On continue les affrontements avec deux avis opposés du roman Les sorcières de la République de Chloe Delaume
On continue les affrontements avec deux avis opposés du roman Les sorcières de la République de Chloe Delaume
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Chloé Delaume, Clothilde, Valérie... 3 personnages pour une seule figure (l'écrivaine, la protagoniste, la personne de la carte d'identité). On nous annonce une histoire d'amour insensée, on commence avec des fragments de vie autobiographiques. Si la poésie n'a pas pu sauver sa mère (tuer par son mari), est-ce qu'elle peut quand même sauver psychiquement ? Le titre, "pauvre folle" est à la fois ce qu'elle pense d'elle de temps en temps et à la fois ce que la société lui renvoie tout le temps. Mais ce n'est jamais employé ni même venu à l'esprit de celui avec qui elle vit une passion, étrange au commun des mortels il faut bien l'avouer.
Vu l'état de Clothilde, navigant entre psychotropes, ésotérisme, montagnes russes émotionnelles et écriture, l'identification à ce personnage et aux questions qu'elle se pose pourrait être un écran et laisser de marbre le lecteur. Or, il n'en est rien. Est-ce qu'on a besoin des mots d'un autre pour exister alors qu'on les manie soi-même très bien ? Est-ce qu'on a besoin de l'attention d'un autre en dehors de l'amitié pour pouvoir panser ses blessures ? Est-ce qu'on est folle de refuser le réel pour vivre l'insensé ?
Tout y passe avec un style pointu et mordant sans aucune moralité derrière la fiction : la sororité, la vie de couple quelque soit l'orientation sexuelle, la dépendance affective, le besoin de sublimer autrement, les pulsions charnelles du corps, l'envie d'être unique, la co-création, la banalité du réel. Mais aussi des thèmes sur la bipolarité, la dissonance cognitive (l'auteur est anti patriarcal et promeut la sororité face au couple hétéronormé alors qu'elle vie et meurt sans cesse pour un homme, Guillaume), la prostitution, etc.
C'est une histoire à dormir debout mais pour laquelle je n'ai eu aucun doute. La tristesse est en filigrane. Peut-être bien que la conclusion est celle-ci : les mots ne suffisent pas à sauver les gens physiquement ni leur psyché, parfois il faut s'extraire de la folie pour continuer à manier les mots avec autrui, autrement. Les images expressives, le style, la façon de penser hors des clous, tout est cohérent dans une forme de désespérance combative.
Chloé DELAUME expose son idée : "puisque l'exposition s'avère inéluctable [visionner la télévision un maximum et sans sortir de chez soi], autant y aller franco, n'est-ce pas. C'est ce que je me suis dit avant de démarrer le protocole. Je ne savais pas ce que je risquais, je n'en avais aucune idée. Je pensais effectuer un contrôle, revenir avec un tas de trucs, si possible des informations. Je n'ai aucune excuse, mais vous non plus. J'insiste. Vous non plus, encore moins" (p. 41)
Quelle âpreté d'écriture. Tour à tour Durassien, fluide, complexe comme l'écriture d'un adolescent écorché, la lecture est épuisante car elle requiert un effort intense sur presque chaque page :
- la référence brute (C'est qui déjà Elisabeth Teissier qu'elle claque sur le papier sans plus d'explication ? Et VideoDrome ?),
- l'enchainement d'images par les adjectifs ("Le sébum cireux d'amaurose vous ronge les nerfs saindoux optique" - p14, "A quoi bon s'imposer ce vulgaire narcotique alors qu'est nôtre l'accès sybarites délassements, snobinez-vous sans cesse juchés montres à gousset" - p.16)
- les concepts nombreux qu'il faut intégrer tout de suite car essentiel à son propos ("Versuchspersonen", etc.)
- l'alternance fluidité, rupture ("J'ajoute que. Je suis je dis un globule rouge, rouge comme la robe de Nicki" - p. 42. Et puis, c'est quoi la référence 'robe de Nicki' ?!)
Il ne s'agit pas de paresse intellectuelle. Il s'agit de fatigue intellectuelle. Je n'en peux plus. J'ai posé le livre à la 57e page. Pourtant, c'est un livre qui a du fonds et qui est comme un brûlot sur l'occupation intellectuelle du temps disponible de nos cerveaux par la télévision : nous allons tous finir en oiseaux morts culturellement et psychologiquement.
