme sicilien, refermé sur son astuce existentielle, secrète, victorieuse. Il vit comme un animal, mais il pense comme un homme. Avec la pensée, il réussit même à rendre la vie plus complexe, plus difficile, plus tragique. Et ainsi il survit. Épuisé, peu nourri, mais libre et vif par l'esprit."
Le genre de la nouvelle est difficilement maîtrisable, dit-on, pour un écrivain ayant l’intention d’inclure dans ce type de récit autant de force de conviction et d’intensité que dans un roman, catégorie prétendument plus aisée pour l'atteinte de ce type de but.
Leonardo Sciascia, dans un recueil de nouvelles intitulé « La mer couleur de vin », contredit magnifiquement ce présupposé .Il parvient à y décrire pêle-mêle le mirage d’un voyage organisé par un passeur sans scrupules, monnayant ses services fort cher pour organiser un voyage vers l’Amérique … Las, la traversée se termine au point de départ : « Ils se jetèrent assommés sur le bord du fossé :il n’y avait pas urgence à porter aux autres la nouvelle qu'ils avaient débarqué en Sicile. »
Dans la nouvelle la plus longue, La mer couleur de vin, ayant donné son titre à l'ouvrage, Il est question du voyage en train d d’un ingénieur quittant Rome pour Reggio de Calabre en Sicile .Cet homme, ayant choisi a priori une vie solitaire est fasciné par les enfants de la famille dont il partage le compartiment .Comme si ces derniers ravivaient en lui le regret toujours vivace de n'avoir pas adopté une vie de famille , d’avoir configuré son existence autrement : « Le fait est, pensa l’ingénieur, qu’un voyage est comme une représentation de l’existence, par synthèse, par contraction de l’espace et du temps ;un peu comme le théâtre, en somme : et s’y recréent intensément, sur un fond inconscient de fiction,, les éléments, les raisons et les rapports de notre vie. »
On relève également dans ce beau recueil une dénonciation sans appel des méfaits de la mafia, mot dont l’auteur détaille les diverses origines étymologiques avant de définir, en forme de condamnation définitive, son acception actuelle : « La mafia n’est ni une secte ni une association, elle n’a ni règlement ni statuts. (…)Le mafieux veut être respecté, il sait se faire rendre raison par lui-même et, quand il n’en a pas la force, au moyen d’autres personnes qui sentent comme lui . »Leonardo Sciascia dénonce également l’exploitation de la main-d’œuvre immigrée, en proie à la pauvreté et à l’exil dans une nouvelle éloquente, L’examen, dont la conclusion décrit le sauvetage d’une candidate à l’émigration vers la Suisse organisée par un certain M.Blaser, par son fiancé.
On le voit, les thèmes sont on ne peut plus actuels, pertinents, ce qui ajoute à l'intérêt de la lecture de cet ouvrage qui atteint son but littéraire et documentaire : la description des facettes les plus significatives de l’histoire et de la vie d’une région : la Sicile, terre d’origine de l’auteur.
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