Inspirée d’une histoire vraie, cette BD apporte des conseils et des solutions pour sortir de l'isolement
Le livre d'Amandine Dhée s'enracine dans la peur de la mort. La rencontre de l'auteure (l'autrice !) avec Gabriele, une thanatopractrice, lui donne le courage et la force d'affronter cette peur en osant "simplement" parler de la mort, sans fard et sans tabou, en nommant et racontant ce qui, habituellement - par superstition ? par crainte de la provoquer ? - est dissimulé sous des formules plus neutres, parce que "les mots forment une trame assez serrée pour contenir l'effroi" (p.37).
Cependant, "mal nommer un objet, c'est ajouter au malheur de ce monde », écrivait Camus. Alors Amandine Dhée accepte de nommer et décrire/d'écrire autant que faire se peut ce qui relève de l'impensable : l'angoisse de la mort de ses enfants ; le cancer qui abat une amie chère ; la mort d'une chanteuse qui s'accompagne du deuil des jours enfouis et de l'enfance ; la menace qui pèse sur un père ; le décompte quotidien des morts lors de la pandémie de Covid... En contrepoint, Gabriele, qui "travaille avec les morts" (p.17) raconte son travail, les soins qu'elle apporte aux corps qui lui sont confiés et comment elle conçoit et perçoit sa démarche professionnelle.
"Sortir au jour" n'est pas un traité philosophique, une analyse existentielle ou métaphysique. Il y a pourtant un peu de tout cela dans ce petit (par le nombre de pages) livre. Simplement, modestement, une femme pose des mots sur des pensées, des questions, un cheminement qui lui sont propres mais qui tendent vers l'universel. L'angoisse ne disparaît pas pour autant, mais peut-être semble-t-elle plus familière, comme apprivoisée, circonscrite par des mots et par les liens qu'ils tissent.
Malgré une thématique qui a tout ce qu'il faut pour être bien plombante, "Sortir au jour" garde l'espièglerie qui est une des marques distinctives de l'écriture d'Amandine Dhée. Le ton est pétillant de malice mais toujours juste et la finesse d'observation ne s'appesantit pas d'analyses ronflantes. L'auteure écrit ce qui est et c'est aux lecteurices d'en faire ou non leur miel. Pour ma part, j'en ai fait mes délices tant j'aime ce choix d'évoquer des choses graves avec une élégante et délicate légèreté. Tout se passe comme si, en nous parlant de la mort, Amandine Dhée et Gabriele nous plongeaient au plus éveillé de la vie. Et c'est lumineux.
Après le succès de la Femme brouillon (2017) récompensé par le prix Hors Concours ou encore A mains nues (2020), l'écrivaine et comédienne Amandine Dhée prend un virage à 360 en publiant Sortir au jour (éditions La Contre Allée) au début de l'hiver 2023. Loin d'être passé inaperçu dans la sphère littéraire, le court ouvrage a de quoi susciter la curiosité par sa thématique. Ce n'est pas tous les jours que l'on aborde la thanatopraxie, et pourtant…!
La narratrice du roman est autrice. Lors d'une rencontre en librairie, elle fait la connaissance de Gabriele, une thanatopractrice. Si les deux femmes semblent évoluer dans des milieux professionnels très distincts, elles nouent rapidement un lien et le dialogue s'installe. Abordant leurs activités respectives, Gabriele évoque ce métier jonché de clichés et de préjugés qui tendent à la décrédibiliser parfois. Cet échange mènera petit à petit à l'écriture d'un livre initiant de chaque côté des récits de vie, mais aussi de mort, qui s'entremêlent volontiers pour laisser naître toute une philosophie sur l'existence humaine.
Il est difficile de faire entrer ce livre dans une catégorie ou un genre : est-ce un roman ? Un entretien ? Un récit ? Il semble tout à la fois, marqué par une hybridité dans laquelle il est très agréable d'avancer. Ces chapitres qui mutent donnent la parole à la narratrice et écrivaine, angoissée par la mort, figée par ce jour tant redouté où tout s'arrête. A cela, s'ajoute la transmission aux générations suivantes et la peur, en tant que mère, de ne pas avoir assez fait ou assez donné à ses propres enfants. Cette rencontre cruciale avec Gabriele ouvre la voie d'une pensée nouvelle pour elle, tandis que la crise sanitaire et les morts se succèdent. La lumière se fait alors toute particulière sur ce métier, Gabriele est une travailleuse de l'ombre pourtant essentielle dans le processus de deuil. Pour le commun des mortels, être thanatopracteur est un métier de « dérangé » , c'est celui qui fait « la sale besogne » du cycle funéraire.
