"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
A priori, ce genre de livres n'est pas mon truc. Mais j'ai bien aimé les romans policiers de Frédérique Volot (La Vierge-Folle, 59, passage Sainte-Anne), et comme elle a eu la gentillesse de m'écrire un mot rien qu'à moi sur mon exemplaire, je me suis penché dessus. Ce qui semble être un récit très personnel -même s'il est noté que c'est un roman-, puisqu'il est dédicacé "A Ettore/Hector, mon grand-père. A Lucie, ma grand-mère. A Pierina et Marthe, mes arrière-grands-mères" est finalement assez universel. Les personnages vivants sont très romanesques et même lorsque les vies semblent -malheureusement- plus banales comme celles de Marthe et Lucie, mère et fille frappées par un mari et père violent, Frédérique Volot sait les faire résonner au même titre que le parcours chaotique, difficile et mouvementé d'Ettore.
Je ne vais pas en faire des tonnes, certains aspects du genre ne me plaisent pas : la saga, les anecdotes familiales et villageoises, les très nombreux dialogues, mais le contexte que décrit l'auteure est très bien rendu et une découverte pour moi. Certains paragraphes résonnent fortement aujourd'hui, les situations sont semblables et les réactions, malheureusement aussi, lorsque Ettore arrive en France fuyant le fascisme : "Depuis peu, les conditions d'accueil avaient changé. La Ligue cherchait à limiter l'afflux de nouveaux arrivants, lançait même des avertissements aux allures de menaces à tous les étrangers tentés par l'installation en France. (...) De leur côté, les politiques expliquaient que la France n'était plus la terre d'asile rêvée, que le nombre de chômeurs y était déjà trop élevé, que l'on devait d'abord se préoccuper du sort des nationaux." (p.195). J'avoue ma grande inculture en ce qui concerne la guerre entre l'Italie et l'empire austro-hongrois et les exactions inhérentes aux conflits, je ne connaissais pas non plus l'existence du camp de Watten (dans le Nord) dans lequel étaient déportés les étrangers, essentiellement des Yougoslaves, des Italiens et des Russes, c'est donc une découverte, et m'instruire en lisant un roman, ça me plaît. Ettore a participé à la construction du blockaus d'Eperlecques dans des conditions terribles.
Si vous passez par la collection Terres de France des éditions Presses de la cité, arrêtez-vous un moment auprès d'Ettore et Lucie, qui au travers de leur petite-fille, vous raconteront leurs histoires. Un bel hommage. Un exercice pas toujours facile, qui, malgré mes réserves, se lit avec plaisir.
Achille Bonnefond, je l'avais déjà rencontré lors de sa précédente et première aventure, La Vierge-Folle. Le voici donc de retour avec ses amis, Baise-la-Mort, Félix et Tamara sa servante avec laquelle il a des liens quasi filiaux. Dans ce roman, Achille renouera avec sa famille, ses oncles, tante et cousin(e)s, qu'il n'a plus vue depuis très longtemps pour cause de fâcherie avec ses parents. Les parents d'Achille sont très à cheval sur les convenances, veulent être de la bonne société et le montrer. Achille s'en moque et aspire à une vie simple néanmoins non dénuée des avantages que lui procure l'argent qu'il gagne, car Achille est un jouisseur. Il donne beaucoup aux pauvres également, de l'argent certes, mais aussi du temps et de la considération, sans se forcer, il aime les gens, c'est dans sa nature. Il aime aussi beaucoup les femmes et n'est pas insensible (c'est une litote) aux charmes de sa cousine Garance qu'il avait quittée gamine agaçante et qu'il retrouve jeune femme libre et pleine d'ambition.
Ce roman n'est pas vraiment un polar même si enquête il y a, c'est plutôt une chronique de la vie parisienne au Second Empire. Paris est totalement transformé par Haussmann, certains s'y enrichissent et les pauvres sont obligés de s'éloigner du centre, de s'entasser dans des quartiers insalubres, tombant ainsi encore plus dans les difficultés pour trouver un emploi, pour se loger décemment. De cette période, on a souvent une mauvaise image, souvent à cause de Victor Hugo d'ailleurs qui ne s'est pas privé de dire ce qu'il pensait de Napoléon III, qui a même été obligé de s'exiler. Mais Victor Hugo n'était pas totalement objectif, à cette époque, Paris a changé, s'est modernisé, les mœurs ont évolué. Attention, je ne fais pas d'angélisme, et d'ailleurs Frédérique Volot non plus, elle dit bien que les riches se sont enrichis, les pauvres appauvris et que tout ne fut pas rose. Mais pas noir non plus. "Splendide! s'exclama-t-il en refermant la fenêtre. L'hôtel sera prêt pour la prochaine Exposition universelle. Je suis épaté d'assister à toutes ces transformations. Paris sera d'ici peu la plus belle ville du monde ! [...] La spéculation allait bon train. Certains propriétaires profitaient de la moindre occasion pour augmenter les loyers de façon vertigineuse. Même si les deux tiers de la population étaient représentés par des petites gens et petits-bourgeois, il n'en restait pas moins vrai qu'une partie, chassée de chez elle, se retrouvait à la rue, démunie, obligée d'aller trouver refuge dans les carrières de Montmartre ou de l'autre côté des fortifications." (p. 35)
Son livre est aussi un point assez précis sur une pratique très en vogue dans ces années-là, le spiritisme (V. Hugo a aussi assisté à des parties de tables tournantes). Directement venu des Etats-Unis, inventé par les sœurs Fox (à ce propos, lisez le formidable roman de Hubert Haddad, Théorie de la vilaine petite fille qui sera un complément au livre de F. Volot), le spiritisme a très vite franchi les frontières et séduit de nombreuses personnes. Allan Kardec, de son vrai nom Hippolyte Léon Denizard Rivail, très impliqué dans la pédagogie et l'enseignement en fut l'un des théoriciens célèbres au XIX° siècle. Par la retranscription des séances auxquelles participent Allan Kardec et son épouse, deux mediums et Achille ainsi que le jeune scientifique Camille Flammarion, l'auteure donne à son texte des airs d'irréalité. Le spiritisme, pour moi incroyant, ça reste à la fois un mystère et une formidable mystification, mais aussi un contexte ou des circonstances fortes pour écrire une histoire mystérieuse, qui laisse planer un doute sur l'authenticité de telles pratiques. F. Volot joue à fond cette carte, et tant mieux, son roman se teinte d'une grosse touche de surnaturel.