Ce livre est un engagement sans agressivité, sans vulgarité, avec une langue vive. C'est clair, précis, argumenté, piquant. Chloé DELAUME a recourt à des périphrases et des références aussi pointues que populaires, passant d'un registre à un autre avec fluidité. C'est bien trouvé, parlant, et parfois cinglant sans se la jouer.
J'avais ouvert "Le cri du sablier" que j'avais refermé aussi sec après 10 pages illisibles. Ici, rien de tout cela.
Tout ce livre tient au style, cette façon de nommer les choses autrement qu'ordinairement, mais sans mièvrerie, orgueil ou minauderie. C'est une évidence. Même ses néologismes renvoient une référence immédiate. Exemple avec "couillidés" : je comprends des hominidés à couilles = des hommes mais cela déplace l'image. Ce sont des hominidés comme des femmes mais avec leurs sacro-saintes boules.
Les phrases vont vites, dans une musicalité très belle, même en lecture silencieuse (je ne lis pas à voix haute).
Loin d'être une charge manichéenne contre les hommes (le patriarcat est un fait, il n'y a même plus à en douter sinon à le détruire et elle appuie toujours son propos par des exemples très précis, sans fioriture, crus dans leur réalité et qui parlent à tous et toutes), c'est surtout une adresse aux femmes pour déplacer notre regard entre nous : nous ne sommes pas des rivales, des Schtroumpfettes à notre étage, des mamatrones. Nous pouvons être des soeurs, unies, sans pour autant nous fondre dans une seule identité. "La révolution numérique a apporté aux femmes des outils et des réflexes qui les rendent solidaires, conscientes qu'elles forment un 'nous' [en italique dans le texte]. Un 'nous' hétéroclite, un 'nous' de moi aussi. Et ce 'nous' n'est pas seul" (p. 73).
Le Chapitre "Secrets de bonne femme" (P. 23- ) est un pur délice stylistique et une ode à toutes les femmes, leurs défauts inclus.
En conclusion : ce petit livre au grand style emmène son public avec vivacité tout du long. Il génère en fond, de la réflexion alors même qu'on voyage dans des images, des références, des expériences communes (en tout cas pour tous ceux nés fin des années 70 / début des années 80). Un plaisir avec un discours direct, sans fioriture, sans diplomatie, sans envie de plaire, ouvert à la contradiction, à l'argumentation, et à l'invitation : sororité autant que possible entre nous, femmes (ce qui nous changerait !) pour lutter contre le patriarcat mais aussi ne pas reproduire des schèmes socio-culturels.
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"Elles ne m'écoutaient pas/ D'ailleurs dans cette famille, personne ne m'écoutait. Racontez-moi alors. Racontez-moi, mesdames, autre chose que le jour où tout a basculé parce que devenues ensuite épouses et mères. Autre chose que la fois où au bal du village, sur la place du marché, en sortant du lycée, en plein milieu de la guerre, de la poste, de l'usine, de la banque, du magasin, Félix Pottin, on y revient [...]. Autre chose que comment, en dépit de son plumage perché et de sa belle voix, c'est grâce à votre ramage, par l'odeur alléché du soufflé au fromage, que vous avez ravi le Maître de ces bois et ne vous sentez plus de joie dans ce pavillon Phénix" (p. 39)
Dans ce texte hybride, entre roman et essai, l'autrice montre que la sororité et l'entraide peuvent changer bien des choses pour la condition féminine.
L'héroïne principale, Violette, se voit découvrir une faculté qu'elle expérimente par hasard au cours d'une énième agression de rue. De là, elle va être accueillie par les Phallers qui vont l'aider à comprendre son pouvoir et à l'apprivoiser. Cette thématique sonne presque comme les romans fantastiques de notre enfance où un héros va prendre possession de son nouveau super-pouvoir. Violette a l'école du féminisme où elle commence à découvrir qu'elle n'est pas seule dans son désarroi ni dans sa situation. En effet, nombreuses sont les femmes de tous âges qui subissent les agressions en tout genre liées à leur condition féminine. Dans cette nouvelle école, elle va en apprendre plus et s'éduquer.
En parallèle, on a un groupuscule très macho, les Virilitas, qui veulent en finir avec les Phallers car elles remettent en cause le patriarcat et leurs acquis.
C'est un texte sur un sujet délicat mais Chloe Delaume à réussit avec subtilité à l'amener avec le ton de l'humour. Certains passages sont cocasses, d'autres poignants mais tout reste cohérent. Une lecture qui amène à s'interroger sur le féminisme ou qui complète bien ce qu'on aurait déjà lu/appris auparavant.
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