La narratrice l'assume, elle aussi avait des idées reçues sur la profession : « Forcément, pour un métier pareil, j'imaginais une personne jaunâtre et grisonnante et pas cette jolie jeune femme qui sourit avec malice » . Dans cet entretien, Gabriele peint son quotidien avec les morts, elle leur parle avec douceur, les maquille de tout son attirail Make Up For Ever, leur enfile les habits préalablement préparés par les proches. Tout doit être parfait pour ces familles endeuillées qui verront dans ce résultat final une image immuable de l'être chéri, la toute dernière avant la mise en terre ou la crémation. Dans l'envers du décor, le macabre n'a pas sa place au laboratoire. Ici, on honore le corps en le préparant vers le dernier chemin avant l'ultime espace de repos.
S'initient alors plusieurs réflexions intrinsèques autour de la mort, « de toute façon je l'ai bien entendu dans la bouche de Gabriele, elle dit leur défunt, leur mort. Une fois mort, on ne s'appartient plus tout à fait » , « il me semble que l'on peut naître et mourir sans jamais être le préféré de qui que ce soit. C'est ensemble qu'il faut penser nos morts » . Toutes les deux racontent une histoire à la lueur de l'étrangeté inédite qui perdure dans la vie qui s'arrête, l'une s'occupe d'un nouveau-né, sa « bébée » , l'autre d'un nouveau mort et cette passerelle ténue est extrêmement bien amenée par l'écriture d'Amandine Dhée. Si le texte entier aborde le décès, il crie l'absolue nécessité de se tourner vers le vivant tant que c'est encore possible. Sortir au jour est un memento mori qui embrasse fougueusement un carpe diem. Une vraie réussite.
J'avais beaucoup aimé son passage à La grande librairie et il me tardait de découvrir son livre .
Le biais pour aborder le thème de la mort est original : la rencontre avec une thanatopractrice,
leurs récits se croisent et se répondent, traitant d'une plume légère, avec humour et distance et, l'air de rien,
une réelle profondeur, ce sujet qui pourrait être morbide, sinistre et plombant .
On est loin du pathos, de la périphrase prudente, il y a beaucoup de simplicité et de sobriété (et d'humour!) dans l'écriture .
On découvre non seulement un métier atypique et intriguant mais aussi des tranches de vie qui parlent surtout de la vie.
Un réel plaisir de lecture dont on sort serein.e.
Après "La femme brouillon" sur la maternité, voici que j'ai lu "Sortir au jour" sur la mort.
Cette autrice a le don de parler de choses qui font partie de la vie de tout le monde, d'entrer dans l'intime, avec sincérité et humour. Et contrairement à "La femme brouillon", ici la délicatesse est de mise, ce qui donne un livre bien plus réconfortant que plombant.
J'ai appréhendé cette lecture comme des petites chroniques de vies : celle du double fictionnel d'Amandine Dhée, celle de Gabriele, une thanatopractrice, et celle de Françoise qui vit la vie de Didier, thanatopracteur également (dans l'émission "Vis ma vie").
Il n'y a pas d'histoire à proprement parler, mais pleins de petits morceaux de vie, amenant à réfléchir à notre rapport à la mort, à notre façon de vivre le deuil, de réagir à des morts inattendues, trop précoces, à la maladie, trop proche... à la difficulté d'en parler aux enfants.... Et ce livre permet également de mettre la lumière sur une profession méconnue : la thanatopraxie, qui est pourtant essentielle, car elle permet d'adoucir la dernière image que l'on peut avoir de nos proches.
J'apprécie vraiment la plume d'Amandine Dhée, qui rend le récit très proche de nous. Nous vivons tous la même chose, de différentes façons certes, mais ce sujet nous concerne tous.
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