Hors cela, le roman est enjoué, Garance apporte une légèreté et un supplément de modernité -pensez-vous une femme de 1861 qui revendique sa liberté- dont il n'était déjà pas exempt, Achille étant un esprit moderne. Très bien mené, même sans une véritable enquête policière sur toute sa durée, il se lit avec grand plaisir et même avidité sur la fin ou les choses s'emballent et le suspense grandit.
Evidemment, la suite est attendue, j'espère Frédérique -vous permettez que je vous appelle par votre petit nom ?-, que vous en me décevrez pas et que vous continuerez à faire vivre Achille.
Plus qu'un polar haletant ou une enquête trépidante menée par Achille, fils spirituel de Vidocq, ce roman est une plongée dans le Paris du second empire. La ville est transpercée, trouée de toutes parts par le baron Haussmann pour en changer totalement le visage. Les quartiers sont vidés de leurs pauvres pour construire des bâtiments ou des jardins (le Parc Monceaux -avec un "x" à l'époque- par exemple) qui feront la renommée de la capitale. Les miséreux de la ville se regroupent dans des quartiers, de véritables bidonvilles dirions-nous maintenant, des vraies cours des miracles. Les descriptions sont claires, sans tabous ni détours, on a presque les odeurs qui montent aux narines. La crasse, la pestilence, la maladie sont présentes tout au long des pages consacrées aux pauvres de Paris.
Le livre regorge de détails, d'anecdotes de l'époque et ce qui est le véritable intérêt du livre en est aussi peut-être un inconvénient parfois, car on peut avoir l'impression que F. Volot a voulu absolument mettre tout le produit de ses recherches documentaires dans son livre. C'est toujours instructif, intéressant, néanmoins, parfois lourd à digérer et à vrai dire un peu inutile, comme ce passage, un parmi d'autres, qui clôt un chapitre : "Certains regrettaient la destruction d'une suite d'hôtels construits par Ledoux, Cherpitel ou Brongniart. Que de souvenirs disparaissaient avec eux ! Qui se souviendrait que dans cette même rue le baron von Grimm avait recueilli chez lui le jeune Mozart, après la mort de sa mère, en 1778 ?" (p.130) Peut-être aurait-il mieux valu instiller ici et là des descriptions de la ville en mutation et en garder d'autres pour la suite, car je sens que suite il y aura. L'auteure installe ses personnages dans le long terme ; elle les décrit au plus précis, décrit leur entourage et leurs relations diverses : on sent le début d'une série avec des rôles distribués, des héros qui vont évoluer même si leurs traits sont déjà très précis. Achille, en premier : "Achille écarquilla les yeux. Au fur et à mesure que ses pas le guidaient dans le quartier Maubert, il réalisait que jamais il n'y avait mis les pieds. Jamais ! Ni dans son enfance protégée, ni dans sa jeunesse dorée, ni du temps de la création de son agence de détectives avec Félix. Lui trouvait les affaires, recevait les clients, son ami faisait le reste, se salissait les mains, plongeait dans la boue putride." (p.164/165). Mais aussi Félix, son ex-associé, Tamara sa servante à laquelle il est très lié et qui le lui rend bien, Baise-la-Mort, le chiffonnier dont on connaît les malheurs qui l'ont entraîné jusque dans ces quartiers, jusqu'à Pakoune la chatte obèse et borgne.
Mis à part mon bémol sur la surabondance d'informations pas toujours nécessaires, j'avoue avoir passé un excellent moment avec Achille et ses comparses. L'enquête n'est pas captivante -mais pas inintéressante non plus-, elle est le fil rouge de l'histoire qui nous permet de nous intéresser à l'époque et aux personnages de fiction de Frédérique Volot mêlés à ceux qui ont réellement existé. Elle permet également de connaître ce qu'était le Paris d'avant, ce qu'étaient les relations -ou l'absence d'icelles- entre les riches et les pauvres : deux mondes qui se cotoyaient sans se voir. Un roman très accessible, au ton résolument léger (même si les passages qui relatent la misère humaine de l'époque ne sont pas particulièrement joyeux) qui, comme je le disais plus haut appelle une suite, ce qui, de mon avis, ne manquera pas d'advenir. Une deuxième aventure sous Napoléon III, je veux bien.
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